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– En vérité, monsieur, dit-il, vous n’eussiez pas dû revenir sur ce sujet et me chercher ainsi une éternelle querelle: je suis venu ici par condescendance et par intérêt pour vous; il me semble que vous l’oubliez. Vous êtes jeune, vous êtes officier, vous avez l’habitude de parler haut en mettant la main sur un pommeau d’épée: tout cela vous fait raisonner faux en de graves circonstances. J’ai fait là-bas, chez moi, plus que je n’eusse dû faire pour vous convaincre et obtenir de vous un peu de repos. Vous recommencez; prenez-y garde, car, si vous me fatiguez, je m’endormirai dans la profondeur de mes chagrins, auprès desquels les vôtres, je vous jure, sont des passe-temps folâtres, et, quand je dors ainsi, monsieur, malheur à qui me réveille! Je ne suis point entré dans la chambre de votre sœur, voilà tout ce que je puis vous dire; c’est votre sœur qui, de son propre mouvement, auquel, je vous l’avoue, ma volonté avait une grande part, c’est votre sœur qui est venue me trouver au jardin.

Philippe fit un mouvement, mais Balsamo l’arrêta.

– Je vous ai promis une preuve, continua-t-il, je vous la donnerai. Est-ce tout de suite? Soit. Entrons à Trianon, plutôt que de perdre le temps à des inutilités. Préférez-vous attendre? Attendons, mais en silence et sans commotion, s’il vous plaît.

Cela dit, et de l’air que nos lecteurs lui connaissent, Balsamo éteignit l’éclair fugitif de son regard et se replongea dans sa méditation.

Philippe poussa un sourd rugissement, comme fait la bête farouche qui s’apprête à mordre; puis, changeant soudain d’attitude et de pensée:

– Avec cet homme, dit-il, il faut persuader ou dominer par une supériorité quelconque. Je n’ai pour l’heure aucun moyen de domination ou de persuasion; prenons patience.

Mais, comme il lui était impossible de prendre patience près de Balsamo, il sauta à bas de la voiture et commença d’arpenter l’allée verdoyante dans laquelle le carrosse était arrêté.

Au bout de dix minutes, Philippe sentit qu’il lui était impossible d’attendre plus longtemps.

Il préféra donc se faire ouvrir la grille avant l’heure, au risque d’éveiller les soupçons.

– D’ailleurs, murmurait Philippe caressant une idée qui, plusieurs fois déjà, s’était présentée à son esprit, d’ailleurs, quels soupçons peut concevoir le suisse si je lui dis que la santé de ma sœur m’a inquiété à ce point d’aller à Paris chercher un médecin, et d’amener ce médecin ici dès le lever du soleil?

Adoptant cette idée, qui, par le désir qu’il avait de la mettre à exécution, avait peu à peu perdu tous ses dangers, il courut au carrosse.

– Oui, monsieur, dit-il, vous aviez raison, il est inutile d’attendre plus longtemps. Venez, venez…

Mais il fallut qu’il renouvelât cet avertissement; à la seconde fois seulement, Balsamo se débarrassa de son manteau, dans lequel il était enveloppé, ferma sa houppelande sombre à boutons d’acier bruni, et sortit du carrosse.

Philippe prit un sentier qui le conduisit à la grille du parc, avec toute l’économie des diagonales.

– Marchons vite, dit-il à Balsamo.

Et son pas devint en effet si rapide, que Balsamo eut peine à le suivre.

La grille s’ouvrit, Philippe donna son explication au suisse, les deux hommes passèrent.

Lorsque la grille fut refermée sur eux, Philippe s’arrêta encore une fois.

– Monsieur, lui dit-il, un dernier mot… Nous voici au terme; je ne sais quelle question vous allez poser à ma sœur; épargnez-lui au moins le détail de l’horrible scène qui a pu se passer durant son sommeil. Épargnez la pureté de l’âme, puisque c’en est fait de la virginité du corps.

– Monsieur, répondit Balsamo, écoutez bien ceci: je ne suis jamais entré dans le parc plus loin que ces futaies que vous voyez là-bas, en face des bâtiments où loge votre sœur. Je n’ai, par conséquent jamais pénétré dans la chambre de mademoiselle de Taverney, comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire. Quant à la scène dont vous redoutez l’effet sur l’esprit de mademoiselle votre sœur, cet effet ne se produira que pour vous, et sur une personne endormie, attendu que, dès à présent, dès ce pas que je fais, je vais ordonner à mademoiselle votre sœur de tomber dans le sommeil magnétique.

Balsamo fit une halte, croisa ses bras, se tourna vers le pavillon qu’habitait Andrée, et demeura un instant immobile, les sourcils froncés et avec l’expression de la volonté toute-puissante étendue sur sa physionomie.

– Et tenez, dit-il en laissant retomber ses bras, mademoiselle Andrée doit être endormie à cette heure.

La physionomie de Philippe exprima le doute.

– Ah! vous ne me croyez pas? reprit Balsamo. Eh bien! attendez. Pour bien vous prouver que je n’ai pas eu besoin d’entrer chez elle, je vais lui commander, tout endormie qu’elle est, de venir nous trouver au bas des degrés, à l’endroit même où je lui parlai lors de notre derrière entrevue.

– Soit, dit Philippe; quand je verrai cela, je croirai.

– Approchons-nous jusque dans cette allée, et attendons derrière la charmille.

Philippe et Balsamo allèrent prendre la place désignée.

Balsamo étendit la main vers l’appartement d’Andrée.

Mais il était à peine dans cette attitude qu’un léger bruit se fit entendre dans la charmille voisine.

– Un homme! dit Balsamo. Prenons garde.

– Où cela? demanda Philippe en cherchant des yeux celui que lui signalait le comte.

– Là, dans le taillis à gauche, dit celui-ci.

– Ah! oui, dit Philippe, c’est Gilbert, un ancien serviteur à nous.

– Avez-vous quelque chose à craindre de ce jeune homme?

– Non, je ne crois pas; mais n’importe, arrêtez, monsieur: si Gilbert est levé, d’autres peuvent être levés comme lui.

Pendant ce temps, Gilbert s’éloignait épouvanté; car, en apercevant ensemble Philippe et Balsamo, il comprenait instinctivement qu’il était perdu.

– Eh bien, monsieur, demanda Balsamo, à quoi vous décidez-vous?

– Monsieur, dit Philippe éprouvant malgré lui l’espèce de charme magnétique que cet homme répandait autour de lui, monsieur, si réellement votre pouvoir est assez grand pour amener mademoiselle de Taverney jusqu’à nous, manifestez ce pouvoir par un signe quelconque, mais n’amenez pas ma sœur à un endroit découvert comme celui-ci, où le premier venu puisse entendre vos questions et ses réponses.

– Il était temps, dit Balsamo, saisissant le bras du jeune homme et lui montrant, à la fenêtre du corridor des communs, Andrée, blanche et sévère, qui sortait de sa chambre, et, obéissant à l’ordre de Balsamo, s’apprêtait à descendre l’escalier.

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