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Elle le regardait faire avec un étonnement qui se changeait en amusement. Il semblait avoir soudain tout oublié des confidences si étranges qu'il venait de lui faire. Joyeusement il emplit une coupe et la lui offrit.

— Mon meilleur vin de Beaune ! Celui dont je suis le plus fier.

Buvons à la nuit des Rois ! A la plus belle nuit de l'année... À la plus belle dame d'Occident !

Ils trinquèrent ensemble, burent et Catherine laissa, avec plaisir, le vin chaleureux couler en elle, réveillant le souvenir assoupi d'autres heures aussi détendues.

— Pourquoi, dit-elle cependant, m'avoir joué cette comédie ?

— Laquelle ?

— Ce banquet solennel auquel vous vouliez que j'assiste ?

— Autrefois j'étais Philippe, pour toi... et tu me disais tu ! ... »

reprocha-t-il doucement. Puis, changeant de ton : « Aurais-tu accepté si je t'avais dit que je te voulais pour moi seul, que j'étais décidé à abandonner mes hôtes, ma cour pour quelques heures de notre ancienne intimité ?

— Non, je ne crois pas... dit-elle franchement.

— Tu ne crois pas ? Mais peut-être n'en es-tu pas tout à fait sûre ?

— Peut-être...

— Merci ! Buvons encore !

Le souper fut gai, amical. Philippe était joyeux et Catherine retrouvait, non sans plaisir, le compagnon charmant qu'il avait été si souvent jadis, bien loin des charges et des grandeurs de la couronne. Il lui dit les derniers vers de ses poètes, chanta la dernière chanson, lui raconta les derniers potins, glissa même quelques informations purement politiques, entre autres sa décision de rendre prochainement sa liberté au roi René... Catherine l'écoutait les yeux mi-clos, envahie d'un bien-

être qui lui paraissait tout nouveau après tant de misères et de tribulations.

Quand on en fut au dessert, il vint s'asseoir à ses pieds, sur la peau d'ours, et lui offrit des dragées qu'elle se mit à croquer. Il avait posé le drageoir sur ses genoux où l'une de ses mains se posa elle aussi mais si doucement que Catherine un peu perdue dans les brumes du vin trop généreux ne protesta pas. Appuyée aux coussins de velours, elle rêvait, laissant son esprit vagabonder à travers les souvenirs d'autrefois, le mettant en quelque sorte en vacances de ses chagrins habituels.

Elle ne parut pas s'apercevoir que Philippe lentement se redressait, s'agenouillait, laissait ses mains remonter insidieusement le long de ses cuisses qu'elles caressaient ; mais, derrière ses paupières baissées elle en suivait en frémissant le lent cheminement. Avec anxiété aussi.

Se pouvait-il que son corps, si monstrueusement malmené voici encore si peu de temps, pût retrouver si vite, et avec tant d'exigence, le grand besoin d'amour qui avait failli la jeter dans les bras de René d'Anjou ? Or les mains de Philippe, chaudes et habiles, de Philippe qui avait toujours été un amant incomparable faisaient naître en elle les sensations oubliées de jadis, ces appels profonds, ces explosions brûlantes qui, longtemps, lui avaient tenu lieu de bonheur ?

Elle entendait son souffle qui se faisait haletant. Les mains remontaient toujours mais, aux approches de son ventre, elles s'arrêtèrent et, avec un indescriptible sentiment de triomphe elle comprit qu'il hésitait, qu'il n'osait pas, lui, le maître de terres plus vastes qu'un royaume.

Quelque part une voix d'homme se mit à chanter en s'accompagnant d'un luth tandis que dans le lointain une horloge sonnait minuit.

Catherine, alors, releva les paupières. Elle le vit tout près d'elle, les lèvres tremblantes, les yeux implorants et brusquement lui sourit.

— Pourquoi t'arrêtes-tu, Philippe ? Pourquoi ne pas célébrer toute cette nuit des Rois à notre façon ?

Un soleil de joie incrédule éclata soudain dans les yeux du prince.

— Tu veux bien que ?...

Elle pencha vers lui son visage jusqu'à toucher ses lèvres.

— Je veux que tu m'aimes, que tu m'aimes une dernière fois comme tu savais si bien m'aimer jadis ! Je veux te donner cette nuit tout entière... et je veux savoir si l'amour d'un homme peut encore me faire éprouver autre chose que l'horreur !...

Une demi-heure plus tard, elle savait que Prudence avait fait du bon travail et qu'à défaut de son âme, le mécanisme délicat de son corps ne gardait aucune trace des violences subies, que la joie d'amour était toujours la même et qu'en tout état de cause, la sagesse serait d'essayer d'oublier dès que la science de la Florentine aurait fait disparaître les dernières marques tangibles du malheur. Dans les bras de celui qui, jadis, lui avait appris l'amour, Catherine recevait un étonnant bain de jouvence car, pour Philippe, le plaisir était un art nuancé, délicat et il savait y apporter une attention et une douceur rares chez les hommes de ce temps rude. La femme qu'il enveloppait du réseau savant de ses caresses recevait tant qu'elle ne pouvait s'empêcher de donner à son tour.

Plus tard, étendue dans la soie froissée du lit tandis qu'il reposait, Catherine, les yeux grands ouverts, le corps délicieusement las mais l'esprit léger, découvrit qu'au lieu d'éprouver un quelconque remords d'avoir aussi complètement trompé Arnaud elle en tirait une satisfaction maligne comme d'une vengeance réussie mais dépourvue de toute amertume. Elle avait trop souffert par lui pour ne pas trouver à cette revanche un goût d'autant plus délicieux qu'il n'aurait pas de suite. Demain elle repartirait vers de nouvelles difficultés, de nouvelles douleurs, mais le souvenir de l'oasis rose de cette nuit des Rois lui serait secourable comme un chaud rayon de soleil entre deux ondées glaciales.

Tout à l'heure, après que Philippe eut fait exploser pour la première fois le plaisir au fond de sa chair, il avait demandé:

— Pourquoi m'as-tu dit que l'amour te faisait horreur ? Ton mari est-il donc, en définitive, cette brute sans cœur que je soupçonnais ?

Et elle s'était trouvée gênée, hésitante, tentée peut- être de lui dire la vérité. Mais dire la vérité c'était faire pénétrer la violence brutale du viol dans ce doux asile de volupté. Elle s'y était refusée et s'en était tirée par un éclat de rire et une boutade.

— Un mari ce n'est bien souvent qu'un mari ! Et puis, surtout, les temps cruels que nous vivons montrent trop souvent l'amour sous ses couleurs les plus atroces, celles de l'assouvissement brutal. J'ai vu bien des choses abominables depuis que nous nous sommes quittés...

Pour le détourner de ces questions dangereuses, elle lui avait rendu ses caresses, réveillant très vite un désir qui ne demandait que cela.

Quand les cloches du couvent voisin sonnèrent matines, le Duc s'éveilla et d'un baiser réveilla Catherine qui avait fini par s'endormir.

Il faut que je te laisse à présent, mon cœur, et Dieu m'est témoin que cela m'est pénible ; mais la nuit s'achève.

— Déjà ?

Dans l'ombre rose de l'alcôve éclairée par la veilleuse elle le vit sourire, ravi et ému.

— Merci pour ce déjà, fit-il en lui baisant la main... Mais, Catherine, si la nuit t'est apparue si brève, pourquoi ne pas la continuer... la recommencer ? Reste ! Reste-moi encore un peu.

Aujourd'hui et la nuit prochaine ! J'ai encore tant de caresses à te donner ! J'ai encore tellement envie de t'aimer.

— Non. Il ne faut pas... Car demain tu me demanderais de rester davantage et moi... oh, Philippe, non je t'en prie !...

Il étouffa sa protestation d'un baiser tandis que ses doigts légers glissaient le long de son ventre vers l'intimité déjà brûlante de sa chair qu'ils n'eurent guère de peine à forcer. Avec un soupir heureux Catherine s'abandonna, s'ouvrit comme la corolle d'une fleur sous l'assaut d'une abeille... Et la houle violente du plaisir les emporta de nouveau, si forte et si profonde que la jeune femme épuisée glissa doucement dans le sommeil.

Elle ne s'aperçut pas que Philippe glissait du lit, s'enveloppait de sa longue robe noire et quittait la chambre tiède après un dernier baiser posé sur son épaule...

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