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Ach, du lieber Augustin, Alles ist hin, hin, hin.

Mais le plus ingénieux était sans doute que si l'on mettait le doigt dans la vapeur de la marmite, on sentait immédiatement quel plat on faisait cuire dans chaque cheminée de la ville. Ça, c'était autre chose qu'une rose. Au cours de sa promenade avec ses dames d'honneur la princesse vint à passer devant la porcherie, et lorsqu'elle entendit la mélodie, elle s'arrêta toute contente car elle aussi savait jouer _Ach, du lieber Augustin_, c'était même le seul air qu'elle sût et elle le jouait d'un doigt seulement.

– C'est l'air que je sais, dit-elle, ce doit être un porcher bien doué. Entrez et demandez-lui ce que coûte son instrument.

Une des dames de la cour fut obligée d'y aller mais elle mit des sabots.

– Combien veux-tu pour cette marmite? demanda-t-elle.

– Je veux dix baisers de la princesse!

– Grands dieux! s'écria la dame.

– C'est comme ça et pas moins! insista le porcher.

– Eh bien! qu'est-ce qu'il dit? demanda la princesse.

– Je ne peux vraiment pas le dire, c'est trop affreux.

– Alors, dis-le tout bas.

La dame d'honneur le murmura à l'oreille de la princesse.

– Mais il est insolent, dit celle-ci, et elle s'en fut immédiatement.

Dès qu'elle eut fait un petit bout de chemin, les clochettes se mirent à tinter.

– Écoute, dit la princesse, va lui demander s'il veut dix baisers de mes dames d'honneur.

– Oh! que non, répondit le porcher. Dix baisers de la princesse ou je garde la marmite.

– Que c'est ennuyeux! dit la princesse. Alors il faut que vous teniez toutes autour de moi afin que personne ne puisse me voir.

Les dames d'honneur l'entourèrent en étalant leurs jupes, le garçon eut dix baisers et elle emporta la marmite. Comme on s'amusa au château! Toute la soirée et toute la journée la marmite cuisait, il n'y avait pas une cheminée de la ville dont on ne sût ce qu'on y préparait tant chez le chambellan que chez le cordonnier. Les dames d'honneur dansaient et battaient des mains.

– Nous savons ceux qui auront du potage sucré ou bien des crêpes, ou bien encore de la bouillie ou des côtelettes, comme c'est intéressant!

– Supérieurement intéressant! dit la Grande Maîtresse de la Cour.

– Oui, mais pas un mot à personne, car je suis la fille de l'empereur.

– Dieu nous en garde! firent-elles toutes ensemble.

Le porcher, c'est-à-dire le prince, mais personne ne se doutait qu'il pût être autre chose qu'un véritable porcher, ne laissa pas passer la journée suivante sans travailler, il confectionna une crécelle. Lorsqu'on la faisait tourner, résonnaient en grinçant toutes les valses, les galops et les polkas connus depuis la création du monde.

– Mais c'est superbe, dit la princesse lorsqu'elle passa devant la porcherie. Je n'ai jamais entendu plus merveilleuse improvisation! Écoutez, allez lui demander ce que coûte cet instrument-mais je n'embrasse plus!

– Il veut cent baisers de la princesse, affirma la dame d'honneur qui était allée s'enquérir.

– Je pense qu'il est fou, dit la princesse.

Et elle s'en fut. Mais après avoir fait un petit bout de chemin, elle s'arrêta.

– Il faut encourager les arts, dit-elle. Je suis la de l'empereur. Dites-lui que je lui donnerai dix baisers, comme hier, le reste mes dames d'honneur s'en chargeront.

– Oh! ça ne nous plaît pas du tout, dirent ces dernières.

– Quelle bêtise! répliqua la princesse. Si moi je peux l'embrasser, vous le pouvez aussi. Souvenez-vous que je vous entretiens et vous honore.

Et, encore une fois, la dame d'honneur dut aller s'informer.

– Cent baisers de la princesse, a-t-il dit, sinon il garde son bien.

– Alors, mettez-vous devant moi. Toutes les dames l'entourèrent et l'embrassade commença.

– Qu'est-ce que c'est que cet attroupement, là-bas, près de la porcherie! s'écria l'empereur.

Il était sur sa terrasse où il se frottait les yeux et mettait ses lunettes.

– Mais ce sont les dames de la cour qui font des leurs, il faut que j'y aille voir.

Il releva l'arrière de ses pantoufles qui n'étaient que des souliers dont le contrefort avait lâché…

Saperlipopette! comme il se dépêchait…

Lorsqu'il arriva dans la cour, il se mit à marcher tout doucement. Les dames d'honneur occupées à compter les baisers afin que tout se déroule honnêtement, qu'il n'en reçoive pas trop, mais pas non plus trop peu, ne remarquèrent pas du tout l'empereur. Il se hissa sur les pointes:

– Qu'est-ce que c'est! cria-t-il quand il vit ce qui se passait. Et il leur donna de sa pantoufle un grand coup sur la tête, juste au moment où le porcher recevait le quatre-vingtième baiser.

– Hors d'ici! cria-t-il furieux.

La princesse et le porcher furent jetés hors de l'empire.

Elle pleurait, le porcher grognait et la pluie tombait à torrents.

– Ah! je suis la plus malheureuse des créatures, gémissait la princesse. Que n'ai-je accepté ce prince si charmant! Oh! que je suis malheureuse!

Le porcher se retira derrière un arbre, essuya le noir et le brun de son visage, jeta ses vieux vêtements et s'avança dans ses habits princiers, si charmant que la princesse fit la révérence devant lui.

– Je suis venu pour te faire affront, à toi! dit le garçon. Tu ne voulais pas d'un prince plein de loyauté.

Tu n'appréciais ni la rose, ni le rossignol, mais le porcher tu voulais bien l'embrasser pour un jouet mécanique! Honte à toi!

Il retourna dans son royaume, ferma la porte, tira le verrou.

Quant à elle, elle pouvait bien rester dehors et chanter si elle en avait envie:

Ach, du lieber Augustin, Alles ist hin, hin, hin.

Quelque chose

Il faut que je devienne quelque chose, disait l'aîné de cinq frères; je veux être utile en ce monde. Si humble que soit mon métier, si ce que je fais sert à mes semblables, je serai quelque chose. Je veux me faire briquetier. On ne saurait se passer de briques. Je pourrai dire que je suis bon à quelque chose.

– Oui, dit le puîné, mais l'ambition est trop basse. Qu'est-ce que faire des briques? Moi, je préfère être maçon. Voilà, du moins, une véritable profession. On devient maître et bourgeois de la ville; on a sa bannière et l'entrée à l'auberge de la corporation; et, je finirai par avoir des compagnons sous mes ordres, et ma femme sera appelée madame la maîtresse.

– C'est n'être rien du tout, dit le troisième, que d'être maçon. Tu auras beau devenir maître, tu ne sortiras pas du peuple et du commun. Moi, je connais quelque chose de mieux: je deviendrai architecte. Je vivrai par l'intelligence, par la pensée: l'art sera mon domaine. Je serai au premier rang dans le royaume de l'esprit. Il est vrai qu'il me faudra commencer péniblement. Je serai d'abord apprenti menuisier; je porterai la casquette, et non le chapeau de soie noire; j'irai quérir de la bière et de l'eau-de-vie pour les compagnons; ces marauds se permettront de me tutoyer; ce sera blessant. Mais je m'imaginerai que ce n'est qu'une farce de carnaval, le monde à l'envers; et le lendemain, c'est-à-dire quand je serai devenu compagnon, je suivrai mon chemin, j'entrerai à l'Académie des beaux-arts, j'apprendrai à dessiner, et me voilà architecte! Quand on m'écrira, on mettra sur l'adresse: Monsieur un tel bien né, ou peut-être même très bien né. Il n'est pas impossible que l'on ajoute quelque chose à mon nom. Et je construirai, je construirai, aussi bien que les autres ont construit avant moi! Et je bâtirai ainsi ma fortune. C'est ce que j'appelle être quelque chose.

– Ce que tu prends pour quelque chose, répartit le quatrième frère, me paraît bien peu et presque rien. Moi, je ne veux pas suivre le chemin battu par les autres; je ne veux pas être un copiste. Je serai un génie original et créateur. J'inventerai un nouveau style d'architecture. Je dresserai le plan des édifices selon le climat du pays, les matériaux qu'on y trouve, l'esprit national, le degré de civilisation. À tous les étages qu'on a coutume d'élever, j'ajouterai un dernier étage auquel je donnerai mon nom et qui éternisera ma renommée.

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