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DEMOKOS. – Prépare-le un peu mieux que celui aux morts, tu trouveras plus de contradiction. (Priam et ses fils sortent.) Tu t’en vas aussi, Hécube? Tu t’en vas sans nous avoir dit à quoi ressemblait la guerre?

HÉCUBE. – Tu tiens à le savoir?

DEMOKOS. – Si tu l’as vue, dis-le.

HÉCUBE. – À un cul de singe. Quand la guenon est montée à l’arbre et nous montre un fondement rouge, tout squameux et glacé, ceint d’une perruque immonde, c’est exactement la guerre que l’on voit, c’est son visage.

DEMOKOS. – Avec celui d’Hélène, cela lui en fait deux.

Il sort.

ANDROMAQUE. – La voilà justement, Hélène. Polyxène, tu te rappelles bien ce que tu as à lui dire?

LA PETITE POLYXÈNE. – Oui…

ANDROMAQUE. – Va…

SCÈNE SIXIÈME

HÉLÈNE, LA PETITE POLYXÈNE

HÉLÈNE. – Tu veux me parler, chérie?

LA PETITE POLYXÈNE. – Oui, tante Hélène.

HÉLÈNE. – Ça doit être important, tu es toute raide. Et tu te sens toute raide aussi, je parie?

LA PETITE POLYXÈNE. – Oui, tante Hélène.

HÉLÈNE. – C’est une chose que tu ne peux pas me dire sans être raide?

LA PETITE POLYXÈNE. – Non, tante Hélène.

HÉLÈNE. – Alors, dis le reste. Tu me fais mal, raide comme cela.

LA PETITE POLYXÈNE. – Tante Hélène, si vous nous aimez, partez!

HÉLÈNE. – Pourquoi partirais-je, chérie?

LA PETITE POLYXÈNE. – À cause de la guerre.

HÉLÈNE. – Tu sais déjà ce que c’est, la guerre?

LA PETITE POLYXÈNE. – Je ne sais pas très bien. Je crois qu’on meurt.

HÉLÈNE. – La mort aussi tu sais ce que c’est?

LA PETITE POLYXÈNE. – Je ne sais pas non plus très bien. Je crois qu’on ne sent plus rien.

HÉLÈNE. – Qu’est-ce qu’Andromaque t’a dit au juste de me demander?

LA PETITE POLYXÈNE. – De partir, si vous nous aimez.

HÉLÈNE. – Cela ne me paraît pas très logique. Si tu aimais quelqu’un, tu le quitterais?

LA PETITE POLYXÈNE. – Oh! non! jamais!

HÉLÈNE. – Qu’est-ce que tu préférerais, quitter Hécube ou ne plus rien sentir?

LA PETITE POLYXÈNE. – Oh! ne rien sentir! Je préférerais rester et ne plus jamais rien sentir…

HÉLÈNE. – Tu vois comme tu t’exprimes mal! Pour que je parte, au contraire, il faudrait que je ne vous aime pas. Tu préfères que je ne t’aime pas?

LA PETITE POLYXÈNE. – Oh! non! que vous m’aimiez!

HÉLÈNE. – Tu ne sais pas ce que tu dis, en somme?

LA PETITE POLYXÈNE. – Non…

VOIX D’HÉCUBE. – Polyxène!

SCÈNE SEPTIÈME

LES MÊMES, HÉCUBE, ANDROMAQUE

HÉCUBE. – Tu es sourde, Polyxène? Et qu’as-tu à fermer les yeux en me voyant? Tu joues à la statue? Viens avec moi.

HÉLÈNE. – Elle s’entraîne à ne rien sentir. Mais elle n’est pas douée.

HÉCUBE. – Enfin, est-ce que tu m’entends, Polyxène? Est-ce que tu me vois?

LA PETITE POLYXÈNE. – Oh! oui! Je t’entends. Je te vois.

HÉCUBE. – Pourquoi pleures-tu? Il n’y a pas de mal à me voir et à m’entendre.

LA PETITE POLYXÈNE. – Si… Tu partiras…

HÉCUBE. – Vous me ferez le plaisir de laisser désormais Polyxène tranquille, Hélène. Elle est trop sensible pour toucher l’insensible, fût-ce à travers votre belle robe et votre belle voix.

HÉLÈNE. – C’est bien mon avis. Je conseille à Andromaque de faire ses commissions elle-même. Embrasse-moi, Polyxène. Je pars ce soir, puisque tu y tiens.

LA PETITE POLYXÈNE. – Ne partez pas! Ne partez pas!

HÉLÈNE. – Bravo! Te voilà souple…

HÉCUBE. – Tu viens, Andromaque?

ANDROMAQUE. – Non, je reste.

SCÈNE HUITIÈME

HÉLÈNE, ANDROMAQUE

HÉLÈNE. – L’explication, alors?

ANDROMAQUE. – je crois qu’il la faut.

HÉLÈNE. – Écoutez-les crier et discuter là-bas, tous tant qu’ils sont! Cela ne suffit pas? Il faut encore que les belles-sœurs s’expliquent? S’expliquent quoi, puisque je pars?

ANDROMAQUE. – Que vous partiez ou non, ce n’est plus la question, Hélène.

HÉLÈNE. – Dites cela à Hector. Vous faciliterez sa journée.

ANDROMAQUE. – Oui, Hector s’accroche à l’idée de votre départ. Il est comme tous les hommes. Il suffit d’un lièvre pour le détourner du fourré où est la panthère. Le gibier des hommes peut se chasser ainsi. Pas celui des dieux.

HÉLÈNE. – Si vous avez découvert ce qu’ils veulent, les dieux, dans toute cette histoire, je vous félicite.

ANDROMAQUE. – Je ne sais pas si les dieux veulent quelque chose. Mais l’univers veut quelque chose. Depuis ce matin, tout me semble le réclamer, le crier, l’exiger, les hommes, les bêtes, les plantes… Jusqu’à cet enfant en moi…

HÉLÈNE. – Ils réclament quoi?

ANDROMAQUE. – Que vous aimiez Pâris.

HÉLÈNE. – S’ils savent que je n’aime point Pâris, ils sont mieux renseignés que moi.

ANDROMAQUE. – Vous ne l’aimez pas! Peut-être pourriez-vous l’aimer. Mais pour le moment, c’est dans un malentendu que vous vivez tous deux.

HÉLÈNE. – Je vis avec lui dans la bonne humeur, dans l’agrément, dans l’accord. Le malentendu de l’entente, je ne vois pas très bien ce que cela peut être.

ANDROMAQUE. – Vous ne l’aimez pas. On ne s’entend pas, dans l’amour. La vie de deux époux qui s’aiment, c’est une perte de sang-froid perpétuel. La dot des vrais couples est la même que celle des couples faux: le désaccord originel. Hector est le contraire de moi. Il n’a aucun de mes goûts. Nous passons notre journée ou à nous vaincre l’un l’autre ou à nous sacrifier. Les époux amoureux n’ont pas le visage clair.

HÉLÈNE. – Et si mon teint était de plomb, quand j’approche Pâris, et mes yeux blancs, et mes mains moites, vous pensez que Ménélas en serait transporté, les Grecs épanouis?

ANDROMAQUE. – Peu importerait alors ce que pensent les Grecs!

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