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Sur trois chambres dont se composait sa maison, cet excellent homme en mit deux à notre disposition, et bientôt nous y fûmes installés avec nos bagages, dont la quantité étonna un peu les habitants de Reykjawik.

«Eh bien, Axel, me dit mon oncle, cela va, et le plus difficile est fait.

– Comment, le plus difficile? m’écriai-je.

– Sans doute, nous n’avons plus qu’à descendre!

– Si vous le prenez ainsi, vous avez raison; mais enfin, après avoir descendu, il faudra remonter, j’imagine?

– Oh! cela ne m’inquiète guère! Voyons! il n’y a pas de temps à perdre. Je vais me rendre à la bibliothèque. Peut-être s’y trouve-t-il quelque manuscrit de Saknussemm, et je serais bien aise de le consulter.

– Alors, pendant ce temps, je vais visiter la ville. Est-ce que vous n’en ferez pas autant?

– Oh! cela m’intéresse médiocrement. Ce qui est curieux dans cette terre d’Islande n’est pas dessus, mais dessous.»

Je sortis et j’errai au hasard.

S’égarer dans les deux rues de Reykjawik n’eût pas été chose facile. Je ne fus donc pas obligé de demander mon chemin, ce qui, dans la langue des gestes, expose à beaucoup de mécomptes.

La ville s’allonge sur un sol assez bas et marécageux, entre deux collines. Une immense coulée de laves la couvre d’un côté et descend en rampes assez douces vers la mer. De l’autre s’étend cette vaste baie de Faxa, bornée au nord par l’énorme glacier du Sneffels, et dans laquelle la Valkyrie se trouvait seule à l’ancre en ce moment. Ordinairement les gardes-pêche anglais et français s’y tiennent mouillés au large; mais ils étaient alors en service sur les côtes orientales de l’île.

La plus longue des deux rues de Reykjawik est parallèle au rivage; là demeurent les marchands et les négociants, dans des cabanes de bois faites de poutres rouges horizontalement disposées; l’autre rue, située plus à l’ouest, court vers un petit lac, entre les maisons de l’évêque et des autres personnages étrangers au commerce.

J’eus bientôt arpenté ces voies mornes et tristes; j’entrevoyais parfois un bout de gazon décoloré, comme un vieux tapis de laine râpé par l’usage, ou bien quelque apparence de verger, dont les rares légumes, pommes de terre, choux et laitues, eussent figuré à l’aise sur une table lilliputienne; quelques giroflées maladives essayaient aussi de prendre un petit air de soleil.

Vers le milieu de la rue non commerçante, je trouvai le cimetière public enclos d’un mur en terre, et dans lequel la place ne manquait pas. Puis, en quelques enjambées, j’arrivai à la maison du gouverneur, une masure comparée à l’hôtel de ville de Hambourg, un palais auprès des huttes de la population islandaise.

Entre le petit lac et la ville s’élevait l’église, bâtie dans le goût protestant et construite en pierres calcinées dont les volcans font eux-mêmes les frais d’extraction; par les grands vents d’ouest, son toit de tuiles rouges devait évidemment se disperser dans les airs au grand dommage des fidèles.

Sur une éminence voisine, j’aperçus l’École nationale, où, comme je l’appris plus tard de notre hôte, on professait l’hébreu, l’anglais, le français et le danois, quatre langues dont, à ma honte, je ne connaissais pas le premier mot. J’aurais été le dernier des quarante élèves que comptait ce petit collège, et indigne de coucher avec eux dans ces armoires à deux compartiments où de plus délicats étoufferaient dès la première nuit.

En trois heures j’eus visité non seulement la villa, mais ses environs. L’aspect général en était singulièrement triste. Pas d’arbres, pas de végétation, pour ainsi dire. Partout les arêtes vives des roches volcaniques. Les huttes des Islandais sont faites de terre et de tourbe, et leurs murs inclinés en dedans; elles ressemblent à des toits posés sur le sol. Seulement ces toits sont des prairies relativement fécondes. Grâce à la chaleur de l’habitation, l’herbe y pousse avec assez de perfection, et on la fauche soigneusement à l’époque de la fenaison, sans quoi les animaux domestiques viendraient paître sur ces demeures verdoyantes.

Pendant mon excursion, je rencontrai peu d’habitants; en revenant de la rue commerçante, je vis la plus grande partie de la population occupée à sécher, saler et charger des morues, principal article d’exportation. Les hommes paraissaient robustes, mais lourds, des espèces d’Allemands blonds, à l’œil pensif, qui se sentent un peu en dehors de l’humanité, pauvres exilés relégués sur cette terre de glace, dont la nature aurait bien dû faire des Esquimaux, puisqu’elle les condamnait à vivre sur la limite du cercle polaire! J’essayais en vain de surprendre un sourire sur leur visage; ils riaient quelquefois par une sorte de contraction involontaire des muscles, mais ils ne souriaient jamais.

Leur costume consistait en une grossière vareuse de laine noire connue dans tous les pays scandinaves sous le nom de «vadmel», un chapeau à vastes bords, un pantalon à liséré rouge et un morceau de cuir replié en manière de chaussure.

Les femmes, à figure triste et résignée, d’un type assez agréable, mais sans expression, étaient vêtues d’un corsage et d’une jupe de «vadmel» sombre: filles, elles portaient sur leurs cheveux tressés en guirlandes un petit bonnet de tricot brun; mariées, elles entouraient leur tête d’un mouchoir de couleur, surmonté d’un cimier de toile blanche.

Après une bonne promenade, lorsque je rentrai dans la maison de M. Fridriksson, mon oncle s’y trouvait déjà en compagnie de son hôte.

X

Le dîner était prêt; il fut dévoré avec avidité par le professeur Lidenbrock, dont la diète forcée du bord avait changé l’estomac en un gouffre profond. Ce repas, plus danois qu’islandais, n’eut rien de remarquable en lui-même; mais notre hôte, plus islandais que danois, me rappela les héros de l’antique hospitalité. Il me parut évident que nous étions chez lui plus que lui-même.

La conversation se fit en langue indigène, que mon oncle entremêlait d’allemand et M. Fridriksson de latin, afin que je pusse la comprendre. Elle roula sur des questions scientifiques, comme il convient à des savants; mais le professeur Lidenbrock se tint sur la plus excessive réserve, et ses yeux me recommandaient, à chaque phrase, un silence absolu touchant nos projets à venir.

Tout d’abord, M. Fridriksson s’enquit auprès de mon oncle du résultat de ses recherches à la bibliothèque.

«Votre bibliothèque! s´écria ce dernier, elle ne se compose que de livres dépareillés sur des rayons presque déserts.

– Comment! répondit M. Fridriksson, nous possédons huit mille volumes dont beaucoup sont précieux et rares, des ouvrages en vieille langue scandinave, et toutes les nouveautés dont Copenhague nous approvisionne chaque année.

– Où prenez-vous ces huit mille volumes? Pour mon compte…

– Oh! monsieur Lidenbrock, ils courent le pays; on a le goût de l’étude dans notre vieille île de glace! Pas un fermier, pas un pêcheur qui ne sache lire et qui ne lise. Nous pensons que des livres, au lieu de moisir derrière une grille de fer, loin des regards curieux, sont destinés à s’user sous les yeux des lecteurs. Aussi ces volumes passent-ils de main en main, feuilletés, lus et relus, et souvent ils ne reviennent à leur rayon qu’après un an ou deux d’absence.

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