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– Comment cela? demanda la comtesse; vous saviez donc que j’arrivais?

– Oui, madame; il y a deux heures à peu près que je vous ai vue dans votre boudoir de satin bleu, donnant des ordres pour qu’on mît les chevaux à la voiture.

– Et vous dites que j’étais dans mon boudoir de satin bleu?

– Broché de fleurs aux couleurs naturelles. Oui, comtesse, couchée sur un sofa. Une bienheureuse idée vous est alors passée par la tête; vous vous êtes dit: «Allons voir le comte de Fœnix.» Vous avez sonné alors.

– Et qui est entré?

– Votre sœur, comtesse. Est-ce cela? Vous l’avez priée de transmettre vos ordres, qui aussitôt ont été exécutés.

– En vérité, comte, vous êtes sorcier! Est-ce que vous regardez comme cela dans mon boudoir à tous les instants du jour? C’est qu’il faudrait me prévenir, entendez-vous bien!

– Oh! soyez tranquille, comtesse, je ne regarde que par les portes ouvertes.

– Et, en regardant par les portes ouvertes, vous avez vu que je pensais à vous?

– Certes, et à bonne intention même.

– Oh! vous avez raison, cher comte; j’ai pour vous les meilleures intentions du monde; mais avouez que vous méritez plus que des intentions, vous si bon, si utile; vous qui paraissez destiné à jouer dans ma vie le rôle de tuteur, c’est-à-dire le rôle le plus difficile que je connaisse.

– En vérité, madame, vous me rendez bien heureux; j’ai donc pu vous être de quelque utilité?

– Comment!… vous êtes devin, et vous ne devinez pas?

– Laissez-moi au moins le mérite d’être modeste.

– Soit, mon cher comte; je vais, en conséquence, vous parler d’abord de ce que j’ai fait pour vous.

– Je ne le souffrirai pas, madame; parlons de vous, au contraire, je vous en supplie.

– Eh bien, mon cher comte, commencez par me prêter cette pierre qui rend invisible; car il m’a semblé reconnaître dans mon voyage, si rapide qu’il fût, un des grisons de M. de Richelieu.

– Et ce grison, madame?…

– Suivait ma voiture avec un coureur.

– Que pensez-vous de cette circonstance, et dans quel but le duc vous faisait-il suivre?

– Dans le but de me jouer quelque méchant tour de sa façon. Si modeste que vous soyez, monsieur le comte de Fœnix, croyez que Dieu vous a doué d’assez d’avantages personnels pour rendre un roi jaloux… de mes visites chez vous, ou de vos visites chez moi.

– M. de Richelieu, madame, répondit Balsamo, ne peut être dangereux pour vous en aucune rencontre.

– Mais il l’était, cher comte, il l’était cependant avant l’événement.

Balsamo comprit qu’il y avait là un secret que Lorenza ne lui avait point encore révélé. Il ne se hasarda point, en conséquence, sur le terrain de l’inconnu, et se contenta de répondre par un sourire.

– Il l’était, répéta la comtesse, et j’ai failli être la victime de la trame la mieux ourdie, dans laquelle vous étiez pour quelque chose, comte.

– Moi! dans une trame contre vous? Jamais, madame!

– N’était-ce donc pas vous qui aviez donné à M. de Richelieu le philtre?

– Quel philtre?

– Un philtre qui fait aimer éperdument.

– Non, madame; ces philtres-là, M. de Richelieu les compose lui-même, car il en connaît dès longtemps la recette; je ne lui ai remis, moi, qu’un simple narcotique.

– Ah! vraiment?

– Sur l’honneur.

– Et M. le duc, attendez donc, M. le duc est venu vous demander ce narcotique, quel jour? Rappelez-vous bien la date, monsieur, c’est important.

– Madame, ce fut samedi dernier. La veille du jour où j’eus l’honneur de vous adresser par Fritz ce petit billet qui vous priait de venir me retrouver chez M. de Sartine.

– La veille de ce jour, s’écria la comtesse, la veille du jour où le roi fut vu se rendant chez la petite Taverney? Oh! tout m’est expliqué maintenant.

– Alors, si tout vous est expliqué, vous voyez que je n’y suis que pour le narcotique.

– Oui, c’est le narcotique qui nous a sauvés.

Balsamo attendit cette fois, il ignorait tout.

– Je suis heureux, madame, répondit-il, de vous être bon à quelque chose, même sans intention.

– Oh! vous m’êtes excellent toujours. Mais vous pouvez plus encore pour moi que vous n’avez fait jusqu’à présent. Oh! docteur, j’ai été bien malade, politiquement parlant, et, à l’heure qu’il est, c’est à peine si je crois à ma convalescence.

– Madame, dit Balsamo, le docteur, puisque docteur il y a, demande toujours des détails sur la maladie qu’il a à traiter. Veuillez me donner les détails les plus exacts sur ce que vous avez éprouvé, et, s’il est possible, n’oubliez aucun symptôme.

– Rien de plus simple, cher docteur, ou cher sorcier, comme vous voudrez. La veille du jour où ce narcotique fut employé, Sa Majesté avait refusé de m’accompagner à Luciennes. Elle était restée, sous prétexte de fatigue, à Trianon, cette menteuse Majesté, et cela pour souper, je l’ai su depuis, entre le duc de Richelieu et le baron de Taverney.

– Ah! ah!

– Vous comprenez, à votre tour. Ce fut pendant ce souper que le philtre d’amour fut versé au roi. Il en tenait déjà pour mademoiselle Andrée; on savait qu’il ne me verrait pas le lendemain. C’était donc à l’endroit de cette petite qu’il devait opérer.

– Eh bien?

– Eh bien, il opéra, voilà tout.

– Qu’est-il arrivé alors?

– Voilà ce qui est difficile à savoir positivement. Des gens bien informés ont vu Sa Majesté se dirigeant vers les communs, c’est-à-dire vers l’appartement de mademoiselle Andrée.

– Je sais où elle demeure; mais ensuite?

– Ah! ensuite, peste! comme vous y allez, comte! On ne suit pas sans danger un roi qui se cache.

– Mais enfin?

– Enfin, tout ce que je puis vous dire, c’est que Sa Majesté, par une affreuse nuit d’orage, revint à Trianon, pâle, tremblante, et avec une fièvre qui tenait du délire.

– Et vous croyez, demanda Balsamo en souriant, que ce n’était pas de l’orage seulement que le roi avait eu peur?

– Non; car le valet de chambre l’entendit s’écrier plusieurs fois: «Morte! morte! morte!»

– Oh! fit Balsamo.

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