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– Ainsi, demanda la jeune femme, tu es content de ta Lorenza, mon Balsamo bien-aimé?

– Oh! fit celui-ci.

– Que craignais-tu donc? Dis, parle.

Balsamo joignit les mains et regarda Lorenza avec une expression de terreur dont un spectateur qui n’eût pas su lire dans son âme eût eu peine à se rendre compte.

– Oh! murmura-t-il, moi qui ai failli tuer cet ange, et moi qui ai failli mourir de désespoir avant de résoudre ce problème d’être heureux et puissant à la fois; moi qui ai oublié que les limites du possible dépassent toujours l’horizon tracé par l’état présent de la science, et que la plupart des vérités, qui sont devenues des faits, ont toujours commencé par être regardées comme des visions; moi qui croyais tout savoir et qui ne savais rien!

La jeune femme souriait divinement.

– Lorenza, Lorenza, continua Balsamo, il est donc réalisé, ce mystérieux dessein du Créateur, qui fait naître la femme de la chair de l’homme, et qui leur dit de n’avoir qu’un cœur à eux deux! Ève est ressuscitée pour moi; Ève, qui ne pensera pas sans moi et dont la vie est suspendue au fil que je tiens! C’est trop, mon Dieu, pour une seule créature, et je succombe sous le poids de ton bienfait.

Et il tomba à genoux, étreignant avec adoration cette suave beauté, qui lui souriait comme on ne sourit pas sur la terre.

– Eh bien, dit-il, non, tu ne me quitteras plus; sous ton regard qui perce les ténèbres, je vivrai en toute sécurité; tu m’aideras dans ces recherches laborieuses que toi seule, comme tu l’as dit, pouvais compléter, et qu’un mot de toi rendra faciles et fécondes; c’est toi qui me diras si je ne puis faire de l’or, puisque l’or est une matière homogène, un élément primitif, c’est toi qui me diras dans quelle parcelle de sa création Dieu l’a caché; c’est toi qui me diras où gisent les trésors séculaires engloutis dans les vastes profondeurs de l’océan. Je verrai avec tes yeux s’arrondir la perle dans la coquille nacrée, et grandir la pensée de l’homme sous les couches fangeuses de sa chair. J’entendrai, avec tes oreilles, la sourde sape du ver qui creuse le sol, et les pas de mon ennemi s’approchant de moi. Je serai grand comme Dieu et plus heureux que Dieu, ma Lorenza; car Dieu n’a pas au ciel son égal et sa compagne, car Dieu est tout-puissant, mais il est seul dans sa majesté divine et ne partage avec aucun autre être, divin comme lui, cette toute-puissance qui le fait Dieu.

Et Lorenza souriait toujours; et, tout en souriant, elle répondait aux paroles par d’ardentes caresses.

– Et cependant, murmura-t-elle comme si elle eût vu au crâne de son amant chaque pensée qui agitait les fibres de ce cerveau inquiet, et cependant tu doutes encore, Acharat. Tu doutes, comme tu l’as dit, que je puisse franchir le cercle de notre amour, tu doutes que je puisse voir à distance; mais tu te consoles en disant que, si je ne vois pas, elle verra, elle.

– Qui, elle?

– La femme blonde: veux-tu que je te dise son nom?

– Oui.

– Attends… Andrée.

– Oui, c’est cela. Oui, tu lis dans ma pensée; oui, une dernière crainte me trouble. Vois-tu toujours à travers l’espace, l’espace fût-il coupé par des obstacles matériels?

– Essaye.

– Donne-moi la main, Lorenza.

La jeune femme saisit passionnément la main de Balsamo.

– Peux-tu me suivre?

– Partout.

– Viens.

Et Balsamo sortant, par la pensée, de la rue Saint-Claude, entraîna la pensée de Lorenza avec lui.

– Où sommes-nous? demanda-t-il à Lorenza.

– Nous sommes sur une montagne, répondit la jeune femme.

– Oui, c’est cela, dit Balsamo en tressaillant de joie; mais que vois-tu?

– Devant moi? à gauche, ou à droite?

– Devant toi.

– Je vois une vaste vallée avec une forêt d’un côté, une ville de l’autre, et une rivière qui les sépare et va se perdre à l’horizon, en longeant la muraille d’un grand château.

– C’est cela, Lorenza. Cette forêt, c’est celle du Vésinet; cette ville, c’est Saint-Germain; ce château, c’est le château de Maisons. Entrons, entrons dans le pavillon qui est derrière nous.

– Entrons.

– Que vois-tu?

– Ah! d’abord, dans l’antichambre, un petit nègre bizarrement vêtu et mangeant des dragées.

– Zamore, c’est cela. Entrons, entrons.

– Un salon vide, avec un splendide ameublement; des dessus de porte représentant des déesses et des Amours.

– Le salon est vide?

– Oui.

– Entrons, entrons toujours.

– Ah! nous sommes dans un adorable boudoir de satin bleu, broché de fleurs aux couleurs naturelles.

– Est-il vide aussi?

– Non, une femme est couchée sur un sofa.

– Quelle est cette femme?

– Attends.

– Ne te semble-t-il pas l’avoir déjà vue?

– Oui, ici; c’est madame la comtesse du Barry.

– C’est cela, Lorenza, c’est cela; tu me rendras fou. Que fait cette femme?

– Elle pense à toi, Balsamo.

– À moi?

– Oui.

– Tu peux donc lire dans sa pensée?

– Oui; car, je le répète, elle pense à toi.

– Et à quel propos?

– Tu lui as fait une promesse.

– Oui; laquelle?

– Tu lui as promis cette eau de beauté que Vénus, pour se venger de Sapho, avait donnée à Phaon.

– C’est cela, c’est bien cela. Et que fait-elle tout en pensant?

– Elle prend une décision.

– Laquelle?

– Attends; elle étend sa main vers sa sonnette; elle sonne; une autre jeune femme entre.

– Brune? blonde?

– Brune.

– Grande? petite?

– Petite.

– C’est sa sœur. Écoute ce qu’elle va dire.

– Elle veut qu’on mette les chevaux à la voiture.

– Pour aller où?

– Pour venir ici.

– Tu en es sûre?

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