Philippe, tout occupé de recevoir le docteur, n’avait rien vu.
– Docteur, dit-il, soyez le bienvenu et pardonnez-moi ma façon un peu brusque; quand je vous ai abordé, il y a une heure, j’étais aussi agité que je suis calme en ce moment.
Le docteur cessa pour un instant de regarder Andrée et laissa tomber son observation sur le jeune homme, dont il analysa le sourire et l’épanouissement.
– Vous avez causé avec mademoiselle votre sœur, comme je vous en ai donné le conseil? demanda-t-il.
– Oui, docteur, oui.
– Et vous êtes rassuré?
– J’ai le ciel de plus et l’enfer de moins dans le cœur.
Le docteur prit la main d’Andrée et tâta longuement le pouls de la jeune fille.
Philippe la regardait et semblait dire:
«Oh! faites, docteur; je ne crains plus maintenant les commentaires du médecin.»
– Eh bien, monsieur? dit-il d’un air de triomphe.
– Monsieur le chevalier, répondit le docteur Louis, veuillez me laisser seul avec votre sœur.
Ces mots, prononcés simplement, abattirent l’orgueil du jeune homme.
– Quoi! encore? dit-il.
Le docteur fit un geste.
– C’est bien, je vous laisse, monsieur, répliqua Philippe d’un air sombre.
Puis, à sa sœur:
– Andrée, continua-t-il, soyez loyale et franche avec le docteur.
La jeune fille haussa les épaules, comme si elle ne pouvait même pas comprendre ce qu’on lui voulait dire.
Philippe reprit:
– Mais, tandis qu’il va vous questionner sur votre santé, j’irai faire un tour dans le parc. L’heure à laquelle j’ai demandé mon cheval n’est point encore venue, en sorte que je pourrai te revoir avant mon départ, et causer encore un instant avec toi.
Et il serra la main d’Andrée en essayant de sourire.
Mais il y avait pour la jeune fille quelque chose de contraint et de convulsif dans ce serrement et dans ce sourire.
Le docteur reconduisit gravement Philippe jusqu’à la porte d’entrée, qu’il ferma.
Après quoi, il revint s’asseoir sur le même sofa où Andrée était assise.
Chapitre CXLIV La consultation
Le plus profond silence régnait dehors.
Pas un souffle de vent ne passait dans l’air, pas une voix humaine ne retentissait; la nature était calme.
D’un autre côté, tout le service de Trianon était terminé; les gens des écuries et des remises avaient regagné leurs chambres; la petite cour était déserte.
Andrée sentait bien au fond de son cœur quelque émotion de l’espèce d’importance que Philippe et le médecin donnaient à cette maladie.
Elle s’étonnait bien un peu de cette singularité du retour du docteur Louis, qui, le matin même, avait déclaré la maladie insignifiante et les remèdes inutiles; mais, grâce à sa candeur profonde, le miroir resplendissant de l’âme n’était pas même terni par le souffle de tous ces soupçons divers.
Tout à coup, le médecin, qui n’avait cessé de la regarder, après avoir dirigé sur elle la lumière de la lampe, lui prit la main comme un ami ou un confesseur, et non plus le pouls comme un médecin.
Ce geste inattendu étonna beaucoup la susceptible Andrée; elle fut un moment près de retirer sa main.
– Mademoiselle, demanda le docteur, est-ce vous qui avez désiré me voir, ou n’ai-je cédé, en revenant, qu’au désir de votre frère?
– Monsieur, répondit Andrée, mon frère est rentré en m’annonçant que vous alliez revenir; mais, d’après ce que vous m’aviez fait l’honneur de me dire ce matin du peu de gravité de ma maladie, je n’eusse point pris la liberté de vous déranger de nouveau.
Le docteur s’inclina.
– Monsieur votre frère, continua-t-il, paraît très emporté, jaloux de son honneur, et intraitable sur certaines matières; voilà sans doute pourquoi vous avez refusé de vous ouvrir à lui?
Andrée regarda le docteur comme elle avait regardé Philippe.
– Vous aussi, monsieur? dit-elle avec une suprême hauteur.
– Pardon, mademoiselle, laissez-moi achever.
Andrée fit un geste qui indiquait la patience, ou plutôt la résignation.
– Il est donc naturel, continua le docteur, qu’en voyant la douleur et qu’en pressentant la colère de ce jeune homme, vous ayez obstinément gardé votre secret; mais vis-à-vis de moi, mademoiselle, de moi qui suis, croyez-le bien, le médecin des âmes autant que celui du corps, de moi qui vois et qui sais, de moi qui, par conséquent, vous épargne la moitié du pénible chemin des révélations, j’ai le droit d’attendre que vous soyez plus franche.
– Monsieur, répondit Andrée, si je n’avais vu le visage de mon frère s’assombrir et prendre le caractère d’une véritable douleur, si je ne consultais votre extérieur vénérable et la réputation de gravité dont vous jouissez, je croirais que vous vous entendez tous deux pour jouer une comédie à mes dépens, et pour me faire prendre, à la suite de la consultation, par suite de la peur que vous m’auriez faite, quelque médecine bien noire et bien amère.
Le docteur fronça le sourcil.
– Mademoiselle, dit-il, je vous en supplie, arrêtez-vous dans cette voie de dissimulation.
– De dissimulation! s’écria Andrée.
– Aimez-vous mieux que je dise d’hypocrisie?
– Mais, monsieur, s’écria la jeune fille, vous m’offensez!
– Dites que je vous devine.
– Monsieur!
Andrée se leva; mais le docteur la força doucement à se rasseoir.
– Non, continua-t-il, non, mon enfant, je ne vous offense pas, je vous sers; et, si je vous convaincs, je vous sauve!… Ainsi, ni votre regard courroucé, ni l’indignation feinte qui vous anime, ne me feront changer de résolution.
– Mais que voulez-vous, qu’exigez-vous, mon Dieu?
– Avouez, ou, sur mon honneur, vous me donnerez de vous une misérable opinion.
– Monsieur, encore une fois, mon frère n’est point là pour me défendre, et je vous dis que vous m’insultez, et que je ne comprends pas, et que je vous somme de vous expliquer clairement, nettement, à propos de cette prétendue maladie.
– Pour la dernière fois, mademoiselle, reprit le docteur étonné, voulez-vous m’épargner la douleur de vous faire rougir?