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La terreur me prend. Je ne veux pas aller plus loin! Je couperai, s’il le faut, la drisse de la voile! Je me révolte contre le professeur, qui ne me répond pas.

Tout à coup Hans se lève, et montrant du doigt le point menaçant:

«Holme! dit-il.

– Une île! s’écrie mon oncle.

– Une île! dis-je à mon tour en haussant les épaules.

– Évidemment, répond le professeur en poussant un vaste éclat de rire.

– Mais cette colonne d’eau?

– Geyser, fait Hans.

– Eh! sans doute, geyser! riposte mon oncle, un geyser pareil à ceux de l’Islande [12]

Je ne veux pas, d’abord, m’être trompé si grossièrement. Avoir pris un îlot pour un monstre marin! Mais l’évidence se fait, et il faut enfin convenir de mon erreur. Il n’y a là qu’un phénomène naturel.

À mesure que nous approchons, les dimensions de la gerbe liquide deviennent grandioses. L’îlot représente à s’y méprendre un cétacé immense dont la tête domine les flots à une hauteur de dix toises. Le geyser, mot que les Islandais prononcent «geysir» et qui signifie «fureur», s’élève majestueusement à son extrémité. De sourdes détonations éclatent par instants, et l’énorme jet, pris de colères plus violentes, secoue son panache de vapeurs en bondissant jusqu’à la première couche de nuages. Il est seul. Ni fumerolles, ni sources chaudes ne l’entourent, et toute la puissance volcanique se résume en lui. Les rayons de la lumière électrique viennent se mêler à cette gerbe éblouissante, dont chaque goutte se nuance de toutes les couleurs du prisme.

«Accostons», dit le professeur.

Mais il faut éviter avec soin cette trombe d’eau qui coulerait le radeau en un instant. Hans, manœuvrant adroitement, nous amène à l’extrémité de l’îlot.

Je saute sur le roc. Mon oncle me suit lestement, tandis que le chasseur demeure à son poste, comme un homme au-dessus de ces étonnements.

Nous marchons sur un granit mêlé de tuf siliceux; le sol frissonne sous nos pieds comme les flancs d’une chaudière où se tord de la vapeur surchauffée; il est brûlant. Nous arrivons en vue d’un petit bassin central d’où s’élève le geyser. Je plonge dans l’eau qui coule en bouillonnant un thermomètre à déversement, et il marque une chaleur de cent soixante-trois degrés.

Ainsi donc cette eau sort d’un foyer ardent. Cela contredit singulièrement les théories du professeur Lidenbrock. Je ne puis m’empêcher d’en faire la remarque.

«Eh bien, réplique-t-il, qu’est-ce que cela prouve, contre ma doctrine?

– Rien», dis-je d’un ton sec, en voyant que je me heurte à un entêtement absolu.

Néanmoins, je suis forcé d’avouer que nous sommes singulièrement favorisés jusqu’ici, et que, pour une raison qui m’échappe, ce voyage s’accomplit dans des conditions particulières de température; mais il me paraît évident, certain, que nous arriverons un jour ou l’autre à ces régions où la chaleur centrale atteint les plus hautes limites et dépasse toutes les graduations des thermomètres.

Nous verrons bien. C’est le mot du professeur, qui, après avoir baptisé cet îlot volcanique du nom de son neveu, donne le signal de l’embarquement.

Je reste pendant quelques minutes encore à contempler le geyser. Je remarque que son jet est irrégulier dans ses accès, qu’il diminue parfois d’intensité, puis reprend avec une nouvelle vigueur, ce que j’attribue aux variations de pression des vapeurs accumulées dans son réservoir.

Enfin nous partons en contournant les roches très accores du sud. Hans a profité de cette halte pour remettre le radeau en état.

Mais avant de déborder je fais quelques observations pour calculer la distance parcourue, et je les note sur mon journal. Nous avons franchi deux cent soixante-dix lieues de mer depuis Port-Graüben, et nous sommes à six cent vingt lieues de l’Islande, sous l’Angleterre.

XXXV

Vendredi 21 août. – Le lendemain le magnifique geyser a disparu. Le vent a fraîchi, et nous a rapidement éloignés de l’îlot Axel. Les mugissements se sont éteints peu à peu.

Le temps, s’il est permis de s’exprimer ainsi, va changer avant peu. L’atmosphère se charge de vapeurs, qui emportent avec elles l’électricité formée par l’évaporation des eaux salines, les nuages s’abaissent sensiblement et prennent une teinte uniformément olivâtre; les rayons électriques peuvent à peine percer cet opaque rideau baissé sur le théâtre où va se jouer le drame des tempêtes.

Je me sens particulièrement impressionné, comme l’est sur terre toute créature à l’approche d’un cataclysme. Les «cumulus [13]» entassés dans le sud présentent un aspect sinistre; ils ont cette apparence «impitoyable» que j’ai souvent remarquée au début des orages. L’air est lourd, la mer est calme.

Au loin les nuages ressemblent à de grosses balles de coton amoncelées dans un pittoresque désordre; peu à peu ils se gonflent et perdent en nombre ce qu’ils gagnent en grandeur; leur pesanteur est telle qu’ils ne peuvent se détacher de l’horizon; mais, au souffle des courants élevés, ils se fondent peu à peu, s’assombrissent et présentent bientôt une couche unique d’un aspect redoutable; parfois une pelote de vapeurs, encore éclairée, rebondit sur ce tapis grisâtre et va se perdre bientôt dans la masse opaque.

Évidemment l’atmosphère est saturée de fluide, j’en suis tout imprégné, mes cheveux se dressent sur ma tête comme aux abords d’une machine électrique. Il me semble que, si mes compagnons me touchaient en ce moment, ils recevraient une commotion violente.

À dix heures du matin, les symptômes de l’orage sont plus décisifs; on dirait que le vent mollit pour mieux reprendre haleine; la nue ressemble à une outre immense dans laquelle s’accumulent les ouragans.

Je ne veux pas croire aux menaces du ciel, et cependant je ne puis m’empêcher de dire:

«Voilà du mauvais temps qui se prépare.»

Le professeur ne répond pas. Il est d’une humeur massacrante, à voir l’océan se prolonger indéfiniment devant ses yeux. Il hausse les épaules à mes paroles.

«Nous aurons de l’orage, dis-je en étendant la main vers l’horizon, ces nuages s’abaissent sur la mer comme pour l’écraser!»

Silence général. Le vent se tait. La nature a l’air d’une morte et ne respire plus. Sur le mât, où je vois déjà poindre un léger feu Saint-Elme, la voile détendue tombe en plis lourds. Le radeau est immobile au milieu d’une mer épaisse et sans ondulations. Mais, si nous ne marchons plus, à quoi bon conserver cette toile, qui peut nous mettre en perdition au premier choc de la tempête?

«Amenons-la, dis-je, abattons notre mât! cela sera prudent.

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[12] Source jaillissante très célèbre située au pied de l’Hécla.

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[13] Nuages de formes arrondies.

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