5° Une lunette de nuit;
6° Deux appareils de Ruhmkorff, qui, au moyen d’un courant électrique, donnaient une lumière très portative, sûre et peu encombrante. [5]
Les armes consistaient en deux carabines de Purdley More et Co, et de deux revolvers Colt. Pourquoi des armes? Nous n’avions ni sauvages ni bêtes féroces à redouter, je suppose. Mais mon oncle paraissait tenir à son arsenal comme à ses instruments, surtout à une notable quantité de fulmicoton inaltérable à l’humidité, et dont la force expansive est fort supérieure à celle de la poudre ordinaire.
Les outils comprenaient deux pics, deux pioches, une échelle de soie, trois bâtons ferrés, une hache, un marteau, une douzaine de coins et pitons de fer, et de longues cordes à nœuds. Cela ne laissait pas de faire un fort colis, car l’échelle mesurait trois cents pieds de longueur.
Enfin, il y avait les provisions; le paquet n’était pas gros, mais rassurant, car je savais qu’en viande concentrée et en biscuits secs il contenait pour six mois de vivres. Le genièvre en formait toute la partie liquide, et l’eau manquait totalement; mais nous avions des gourdes, et mon oncle comptait sur les sources pour les remplir; les objections que j’avais pu faire sur leur qualité, leur température, et même leur absence, étaient restées sans succès.
Pour compléter la nomenclature exacte de nos articles de voyage, je noterai une pharmacie portative contenant des ciseaux à lames mousses, des attelles pour fracture, une pièce de ruban en fil écru, des bandes et compresses, du sparadrap, une palette pour saignée, toutes choses effrayantes; de plus, une série de flacons contenant de la dextrine, de l’alcool vulnéraire, de l’acétate de plomb liquide, de l’éther, du vinaigre et de l’ammoniaque, toutes drogues d’un emploi peu rassurant; enfin les matières nécessaires aux appareils de Ruhmkorff.
Mon oncle n’avait eu garde d’oublier la provision de tabac, de poudre de chasse et d’amadou, non plus qu’une ceinture de cuir qu’il portait autour des reins et où se trouvait une suffisante quantité de monnaie d’or, d’argent et de papier. De bonnes chaussures, rendues imperméables par un enduit de goudron et de gomme élastique, se trouvaient au nombre de six paires dans le groupe des outils.
«Ainsi vêtus, chaussés, équipés, il n’y a aucune raison pour ne pas aller loin», me dit mon oncle.
La journée du 14 fut employée tout entière à disposer ces différents objets. Le soir, nous dînâmes chez le baron Trampe, en compagnie du maire de Reykjawik et du docteur Hyaltalin, le grand médecin du pays. M. Fridriksson n’était pas au nombre des convives; j’appris plus tard que le gouverneur et lui se trouvaient en désaccord sur une question d’administration et ne se voyaient pas. Je n’eus donc pas l’occasion de comprendre un mot de ce qui se dit pendant ce dîner semi-officiel. Je remarquai seulement que mon oncle parla tout le temps.
Le lendemain 15, les préparatifs furent achevés. Notre hôte fit un sensible plaisir au professeur en lui remettant une carte de l’Islande, incomparablement plus parfaite que celle d’Henderson, la carte de M. Olaf Nikolas Olsen, réduite au 1/480 000, et publiée par la Société littéraire islandaise, d’après les travaux géodésiques de M. Scheel Frisac, et le levé topographique de M. Bjorn Gumlaugsonn. C’était un précieux document pour un minéralogiste.
La dernière soirée se passa dans une intime causerie avec M. Fridriksson, pour lequel je me sentais pris d’une vive sympathie; puis, à la conversation succéda un sommeil assez agité, de ma part du moins.
À cinq heures du matin, le hennissement de quatre chevaux qui piaffaient sous ma fenêtre me réveilla. Je m’habillai à la hâte et je descendis dans la rue. Là, Hans achevait de charger nos bagages sans se remuer, pour ainsi dire. Cependant il opérait avec une adresse peu commune. Mon oncle faisait plus de bruit que de besogne, et le guide paraissait se soucier fort peu de ses recommandations.
Tout fut terminé à six heures, M, Fridriksson nous serra les mains. Mon oncle le remercia en islandais de sa bienveillante hospitalité, et avec beaucoup de cœur. Quant à moi, j’ébauchai dans mon meilleur latin quelque salut cordial; puis nous nous mîmes en selle, et M. Fridriksson me lança avec son dernier adieu ce vers que Virgile semblait avoir fait pour nous, voyageurs incertains de la route:
Et quacumque viam dederit fortuna sequamur.
XII
Nous étions partis par un temps couvert, mais fixe. Pas de fatigantes chaleurs à redouter, ni pluies désastreuses. Un temps de touristes.
Le plaisir de courir à cheval à travers un pays inconnu me rendait de facile composition sur le début de l’entreprise. J’étais tout entier au bonheur de l’excursionniste fait de désirs et de liberté. Je commençais à prendre mon parti de l’affaire.
«D’ailleurs, me disais-je, qu’est-ce que je risque? de voyager au milieu du pays le plus curieux! de gravir une montagne fort remarquable! au pis-aller de descendre au fond d’un cratère éteint? Il est bien évident que ce Saknussemm n’a pas fait autre chose. Quant à l’existence d’une galerie qui aboutisse au centre du globe, pure imagination! pure impossibilité! Donc, ce qu’il y a de bon à prendre de cette expédition, prenons-le, et sans marchander!»
Ce raisonnement à peine achevé, nous avions quitté Reykjawik.
Hans marchait en tête, d’un pas rapide, égal et continu. Les deux chevaux chargés de nos bagages le suivaient, sans qu’il fût nécessaire de les diriger. Mon oncle et moi, nous venions ensuite, et vraiment sans faire trop mauvaise figure sur nos bêtes petites, mais vigoureuses.
L’Islande est une des grandes îles de l’Europe. Elle mesure quatorze cents milles de surface, et ne compte que soixante mille habitants. Les géographes l’ont divisée en quatre quartiers, et nous avions à traverser presque obliquement celui qui porte le nom de Pays du quart du Sud-Ouest, «Sudvestr Fjordùngr.»
Hans, en laissant Reykjawik, avait immédiatement suivi les bords de la mer. Nous traversions de maigres pâturages qui se donnaient bien du mal pour être verts; le jaune réussissait mieux. Les sommets rugueux des masses trachytiques s’estompaient à l’horizon dans les brumes de l’est; par moments quelques plaques de neige, concentrant la lumière diffuse, resplendissaient sur le versant des cimes éloignées; certains pics, plus hardiment dressés, trouaient les nuages gris et réapparaissaient au-dessus des vapeurs mouvantes, semblables à des écueils émergés en plein ciel.
Souvent ces chaînes de rocs arides faisaient une pointe vers la mer et mordaient sur le pâturage; mais il restait toujours une place suffisante pour passer. Nos chevaux, d’ailleurs, choisissaient d’instinct les endroits propices sans jamais ralentir leur marche. Mon oncle n’avait pas même la consolation d’exciter sa monture de la voix ou du fouet; il ne lui était pas permis d’être impatient. Je ne pouvais m’empêcher de sourire en le voyant si grand sur son petit cheval, et, comme ses longues jambes rasaient le sol, il ressemblait à un centaure à six pieds.