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Jamais il ne pourrait oublier ces oiseaux merveilleux! Lorsqu'ils furent hors de sa vue, il plongea jusqu'au fond de l'eau et quand il remonta à la surface, il était comme hors de lui-même. Il ne savait pas le nom de ces oiseaux ni où ils s'envolaient, mais il les aimait comme il n'avait jamais aimé personne. Il ne les enviait pas, comment aurait-il rêvé de leur ressembler…

L'hiver fut froid, terriblement froid. Il lui fallait nager constamment pour empêcher l'eau de geler autour de lui. Mais, chaque nuit, le trou où il nageait devenait de plus en plus petit. La glace craquait, il avait beau remuer ses pattes, à la fin, épuisé, il resta pris dans la glace.

Au matin, un paysan qui passait le vit, il brisa la glace de son sabot et porta le caneton à la maison où sa femme le ranima.

Les enfants voulaient jouer avec lui, mais lui croyait qu'ils voulaient lui faire du mal, il s'élança droit dans la terrine de lait éclaboussant toute la pièce; la femme criait et levait les bras au ciel. Alors, il vola dans la baratte où était le beurre et, de là, dans le tonneau à farine. La paysanne le poursuivait avec des pincettes; les enfants se bousculaient pour l'attraper… et ils riaient… et ils criaient. Heureusement, la porte était ouverte! Il se précipita sous les buissons, dans la neige molle, et il y resta anéanti.

Il serait trop triste de raconter tous les malheurs et les peines qu'il dut endurer en ce long hiver. Pourtant, un jour enfin, le soleil se leva, déjà chaud, et se mit à briller. C'était le printemps.

Alors, soudain, il éleva ses ailes qui bruirent et le soulevèrent, et avant qu'il pût s'en rendre compte, il se trouva dans un grand jardin plein de pommiers en fleurs. Là, les lilas embaumaient et leurs longues branches vertes tombaient jusqu'aux fossés.

Comme il faisait bon et printanier! Et voilà que, devant lui, sortant des fourrés trois superbes cygnes blancs s'avançaient. Il ébouriffaient leurs plumes et nageaient si légèrement, et il reconnaissait les beaux oiseaux blancs. Une étrange mélancolie s'empara de lui.

– Je vais voler jusqu'à eux et ils me battront à mort, moi si laid, d'avoir l'audace de les approcher! Mais tant pis, plutôt mourir par eux que pincé par les canards, piqué par les poules ou par les coups de pied des filles de basse-cour!

Il s'élança dans l'eau et nagea vers ces cygnes pleins de noblesse. À son étonnement, ceux-ci, en le voyant, se dirigèrent vers lui.

– Tuez-moi, dit le pauvre caneton en inclinant la tête vers la surface des eaux.

Et il attendit la mort.

Mais alors, qu'est-ce qu'il vit, se reflétant sous lui, dans l'eau claire? C'était sa propre image, non plus comme un vilain gros oiseau gris et lourdaud… il était devenu un cygne!!!

Car il n'y a aucune importance à être né parmi les canards si on a été couvé dans un oeuf de cygne!

Il ne regrettait pas le temps des misères et des épreuves puisqu'elles devaient le conduire vers un tel bonheur! Les grands cygnes blancs nageaient autour de lui et le caressaient de leur bec.

Quelques enfants approchaient, jetant du pain et des graines. Le plus petit s'écria:-Oh! il y en a un nouveau.

Et tous les enfants de s'exclamer et de battre des mains et de danser en appelant père et mère.

On lança du pain et des gâteaux dans l'eau. Tous disaient: «Le nouveau est le plus beau, si jeune et si gracieux.» Les vieux cygnes s'inclinaient devant lui.

Il était tout confus, notre petit canard, et cachait sa tête sous l'aile, il ne savait lui-même pourquoi. Il était trop heureux, pas du tout orgueilleux pourtant, car un grand coeur ne connaît pas l'orgueil. Il pensait combien il avait été pourchassé et haï alors qu'il était le même qu'aujourd'hui où on le déclarait le plus beau de tous! Les lilas embaumaient dans la verdure, le chaud soleil étincelait. Alors il gonfla ses plumes, leva vers le ciel son col flexible et de tout son coeur comblé il cria: «Aurais-je pu rêver semblable félicité quand je n'étais que le vilain petit canard!»

Les voisins

On aurait vraiment pu croire que la mare aux canards était en pleine révolution; mais il ne s'y passait rien. Pris d'une folle panique, tous les canards qui, un instant avant, se prélassaient avec indolence sur l'eau ou y barbotaient gaiement, la tête en bas, se mirent à nager comme des perdus vers le bord, et, une fois à terre, s'enfuirent en se dandinant, faisant retentir les échos d'alentour de leurs cris les plus discordants. La surface de l'eau était tout agitée. Auparavant elle était unie comme une glace; on y voyait tous les arbres du verger, la ferme avec son toit et le nid d'hirondelles; au premier plan, un grand rosier tout en fleur qui, adossé au mur, se penchait au-dessus de la mare. Maintenant on n'apercevait plus rien; le beau paysage avait disparu subitement comme un mirage. À la place il y avait quelques plumes que les canards avaient perdues dans leur fuite précipitée; une petite brise les balançait et les poussait vers le bord. Survint une accalmie, et elles restèrent en panne. La tranquillité rétablie, l'on vit apparaître de nouveau les roses. Elles étaient magnifiques; mais elles ne le savaient pas. La lumière du soleil passait à travers leurs feuilles délicates; elles répandaient la plus délicieuse senteur.

– Que l'existence est donc belle! dit l'une d'elles. Il y a pourtant une chose qui me manque. Je voudrais embrasser ce cher soleil, dont la douce chaleur nous fait épanouir; je voudrais aussi embrasser les roses qui sont là dans l'eau. Comme elles nous ressemblent! Il y a encore là-haut les gentils petits oiseaux que je voudrais caresser. Comme ils gazouillent joliment quand ils tendent leurs têtes mignonnes hors de leur nid! Mais il est singulier qu'ils n'aient pas de plumes, comme leur père et leur mère. Quels excellents voisins cela fait! Ces jeunes oiseaux étaient des moineaux; leurs parents aussi étaient des moineaux; ils s'étaient installés dans le nid que l'hirondelle avait confectionné l'année d'avant: ils avaient fini par croire que c'était leur propriété.

– Sont-ce des pièces pour faire des habits aux canards? demanda l'un des petits moineaux, en apercevant les plumes sur l'eau.

– Comment pouvez-vous dire des sottises pareilles? dit la mère. Ne savez-vous donc pas qu'on ne confectionne pas des vêtements aux oiseaux comme aux hommes? Ils nous poussent naturellement. Les nôtres sont bien plus fins que ceux des canards. À propos, je voudrais bien savoir ce qui a pu tant effrayer ces lourdes bêtes. Je me rappelle que j'ai poussé quelques pip, pip énergiques en vous grondant tout à l'heure. Serait-ce cela? Ces grosses roses, qui étaient aux premières loges, devraient le savoir; mais elles ne font attention à rien; elles sont perdues dans la contemplation d'elles-mêmes. Quels ennuyeux voisins! Les petits marmottèrent quelques légers pip d'approbation.

– Entendez-vous ces amours d'oiseaux! dirent les roses. Ils s'essayent à chanter; cela ne va pas encore; mais dans quelque temps ils fredonneront gaiement. Que ce doit être agréable de savoir chanter! on fait plaisir à soi-même et aux autres. Que c'est charmant d'avoir de si joyeux voisins! Tout à coup deux chevaux arrivèrent au galop; on les menait boire à la mare. Un jeune paysan montait l'un; il n'avait sur lui que son pantalon et un large chapeau de paille. Le garçon sifflait mieux qu'un moineau; il fit entrer ses chevaux dans l'eau jusqu'à l'endroit le plus profond. En passant près du rosier, il en cueillit une fleur et la mit à son chapeau. Il n'était pas peu fier de cet ornement. Les autres roses, en voyant s'éloigner leur soeur, se demandèrent l'une à l'autre:

– Où peut-elle bien aller? Aucune ne le savait.

– Parfois je souhaite de pouvoir me lancer à travers le monde, dit l'une d'elles; mais réellement je me trouve très bien ici: le jour, le soleil y donne en plein; et la nuit, je puis admirer le bel éclat lumineux du ciel à travers les petits trous du grand rideau bleu. C'est ainsi que dans sa simplicité elle désignait les étoiles.

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