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— Je ne connais pas Dijon soit, mais je connaissais l'homme que j'ai suivi : c'était l'un de ceux du Damoiseau et je l'ai même suivi toute la journée : il faut dire qu'il m'a fait voir du pays. Mais vous-même, dame Catherine, ne venez-vous pas de courir, vous aussi, une aventure ? J'imagine que vous n'arrivez pas du salut sous ce déguisement ?

Elle haussa les épaules, ôta ses gants et s'approchant du feu lui tendit ses paumes froides. Elle se sentait lasse mais l'esprit singulièrement vif et éveillé.

— J'ai réussi à approcher le Roi... fort heureusement d'ailleurs car, si vous avez vu un homme du Damoiseau, moi j'en ai vu un autre à la tour Neuve. Et en pleine action encore : on a tenté ce soir d'empoisonner René d'Anjou !

Gauthier cessa un instant de faire rouler ses châtaignes dans le poêlon percé de trous et leva les sourcils :

— Dans sa prison ? Au palais ?...

— Exactement : en lui servant du vin empoisonné. J'ajoute que si je n'avais pas reconnu cet homme, à l'heure qu'il est non seulement le Roi aurait cessé de vivre mais le capitaine de Roussay et moi serions morts avec lui. Une mort rapide et flatteuse, sans doute, mais tout aussi définitive qu'une autre !

Brièvement, elle raconta ce qui s'était passé dans la prison tandis que Bérenger ponctuait son récit d'exclamations indignées et que les sourcils de Gauthier se fronçaient graduellement.

Son coup fait, l'homme a disparu sans en attendre le résultat, soupira-t-elle enfin et, malgré toutes les recherches, on n'a pas pu le retrouver... J'aimerais savoir, Gauthier, ce qui vous amuse si fort dans cette histoire ? ajouta-t-elle, indignée, en constatant que son écuyer, non seulement avait perdu d'un seul coup sa mine sombre mais encore qu'il souriait, tout détendu, en épluchant ses fruits brûlants dont l'arôme emplissait la pièce.

— Simplement le fait que, parfois, le Ciel fait bien les choses tandis qu'il arrive au Diable de bâcler son travail. Comment est-il votre bonhomme ?

— Un visage blanc, plat... sans rien de bien remarquable ; des cheveux un peu roussâtres. La première fois que nous l'avons vu c'était dans l'église de Montribourg, ce village ravagé par les Écorcheurs. Il tenait le compte des fruits du pillage et je crois qu'on l'appelait le Recteur. Vous vous en souvenez peut-être...

— Je m'en souviens si bien que je l'ai suivi toute la journée, attendu toute la soirée devant la basse porte du palais et que...

— Vous savez où il est allé ? s'écria Catherine. Ce n'est pas possible ! Ce serait trop beau ?

— Pourquoi donc ? Je vous ai dit qu'il arrivait au Ciel de bien faire les choses. Tenez, dame Catherine, asseyez-vous sur cet escabeau, prenez quelques châtaignes et un gobelet de vin car vous me semblez bien lasse, et écoutez-moi.

— Lasse ou pas, il n'est pas question que je m'asseye, fit-elle avec un geste d'impatience. Vous allez venir avec moi au palais et vous indiquerez au capitaine de Roussay l'endroit où l'homme se cache afin que nous nous emparions de lui avant le jour. Allons, venez !

Mais Gauthier se cala plus commodément sur son banc et mit une poignée de châtaignes fraîches dans son poêlon.

— Il vaut mieux attendre le lever du jour et l'ouverture des portes de la ville, dame Catherine.

— L'ouverture des portes ?

— Oui. Le Recteur s'est réfugié hors des murs, au bout d'un faubourg, dans un enclos à l'écart...

— Hors des murs ? En pleine nuit ? Allons donc ! C'est impossible...

— C'est possible et je vous dirai comment si vous voulez bien m'écouter un instant.

Gauthier raconta alors comment, après une longue attente, il avait vu son homme quitter très rapidement le palais et se mettre à courir à travers les rues dans une direction qu'il semblait connaître parfaitement, et qui était celle du nord. En voyant se profiler les murailles, le poursuivant avait bien cru que sa poursuite s'arrêtait là mais le fuyard s'était approché d'une poterne dont le garde devait dormir profondément car il lui avait fallu crier le mot de passe pour l'éveiller, circonstance qui avait permis à Gauthier de l'entendre parfaitement.

Celui-ci avait donc laissé le Recteur sortir de l'enceinte puis, sans laisser au garde le temps de se rendormir, il était arrivé en courant comme s'il cherchait à rejoindre l'homme qui venait de passer. « Ça fait dix minutes que je cours après lui, confia-t-il au factionnaire, si je ne le rattrape pas, il fera demain la plus grande bêtise de sa vie... »

Puis, comme si la chose lui revenait brusquement il avait lancé le mot de passe qui était « Vergy » en ajoutant qu'il valait mieux que le garde l'attende car, sa commission faite, il entendait bien finir la nuit dans son lit à l'abri des bonnes murailles de la ville.

Tout s'était passé comme il l'imaginait. Le garde l'avait laissé passer.

Heureusement la nuit était assez claire et il avait pu apercevoir le Recteur qui était presque au bout d'un faubourg et s'enfonçait dans la campagne, se dirigeant vers un groupe de bâtiments, dominés par la flèche d'une chapelle, qui se trouvaient très à l'écart près d'un boqueteau.

— J'ai vu l'homme y entrer, conclut Gauthier et je suis revenu sans aller jusque-là. Je saurai y retourner bien sûr ; malheureusement j'ignore comment s'appelle ce faubourg et, pour la vérité de mon personnage, je n'ai pas osé le demander au garde de la porte. Quant aux bâtiments, je pense qu'il s'agit d'un couvent. Il y a un vaste enclos ceinturé de hauts murs et, en face du portail sur le bord du chemin, il y a une grande croix de pierre. J'ajoute que l'endroit m'est apparu désolé et assez sinistre.

— Faut-il franchir un ruisseau pour y aller ? demanda Catherine d'une voix si sombre que les deux garçons.la regardèrent avec surprise.

— En effet. L'homme a franchi un petit pont en quittant le faubourg. Il y a un ruisseau qui paraît le ceinturer. Mais vous êtes bien pâle tout à coup ? C'est ce couvent qui...

— Ce n'est pas un couvent. C'est la Maladière... la léproserie si vous préférez. Si c'est là que Jacquot de la Mer cache ses voyageurs compromettants, la cachette est bonne car nous aurons toutes les peines du monde à convaincre les soldats d'y aller. Et il faut que les hommes du Damoiseau soient bien déterminés - et bien payés - pour avoir accepté pareil endroit. Il est vrai que le logis des ladres et celui de ceux qui les soignent sont nettement séparés, mais tout de même

!...

Une nouvelle vague de souvenirs venait de surgir dans la mémoire de Catherine, des souvenirs qui étaient parmi les plus affreux et que ce mot de léproserie, par elle prononcé cependant, avait été remuer dans les profondeurs obscures où elle s'était toujours efforcée de les tenir'. Pour mieux les repousser, elle saisit le gobelet plein que Gauthier avait posé sur la pierre de l'âtre et le vida d'un trait. Le vin coula en elle comme une flamme et rejeta à leur abîme les ombres sinistres du passé: Elle passa sur son front sa main qui lui parut curieusement froide puis regarda tour à tour les deux garçons : Bérenger, les bras noués autour de ses genoux, sa brune figure figée d'horreur, et Gauthier qui rêvait, le regard perdu dans les flammes. Il fallait secouer cette torpeur...

— Vous ne saviez pas ce que c'était que cet enclos, dit-elle enfin en s'efforçant d'affermir sa voix,

1. Voir Belle Catherine.

pourtant vous disiez qu'il fallait attendre le jour pour y aller chercher le Recteur. Pourquoi donc ? La nuit, la surprise joue mieux.

— Peut-être mais il faut investir complètement un domaine important et il est toujours possible, à la faveur de l'obscurité, qu'un fugitif franchisse un mur, rampe dans l'herbe, s'éloigne. De jour, rien ne peut filtrer. En outre, une troupe armée, dans la nuit, fait du bruit.

L'alerte est facilement donnée alors qu'il est courant de voir, le jour, une troupe de soldats quitter une ville... Néanmoins, nous irons, dès à présent, en discuter avec votre ami le capitaine...

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