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— C'est pas possible ! protesta quelqu'un. Elle crèvera avant. On est trop ! Mais nous, les soldats, on doit passer les premiers ! D'abord parce qu'on est pressés !...

Catherine sentit un nœud enserrer son poignet puis l'autre. Des boucles de chanvre lui entourèrent les chevilles. Sur un ordre d'Amandine, on la bâillonna puis on la porta sur le bout de la table, les jambes liées aux pieds, les reins cassés par le rebord, les bras liés pardessous... Incapable de crier, elle geignait à présent comme un animal blessé, priant de tout son cœur pour que la mort, une mort subite, lui épargnât ce qui allait venir... Mais si elle ne pouvait plus parler, elle pouvait encore entendre et ce qu'elle entendit ce fut, dans le brusque silence qui venait de se faire, le sifflement admiratif du Damoiseau.

— Par les cornes de son imbécile de mari, la garce est belle ! Ce serait dommage de ne pas en profiter ! Me laissez-vous l'étrenne, camarades

?

Une acclamation unanime lui répondit avec une bordée d'encouragements obscènes. Alors, lentement, le Damoiseau s'approcha de la femme immobile et nue, les jambes maintenues ouvertes par les cordes, exposant la toison dorée qu'avait caressée un prince et la tendre vallée qu'elle abritait... Ses mains gantées de fer s'abattirent sur les épaules douces et d'une poussée si brutale qu'elle arracha une plainte à la victime, il entra en elle...

L'assaut fut douloureux mais bref. Un autre suivit, puis un autre et encore un autre. Au parfum d'œillet du Damoiseau succéda l'odeur de graisse d'arme, de sueur, de suint et de crasse de ses hommes.

Écartelée, labourée, déchirée, tout le corps meurtri, Catherine à demi inconsciente ne pleurait plus. Sous le bâillon qui l'étouffait et lui sciait les commissures des lèvres, elle geignait doucement, de plus en plus faiblement. Sa chair, tout son être n'étaient plus que souffrance... Un assaut plus cruel que les autres la fit bienheureuse- ment basculer dans l'inconscience.

Elle était évanouie quand le Damoiseau et son escorte quittèrent le Moulin-Brûlé, la laissant livrée aux truands qu'Amandine à présent allait jeter sur le corps souillé de son ennemie afin d'achever l'avilissement et la destruction d'une beauté trop parfaite qui était peut-être son plus grand grief, même si elle ne s'en rendait pas tout à fait compte. Amandine était à ce point aveuglée par sa haine qu'elle ne comprenait même pas qu'en déchaînant sur ce pauvre corps la meute ignoble de ses compagnons, elle risquait de ne plus avoir entre les mains, après leur passage, qu'un cadavre.

Ce furent son propre gémissement qui tira Catherine de son miséricordieux évanouissement et aussi une vive sensation de froid.

Mais elle ne crut pas longtemps qu'elle avait atteint les ténèbres glacées de la mort. Une soif intense lui dévorait la gorge. Son ventre était en feu, ses chevilles et ses poignets aussi sur lesquels, en se débattant, elle avait désespérément tiré, faisant entrer les cordes dans la peau tendre. Tout cela n'appartenait que trop à la réalité, à la vie...

Elle n'avait pas encore atteint le fond de l'enfer.

Péniblement, craintivement aussi, elle entrouvrit ses paupières gonflées par les larmes, entrevit le ciel noir et une ombre plus dense qui était celle d'une branche d'arbre. Peu à peu la conscience de ce qui l'entourait lui revenait. Elle était couchée à même le sol dans une étoffe qui lui râpait la peau... Il n'y avait aucun doute : elle était encore bien vivante même si tous les démons de la cave étaient passés sur son corps, ce qu'elle n'aurait jamais cru possible.

Et puis la mémoire lui revint de ce qui l'attendait encore, de ce qu'Amandine lui avait promis : l'ensevelissement sous la terre avec un cadavre déjà en cours de putréfaction. Quelque part, dans cette obscurité, les truands devaient être en train de creuser sa tombe. Elle entendait des bruits inquiétants, des craquements, des hurlements de fous... mais elle souffrait tant qu'elle n'avait même plus vraiment peur.

Tout ce qu'elle souhaitait c'était d'être rapidement libérée de ce corps qui lui faisait si mal. Simplement, elle referma les yeux pour ne pas voir approcher Amandine et son affreuse joie...

Une main souleva sa tête. Aussitôt elle sentit, contre sa bouche, le rebord dur et froid d'un récipient.

— Tant qu'elle ne sera pas ranimée, tu ne pourras pas la faire boire, chuchota, lourde d'angoisse, la voix bien connue de Bérenger. J'ai bien peur qu'elle ne soit morte...

— Tais-toi et frotte-lui plutôt les pieds : ils sont glacés.

Alors, n'osant encore y croire, elle rouvrit les yeux, reconnut le visage de Gauthier penché sur le sien. C'était lui qui lui tenait la tête et qui essayait de la faire boire tandis que les mains chaudes de Bérenger s'emparaient de ses pieds. Instinctivement, poussée par un irrésistible besoin de revenir vers une vie qui n'était plus l'enfer, elle but une gorgée d'eau. Celle-ci n'était pas très bonne mais elle étancha un peu sa soif.

— Elle boit ! lança Gauthier triomphalement. Elle revient à elle.

Dieu soit loué !

— Je crois tout de même qu'il était temps, fit tout près une autre voix masculine qui lui parut connue mais dont elle ne réussit pas à définir le propriétaire. Tous ces démons en voulaient ! Ils l'auraient déchiquetée comme des loups !

— Nous ne vous remercierons jamais assez ! reprit Gauthier. Sans vous nous croupirions encore dans ce trou boueux et notre pauvre maîtresse serait morte. J'espère seulement qu'ils ne lui ont pas causé un dommage irréparable... Elle est tellement meurtrie.

— C'est solide, une femme ! J'en connais plus d'une qui a connu le passage de toute une compagnie et qui s'en est bien remise... Ah !

Voilà le moulin qui flambe. Ça va la réchauffer.

Par-dessus le bord de l'écuelle où elle buvait à présent avec avidité, Catherine vit s'éclairer et rougir le cours de la rivière sur la berge de laquelle elle était étendue. En même temps s'élevait une tempête de cris et de plaintes mêlés à des bruits qu'elle ne pouvait encore définir et qui dominaient celui des roues à aubes.

Elle vit aussi Bérenger à peu près nu qui pleurait sans retenue sur ses pieds et l'homme dont elle n'avait pas reconnu la voix et qui se tenait debout près de l'eau, regardant l'incendie. C'était le mendiant de Notre-Dame, c'était Jehan des Ecus...

Tournant un peu la tête, elle vit de hautes flammes lécher la masse informe de l'ancien moulin et, sur ce fond infernal, des silhouettes noires de soldats qui brandissaient des torches ou des armes. Une ligne d'archers rangés en bon ordre abattait de ses flèches tout ce qui réussissait à échapper à la fournaise.

— Comment vous sentez-vous ? demanda doucement Gauthier.

— Comme si l'on m'avait mise sur la roue et rompue. Je crois...

qu'il n'y a pas un pouce de moi qui ne soit douloureux...

— Dès que messire de Roussay aura achevé son ouvrage, on vous rapportera chez dame Symonne et l'on vous soignera.

— Roussay ?... Mais que s'est-il passé ? Comment... suis-je ici ?...

— Grâce à cet homme, dit le jeune homme en désignant Jehan des Ecus qui lui souriait, dressé devant l'incendie du moulin comme Néron devant celui de Rome. Il allait rejoindre quelques-uns de ses confrères dans cette ruine quand on vous y a traînée. Et il a vite compris que ce n'était pas pour vous y offrir des fleurs. Alors, il est rentré dans la ville et il est allé dire ce qu'il avait vu à messire de Roussay. Il a perdu un peu de temps parce qu'il l'a cherché d'abord au palais puis chez sa bonne amie dont, heureusement il connaissait l'adresse... La pitié de Dieu a bien voulu que le capitaine arrive à temps pour vous sauver... et nous délivrer !

Le regard de Catherine croisa celui, plein de pitié, du faux moine. Elle devait être dans un triste état pour qu'il la regardât ainsi, mais elle s'efforça de lui sourire, sachant bien la valeur de ce qu'il avait fait pour elle.

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