– Oh! oh! dit la comtesse, il y a peut-être bien encore quelque autre chose que vous ne dites pas; le caprice… ce n’est guère pour un homme comme vous.
– Comtesse, vous auriez tort de m’accabler, je vaux mieux que ma réputation, et, si je reviens, voyez-vous, c’est…
– C’est…? interrogea la comtesse.
– De tout cœur.
M. d’Aiguillon et la comtesse éclatèrent de rire.
– Que nous sommes heureux d’avoir un peu d’esprit, dit la comtesse, pour comprendre tout l’esprit que vous avez!
– Comment?
– Oui, je vous jure que des imbéciles ne comprendraient pas, resteraient tout ébahis, et chercheraient tout autre part la cause de ce retour; en vérité, foi de du Barry, il n’y a que vous, cher duc, pour faire des entrées et des sorties; Molé, Molé lui-même, est un acteur de bois auprès de vous.
– Alors, vous ne croyez pas que c’est le cœur qui me ramène? s’écria Richelieu. Comtesse, comtesse, prenez garde! vous me donnerez de vous une mauvaise idée; oh! ne riez pas, mon neveu, ou je vous appelle Pierre, et je ne bâtis rien sur vous.
– Pas même un petit ministère? demanda la comtesse.
Et, pour la seconde fois, la comtesse éclata de rire avec une franchise qu’elle ne cherchait point à déguiser.
– Bon! frappez, frappez, fit Richelieu en faisant le gros dos, je ne vous le rendrai pas, hélas! je suis trop vieux, je n’ai plus de défense; abusez, comtesse, abusez, c’est maintenant un plaisir sans danger.
– Prenez garde, au contraire, comtesse, dit d’Aiguillon; si mon oncle vous parle encore une fois de sa faiblesse, nous sommes perdus. Non, monsieur le duc, nous ne vous battrons pas, car, tout faible que vous êtes ou que vous prétendez être, vous nous rendriez les coups avec usure; non, voici toute la vérité, on vous voit revenir avec joie.
– Oui, dit la folle comtesse, et, en honneur de ce retour, on tire les boîtes, les fusées; et vous le savez, duc…
– Je ne sais rien, madame, dit le maréchal avec une naïveté d’enfant.
– Eh bien, dans les feux d’artifice, il y a toujours quelque perruque roussie par les étincelles, quelque chapeau crevé par les baguettes.
Le duc porta la main à sa perruque et regarda son chapeau.
– C’est cela, c’est cela, dit la comtesse; mais vous nous revenez, c’est au mieux; quant à moi, je suis, comme vous le disait M. d’Aiguillon, d’une gaieté folle; savez-vous pourquoi?
– Comtesse, comtesse, vous allez encore me dire quelque méchanceté.
– Oui; mais ce sera la dernière.
– Eh bien, dites.
– Je suis gaie, maréchal, parce que votre retour m’annonce le beau temps.
Richelieu s’inclina.
– Oui, continua la comtesse, vous êtes comme les oiseaux poétiques qui prédisent le calme; comment appelle-t-on ces oiseaux-là, monsieur d’Aiguillon, vous qui faites des vers?
– Des alcyons, madame.
– Justement! Ah! maréchal, vous ne vous fâcherez pas, j’espère; je vous compare à un oiseau qui a un bien joli nom.
– Je me fâcherai d’autant moins, madame, fit Richelieu avec sa petite grimace qui annonçait la satisfaction, et la satisfaction de Richelieu présageait toujours quelque bonne noirceur, je me fâcherai d’autant moins que la comparaison est exacte.
– Voyez-vous!
– Oui, j’apporte de bonnes, d’excellentes nouvelles.
– Ah! fit la comtesse.
– Lesquelles? demanda d’Aiguillon.
– Que diable! mon cher duc, vous êtes bien pressé, dit la comtesse; laissez donc le temps au maréchal de les faire.
– Non, le diable m’emporte; je puis vous les dire tout de suite; elles sont toutes faites, et même elles sont déjà d’ancienne date.
– Maréchal, si vous nous apportez des vieilleries…
– Dame! fit le maréchal, c’est à prendre ou à laisser, comtesse.
– Eh bien, soit! prenons.
– Il paraît, comtesse, que le roi a donné dans le piège.
– Dans le piège?
– Oui, complètement.
– Dans quel piège?
– Dans celui que vous lui aviez tendu.
– Moi, fit la comtesse, j’avais tendu un piège au roi?
– Parbleu! vous le savez bien.
– Non, sur ma parole, je ne le sais pas.
– Ah! comtesse, ce n’est pas aimable de me mystifier ainsi.
– Vrai, maréchal, je n’y suis pas; expliquez-vous donc, je vous en supplie.
– Oui, mon oncle, expliquez-vous, dit d’Aiguillon, qui devinait quelque méchant dessein sous le sourire ambigu du maréchal; madame attend et est tout inquiète.
Le vieux duc se retourna vers son neveu.
– Pardieu! dit-il, il serait drôle que madame la comtesse ne vous eût pas mis dans sa confidence, mon cher d’Aiguillon; ah! dans ce cas, ce serait bien autrement profond encore que je ne croyais.
– Moi, mon oncle?
– Lui?
– Sans doute, toi; sans doute, lui; voyons, comtesse, de la franchise: l’avez-vous mis de moitié dans vos petites conspirations contre Sa Majesté… ce pauvre duc, qui y a joué un si grand rôle?
Madame du Barry rougit. Il était si matin, qu’elle n’avait encore ni rouge ni mouches; rougir était donc possible.
Mais rougir était surtout dangereux.
– Vous me regardez tous deux avec vos grands beaux yeux étonnés, dit Richelieu; il faut donc que je vous instruise de vos propres affaires?
– Instruisez, instruisez, dirent à la fois le duc et la comtesse.
– Eh bien, le roi aura pénétré tout, grâce à sa merveilleuse sagacité, et il aura pris peur.
– Qu’aura-t-il pénétré? Voyons, demanda la comtesse; car, en vérité, maréchal, vous me faites mourir d’impatience.
– Mais votre semblant d’intelligence avec mon beau neveu que voici…
D’Aiguillon pâlit et sembla dire par son regard à la comtesse: «Voyez vous, j’étais sûr d’une méchanceté.»
Les femmes sont braves, en pareil cas, beaucoup plus braves que les hommes. La comtesse en vint tout de suite au combat.
– Duc, dit-elle, je crains les énigmes lorsque vous remplissez le rôle de sphinx; car alors, un peu plus tôt, un peu plus tard, il me semble que je vais être immanquablement dévorée: tirez-moi d’inquiétude, et, si c’est une plaisanterie, eh bien, permettez-moi de la trouver mauvaise.