— Vraiment ? Cela vous va bien, en ce cas, de jouer les veuves éplorées ! railla Catherine.
La pâle figure d'Amandine se convulsa de fureur tandis que ses lèvres, à nouveau, se retroussaient sur ses gencives.
— Espèce de garce ! T'es idiote ou tu fais semblant ? Ecoute bien !
Avant ce vieux grigou de Mathieu j'étais une fille publique mais discrète. Mon échoppe de friperie me servait autant d'alcôve que de boutique mais c'était une façade convenable. Je m'étais fait une bonne petite clientèle, dans les bons endroits, mais ça c'était le travail. Colin, mon Colin,
c'était mon homme à moi ! Je turbinais pour lui plus que pour moi-même parce qu'il était le seul qui comptait. C'était mon cœur, mon sang, mes tripes...
Sa voix tendue se brisa sur un sanglot puis reprit, rauque et lasse :
— Et maintenant... jusqu'à la fin de mes jours et de mes nuits j'entendrai son hurlement quand on l'a jeté dans la chaudière ! à cause de toi, putain, et de ta bourrique de sœur je pourrai plus jamais dormir vraiment, moi !... Mais il va bientôt être vengé, sois tranquille et c'est même lui qui va te punir.
Saisissant Catherine par le bras avec une force nerveuse insoupçonnable chez une femme de cette taille, elle l'entraîna derrière la table sur laquelle, au passage, elle rafla une chandelle, puis se pencha vers une masse informe qui bosselait la terre sous une toile de bâche qu'elle arracha...
Révulsée d'horreur, Catherine tenta désespérément de reculer, le cœur au bord des lèvres à la vue du cadavre hideux de l'ex-Philibert La Verne. Mais Amandine tenait bon.
— Regarde dans quel état on me l'a mis ! J'espère qu'il te plaît, à présent, ton ouvrage, parce que jusqu'à ton dernier souffle tu vas pouvoir en profiter. Tout à l'heure, je te le ferai épouser !
— Lâchez-moi ! Vous êtes folle !... Que voulez- vous dire ?
Les traits de la femme se tordirent sous l'empire d'une joie sauvage.
Elle savourait dans chaque fibre de son être la terreur que Catherine n'arrivait plus à dissimuler, faisant de vains efforts pour se libérer de l'étau qui lui meurtrissait le bras.
Que dans un moment, articula-t-elle lentement pour que chacun pût bien apprécier ses paroles... quand tu auras fait ce qu'il faut pour remercier ces bons garçons qui m'ont aidée depuis notre arrestation à tous les deux, on t'attachera au corps de mon pauvre Colin et on vous enterrera tous les deux ! Ça sera pour lui une bien douce consolation que coucher enfin avec la putain du grand duc d'Occident ! Après...
quand tu seras bien morte, on te déterrera et on te jettera sur un fumier, ma belle, parce que mon Colin il n'a pas besoin d'une ribaude pour dormir son dernier sommeil...
Au prix d'un effort désespéré, Catherine recrue d'horreur réussit à arracher son bras. Affolée, cherchant désespérément un refuge, une aide dans cette masse de visages inconnus, une simple expression de pitié à laquelle il fût possible d'accrocher un espoir. Mais elle ne put y lire que la stupidité ou une ignoble joie. Ces brutes se pourléchaient déjà à l'idée du spectacle promis. Alors, apercevant le Damoiseau qui, toujours revêtu de sa robe de moine, se tenait à quelques pas avec ses deux lieutenants, observant la scène, elle courut à lui, s'accrochant à la bure noire de sa manche.
— Je vous en supplie, messire... sauvez-moi de cette folle ! Si vous croyez avoir à vous plaindre de moi, tuez-moi mais ne me laissez pas subir la vengeance infâme de cette femme. Je porte toujours le nom de votre ami, de votre compagnon d'armes... je suis toujours une noble dame et mon époux a de moi mes enfants. Ne les laissez pas déshonorer par une malade !
D'une main impatiente, il détacha les doigts qui s'accrochaient à lui.
— Les histoires de femmes ne m'ont jamais intéressé ! dit-il froidement en haussant les épaules. Et puis j'ai promis... N'as-tu rien d'autre à me donner, Amandine ? C'est maigre.
— Si, monseigneur ! Voici la clef de la prison que l'on a faite d'après l'empreinte de cire que mon ami m'a donnée. Vous n'aurez aucune peine à pénétrer auprès du prisonnier.
— Et vous allez le tuer ainsi, lâchement, dans l'obscurité d'une geôle ? souffla Catherine si bouleversée qu'elle en oublia un instant sa propre terreur ;
vous, un capitaine, un chevalier je le répète, lui... un Roi !
— Vous n'y êtes pas, belle dame, dit le Damoiseau en soupesant la grosse clef que l'on venait de lui donner. Il n'est pas question d'un assassinat... mais d'une évasion, d'une évasion qui va réussir ! Nous autres, fidèles sujets du roi Charles, septième du nom, allons risquer nos vies pour libérer son beau-frère et le tirer des griffes de Philippe !
Nous allons lui faire quitter la ville par le chemin même que vous venez d'emprunter... Évidemment, il sera très vite repris et alors, un coup malheureux remettra en question la succession du royaume de Sicile !...
D'un vif mouvement, il lança la clef à l'un des deux hommes qui portaient, comme lui, un habit de moine...
— Tu as compris, Gerhardt ? Prends et fais vite ! Tu nous rejoindras sur la route de Langres... là où tu sais !
— C'est compris, capitaine ! fit l'homme avec un fort accent germanique. Allez, vous autres ! On y va ! Et toi, mon garçon, ajouta-t-il en tapant sur l'épaule de celui qui portait le costume de Bérenger, tâche de bien jouer ton rôle ! Sinon je t'embroche !
Une dizaine d'hommes se séparèrent de l'assemblée. Ils étaient armés jusqu'aux dents mais, avant de sortir, ils revêtirent tous un tabard aux couleurs de Bourgogne qui, dans les rues de la ville, n'attireraient pas l'attention...
Espérant recevoir un coup de dague ou un coup d'épée, Catherine voulut se jeter sur eux mais instantanément, plusieurs paires de mains s'abattirent sur elle, l'immobilisant et la ramenant vers Robert de Sarrebruck qui, écartant sa robe et dévoilant ses jambes vêtues de fer, s'asseyait négligemment sur un coin de la table. Il choisit un nouveau clou de girofle puis, aussi aimablement que s'il la rencontrait dans une fête, sourit à Catherine dont les yeux brouillés de larmes ne voyaient plus rien.
— J'espère, ma chère, que vous admirez la finesse de mon plan : des serviteurs dévoués, les miens, auront arraché le Roi à sa prison mais d'affreux Bourguignons l'auront repris et vilainement occis.
Nous recevrons, plus tard, honneur et gloire. Philippe de Bourgogne portera toute la responsabilité du meurtre et la guerre, la bonne guerre fraîche et joyeuse, se rallumera entre France et Bourgogne pour bon nombre d'années... Enfin nous serons débarrassés de ce roitelet qui gênait trop de monde pour vivre vieux !
— Et qui avait osé, n'est-ce pas, vous tenir en prison et y tenir encore votre jeune fils ?
— Tout à fait exact ! Je n'aime pas laisser mes dettes impayées.
C'est un principe. Alors, femme, qu'attends-tu pour faire commencer les réjouissances ? Je devrai vous quitter avant la fin du spectacle mais j'aimerais assez participer au début... et faire participer quelques-uns de mes hommes avant de reprendre la route !...
— J'attendais seulement votre ordre, monseigneur ! Allez, vous autres ! Déshabillez-la !
Instantanément, les mains qui tenaient Catherine s'activèrent en dépit des efforts désespérés qu'elle faisait pour leur échapper. Un couteau trancha les lacets de sa robe et, à grandes déchirures de tissu, on la dépouilla avec une hâte qui disait assez quel plaisir ses bourreaux y prenaient, sans oublier de pétrir et de pincer sa chair au passage. Une véritable tempête de rires et de jurons couvrit ses cris et ses supplications... Elle était à présent au centre d'un enfer de trognes immondes et de figures hideuses, soldats et ribauds mêlés et se battant déjà à qui la toucherait le premier.
La voix du Damoiseau domina le tumulte.
— Attachez-la sur la table, bande d'abrutis ! Et ne vous battez pas.
Il y en aura pour tout le monde !