Tout cela lui paraissait inutile, oiseux, encore que les ardeurs guerrières de ceux qui l'entouraient constituassent une évidente preuve d'affection puisque apparemment il n'était pas un homme présent qui ne fût prêt à rompre des lances afin de lui rendre son bonheur. Mais voilà ! Est-ce que défier Arnaud en lutte ouverte serait vraiment le bon moyen de réparer son ménage ? A mesure que le temps passait et que la réflexion lui venait, elle en doutait de plus en plus.
Et puis elle avait appris, à ses dépens, que les décisions prises sous l'empire de la colère ne sont jamais bonnes.
Elle le dit à Sara quand elle remonta auprès d'elle pour la nuit.
— Si tous ces gens viennent ici dimanche, comme Renaud l'espère, j'ai l'intention de leur demander de ne rien faire. Cela n'aurait d'autre résultat qu'envenimer davantage encore les choses.
— Pourraient-elles l'être davantage ? Ton charmant époux a juré de te chasser à coups de fouet si tu osais seulement reparaître devant lui...
— Il ne sait ce qu'il dit quand il est hors de lui...
— Peut-être mais, ne serait-ce que par orgueil, il serait très capable de le faire. Oserais-je te rappeler qu'il a bien failli te faire pendre haut et court ?...
Catherine se laissa tomber sur le bord de son lit et, d'une main lasse, ôta la coiffe de mousseline, cependant bien légère mais dont le poids à cette heure lui semblait écrasant.
— Alors, toi aussi, tu me conseilles de prendre la tête d'une troupe armée, d'une bande dont une partie sera sans doute animée des meilleures intentions mais dont une autre pourrait bien ne voir dans l'aventure qu'une excellente occasion de piller un peu Montsalvy dont la richesse fait envie, sans parler de ce que contient notre château ?
En quelques gestes rapides de prestidigitateur, Sara défit les tresses de Catherine et se mit à lui masser la tête doucement d'abord puis de plus en plus fort.
— Je te conseille de dormir, de te reposer et de réfléchir. Depuis hier soir tu n'as guère dû en avoir le temps. Bien sûr que non, je n'ai pas envie de livrer cette bonne petite ville à des appétits toujours difficiles à contrôler. Je veux seulement que tu essaies de voir les choses en face et surtout, surtout que tu cesses de ne croire ta vie possible qu'à travers ton mari. Ne peux-tu apprendre l'égoïsme, toi aussi ? Cela ferait tellement de bien à tout le monde car c'est toi, ici-bas, qui as charge d'âmes bien plus que lui !
— Tu as raison, soupira Catherine. Je vais dormir. Ensuite je verrai peut-être plus clair. La nuit, bien souvent, m'a porté conseil...
Elle n'y manqua pas, cette fois encore et, en s'éveillant au matin sous la caresse d'un rayon de soleil qui lui chauffait le bout du nez, Catherine avait acquis la certitude qu'elle ne devait pas accepter d'être ramenée chez elle par la coalition des barons du voisinage parce qu'elle risquerait d'y perdre l'amitié et la confiance des gens de Montsalvy. Les seuls hommes sur les pas desquels il lui serait permis de rentrer la tête haute, c'était l'abbé Bernard, coseigneur de la ville ou encore le seigneur suzerain d'Arnaud, Bernard d'Armagnac, comte de Pardiac et de Carlat plus connu de ses amis sous le sobriquet de Cadet- Bernard, parce que eux seuls possédaient l'autorité légitime.
Et, quand vint le dimanche et ceux que Renaud de Roquemaurel avait conviés - car ils vinrent tous à l'exception du bailli des Montagnes qui était naturellement le plus important et de la dame de La Salle - la dame de Montsalvy après en avoir longuement conféré avec Sara, Gauthier, Josse et dame Mathilde, avait pris une décision et entendait s'y tenir. Elle le dit clairement quand, après la messe, tous se retrouvèrent réunis dans la grande salle de Roquemaurel autour des fouaces chaudes et du vin aux herbes qu'on leur servait en attendant le repas.
— Il ne me sera jamais possible, messeigneurs, de vous exprimer la reconnaissance et l'émotion que j'éprouve à vous trouver tous ici réunis. Je veux y voir la preuve d'une amitié qui m'est précieuse entre toutes. Aussi, avant de vous donner mon sentiment sur l'affaire qui nous occupe je tiens à vous dire que, ce geste généreux, ni moi ni mes enfants ne l'oublierons jamais et que, tant qu'il nous restera un souffle de vie, vous pourrez compter, en retour, sur notre fidèle amitié...
Elle s'arrêta un instant pour permettre à son regard de se poser sur chacun de ces visages si différents, jeunes ou vieux, beaux ou laids, mais de façon à ce que chacun puisse supposer qu'elle s'adressait à lui tout particulièrement. Les naïvetés de la jeunesse l'ayant quittée depuis beau temps, elle savait, à présent, le pouvoir de ses yeux couleur de violette et celui plus grand encore de son sourire. Mais quand elle regarda Archambaud de La Roque, celui-ci en profita pour remarquer :
— Ce préambule n'est pas très encourageant, dame Catherine.
Encore qu'il soit fort agréable à entendre.
Devons-nous en conclure que vous n'êtes pas décidée à rentrer chez vous par la force de nos armes ? Ce serait dommage. Nous sommes tous prêts à mourir pour vous, ajouta-t-il galamment.
C'était un très beau garçon d'environ trente-cinq ans, aussi brun que pouvait l'être Arnaud à qui d'ailleurs il ressemblait un peu grâce à un cousinage lointain ; mais ses yeux noisette avaient une douceur et un humour qui avaient toujours été fort étrangers au seigneur de Montsalvy. Et en dépit de ses propositions belliqueuses, c'était un lettré, un artiste et son aspect avait une élégance qui tranchait vigoureusement sur celui, beaucoup plus rude, de ses compagnons.
Catherine lui sourit :
— Je vous ai dit mon émotion, messire Archambaud. Mais il est vrai que je regrette la hâte affectueuse apportée par nos amis Roquemaurel à vous appeler aux armes. Ce sont moyens rudes et irrémédiables que l'épée, la lance et la hache et, avant d'y recourir, je crois qu'il faut d'abord épuiser tous les autres moyens, ceux qui sont sans danger pour quiconque. J'entends par là le raisonnement, la diplomatie, la patience, la prière...
— Le jour où l'on verra Montsalvy sensible à ce genre d'arguments, je veux bien qu'on m'ôte la tête ! s'écria Gontran de Fabrefort qui était l'inséparable complice des Roquemaurel en beuverie, coups de mains et autres réjouissances hautement édifiantes.
Aura raison celui qui sera capable de lui faire entrer son point de vue dans la tête à coups de masse d'armes.
— Il aura peut-être raison mais mon époux sera mort et ce n'est pas ce que je souhaite ! répliqua Catherine sèchement. Comprenez donc qu'en parlant raison je veux surtout éviter que la mésentente s'installe par la suite dans la région. Messire Arnaud, mon époux, ne vous pardonnerait pas de vous faire mes champions. Vous êtes ses compagnons de bataille, ses
amis de toujours et je ne suis après tout qu'une étrangère, même si je suis aussi sa femme.
— En admettant que ce soit vrai, votre fils n'est pas un étranger, lui, coupa Hughes de Ladinhac, vieux seigneur aux cheveux blancs et au profil d'oiseau de proie. Or, son père manque à la loyauté en ramenant sur nos campagnes qu'ils ravageaient hier encore les écorcheurs de Béraud d'Apchier. Pardonnez-moi mes paroles, dame Catherine, mais la femme qu'il a ramenée ne nous intéresse pas.
Chacun de nous est libre d'avoir une ou plusieurs concubines et il est peu de maisons seigneuriales sans bâtard. Mais en introduisant lui-même d'anciens ennemis dans sa ville, Montsalvy rompt le contrat féodal et ses vassaux sont en droit de le récuser. Or, comme ces braves gens en sont bien incapables, c'est à nous, ses pairs, qu'il appartient de lui rappeler ses devoirs.
— Alors tous en groupe, tels que vous êtes, allez le voir et faites-lui entendre ce que vous venez de me dire !
— Certains y sont allés parmi ceux qui avaient combattu avec lui sous Paris : Amaury de Roquemaurel, Fabrefort, La Roque...
cela n'a servi à rien.