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Puis la princesse attendait qu’une autre visite se présentât.

Philippe demeurait le dernier. Il avait vu déjà les yeux de la dauphine se tourner vers lui, comme si elle eût cherché à le reconnaître; alors il rougissait et tâchait de prendre, à sa place, l’attitude la plus modeste et la plus patiente.

L’huissier vint enfin lui demander s’il ne se présentait pas aussi, attendu que madame la dauphine n’allait pas tarder à rentrer, et que, une fois rentrée, elle ne recevait plus personne.

Philippe s’avança donc. La dauphine ne le perdit pas du regard pendant tout le temps qu’il mit à franchir cette distance de cent pas, et lui choisit le moment le plus favorable pour bien placer son salut respectueux.

La dauphine, se tournant vers l’huissier:

– Le nom de cette personne qui salue? dit-elle.

L’huissier lut sur le billet d’audience:

– M. Philippe de Taverney, madame, répliqua-t-il.

– C’est vrai…, dit la princesse.

Et elle attacha sur le jeune homme un plus long, un plus curieux regard.

Philippe attendait à demi courbé.

– Bonjour, monsieur de Taverney, dit Marie-Antoinette. Comment se porte mademoiselle Andrée?

– Assez mal, madame, répliqua le jeune homme; mais ma sœur sera bien heureuse de ce témoignage d’intérêt que daigne lui donner Votre Altesse royale.

La dauphine ne répondit pas; elle avait lu bien des souffrances sur les traits amaigris et pâles de Philippe; elle reconnaissait bien difficilement sous l’habit modeste du citadin ce bel officier qui, le premier, lui avait servi de guide sur la terre de France.

– Monsieur Mique, dit-elle en se rapprochant de l’architecte, nous sommes donc convenus de l’ornement de la salle de danse; la plantation du bois voisin est déjà décidée. Pardonnez-moi de vous avoir tenu au froid si longtemps.

C’était le congé. Mique salua et partit.

La dauphine salua aussitôt toutes les personnes qui attendaient à quelque distance, et ces personnes se retirèrent immédiatement. Philippe crut que ce salut l’allait atteindre comme les autres, et déjà son cœur souffrait, lorsque la princesse, passant devant lui:

– Vous disiez donc, monsieur, continua-t-elle, que votre sœur est malade?

– Sinon malade, madame, se hâta de répondre Philippe, du moins languissante.

– Languissante! s’écria la dauphine avec intérêt; une si belle santé!

Philippe s’inclina. La jeune princesse lui lança encore un de ces regards investigateurs que, chez un homme de sa race, on eût appelé un regard de l’aigle. Puis, après une pause:

– Permettez que je marche un peu, dit-elle, le vent est froid.

Elle fit quelques pas; Philippe était resté en place.

– Quoi! vous ne me suivez pas? dit Marie-Antoinette en se retournant.

Philippe, en deux bonds, fut près d’elle.

– Pourquoi donc ne m’avez-vous pas prévenue plus tôt de cet état de mademoiselle Andrée, à qui je m’intéresse?

– Hélas! dit Philippe, Votre Altesse vient de dire le mot… Votre Altesse s’intéressait à ma sœur… mais, maintenant…

– Je m’intéresse encore, sans doute, monsieur… Cependant, il me semble que mademoiselle de Taverney a quitté mon service bien prématurément.

– La nécessité, madame! dit tout bas Philippe.

– Quoi! ce mot est affreux: la nécessité!… Expliquez-moi ce mot, monsieur.

Philippe ne répondit pas.

– Le docteur Louis, continua la dauphine, m’a raconté que l’air de Versailles était funeste à la santé de mademoiselle de Taverney; que cette santé se rétablirait dans le séjour de la maison paternelle… Voilà tout ce qu’on m’a dit; or, votre sœur m’a rendu une seule visite avant son départ. Elle était pâle, elle était triste; je dois dire qu’elle me témoigna beaucoup de dévouement dans cette dernière entrevue, car elle pleura des larmes abondantes!

– Des larmes sincères, madame, dit Philippe, dont le cœur battait violemment, des larmes qui ne sont pas taries.

– J’ai cru voir, poursuivit la princesse, que monsieur votre père avait forcé sa fille à venir à la cour, et que, sans doute, cette enfant regrettait votre pays, quelque affection…

– Madame, se hâta de dire Philippe, ma sœur ne regrette que Votre Altesse.

– Et elle souffre… Maladie étrange, que l’air du pays devait guérir, et que l’air du pays aggrave.

– Je n’abuserai pas Votre Altesse plus longtemps, dit Philippe; la maladie de ma sœur est un profond chagrin qui l’a conduite à un état voisin du désespoir. Mademoiselle de Taverney n’aime cependant au monde que Votre Altesse et moi, mais elle commence à préférer Dieu à toutes les affections, et l’audience que j’ai eu l’honneur de solliciter, madame, a pour but de vous demander votre protection relativement à ce désir de ma sœur.

La dauphine leva la tête.

– Elle veut entrer en religion, n’est-ce pas?

– Oui, madame.

– Et vous souffrirez cela, vous qui aimez cette enfant?

– Je crois juger sainement sa position, madame, et ce conseil est venu de moi. Cependant, j’aime assez ma sœur pour que ce conseil ne soit pas suspect, et le monde ne l’attribuera point à mon avarice. Je n’ai rien à gagner à la claustration d’Andrée: nous ne possédons rien ni l’un ni l’autre.

La dauphine s’arrêta, et, jetant à la dérobée un nouveau regard sur Philippe:

– Voilà ce que je disais tout à l’heure quand vous n’avez pas voulu me comprendre, monsieur; vous n’êtes pas riche?

– Votre Altesse…

– Pas de fausse honte, monsieur; il s’agit du bonheur de cette pauvre fille… Répondez-moi sincèrement, comme un honnête homme… que vous êtes, j’en suis certaine.

L’œil brillant et loyal de Philippe rencontra celui de la princesse et ne se baissa point.

– Je répondrai, madame, dit-il.

– Eh bien, est-ce par nécessité que votre sœur veut quitter le monde? Qu’elle parle! Bon Dieu! les princes sont malheureux! Dieu leur a donné un cœur pour plaindre les infortunes, mais il leur a refusé cette clairvoyance suprême qui devine le malheur sous les voiles de la discrétion. Répondez donc franchement: est-ce cela?

– Non, madame, dit Philippe avec fermeté; non, ce n’est pas cela; pourtant, ma sœur désire entrer au couvent de Saint-Denis, et nous ne possédons que le tiers de la dot.

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