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Dis-moi, chantez-vous encore les dimanches? Raconte-moi quelque chose de la petite Maria! Et mon bon camarade, l'autre soldat de plomb? Doit-il être heureux, lui! Ne pourrait-il pas venir me relever de faction? Oh, emmène-moi!»

– Tu n'es plus à moi, répondit le petit garçon. Tu sais bien que je t'ai donné en cadeau au vieux monsieur. Il faut te faire une raison.»

Cette fois le vieillard montra à son petit ami des cassettes où il y avait toutes sortes de jolis bibelots des temps passés; des cartes à jouer, grandes et toutes dorées, comme on n'en voit même plus chez le roi. Le vieux monsieur ouvrit le clavecin, qui, à l'intérieur, était orné de fines peintures, de beaux paysages avec des bergers et des bergères; il joua un ancien air; l'instrument n'était guère d'accord, et les sons étaient comme enroués. Mais on aurait dit que le portrait de la belle dame, celui qui avait été acheté chez le marchand de bric-à-brac, s'animait en entendant cette antique mélodie; le vieux monsieur la regardait, ses yeux brillaient comme ceux d'un jeune homme; un doux sourire passa sur ses lèvres.

«Je veux partir en guerre, en guerre!», s'écria le soldat de plomb de toutes ses forces; mais, à ce moment, le vieux monsieur vint prendre quelque chose sur la cheminée et il renversa le soldat qui roula par terre. Où était-il tombé? Le vieillard chercha, le petit garçon chercha; ils ne purent le trouver. Disparu le soldat de plomb!»Je le retrouverai demain», dit le vieux monsieur. Mais, jamais, il ne le revit. Le plancher était rempli de fentes et de trous; le soldat avait passé à travers, et il gisait là, sous les planches, comme enterré vivant.

Malgré cet incident la journée se passa gaiement, et, le soir, le petit garçon rentra chez lui. Des semaines s'écoulèrent, et l'hiver arriva. Les fenêtres étaient gelées, et l'enfant était obligé de souffler longtemps sur les carreaux, pour y faire un rond par lequel il pût apercevoir la vieille maison. Les sculptures de la porte, les tulipes, les trompettes, on les voyait à peine, tant la neige les recouvrait. La vieille maison paraissait encore plus tranquille et silencieuse que d'ordinaire; et, en effet, il n'y demeurait absolument plus personne: le vieux monsieur était mort, il s'était doucement éteint.

Le soir, comme c'était l'usage dans le pays, une voiture tendue de noir s'arrêta devant la porte; on y plaça un cercueil, qu'on devait porter bien loin, pour le mettre dans un caveau de famille. La voiture se mit en marche; personne ne suivait que le vieux domestique; tous les amis du vieux monsieur étaient morts avant lui. Le petit garçon pleurait, et il envoyait de la main des baisers d'adieu au cercueil.

Quelques jours après, la vieille maison fut pleine de monde, on y faisait la vente de tout ce qui s'y trouvait. Et, de la fenêtre, le petit garçon vit partir, dans tous les sens, les chevaliers, les châtelaines, les pots de fleurs en faïence, les fauteuils qui poussaient des knik-knak plus forts que jamais. Le portrait de la belle dame retourna chez le marchand de bric-à-brac; si vous voulez le voir, vous le trouverez encore chez lui; personne ne l'a acheté, personne n'y a fait attention.

Au printemps, on démolit la vieille maison.» Ce n'est pas dommage qu'on fasse disparaître cette antique baraque», dirent les imbéciles, et ils étaient nombreux comme partout. Et, pendant que les maçons donnaient des coups de pioche, qui fendaient le coeur du petit garçon, on voyait, de la rue, pendre des lambeaux de la tapisserie en cuir doré, et les tulipes volaient en éclats, et les trompettes tombaient par terre, lançant un dernier schnetterendeng.

Enfin, on enleva tous les décombres et on construisit une grande belle maison à larges fenêtres et à murailles bien lisses, proprement peintes en blanc. Par devant, on laissa un espace pour un gentil petit jardin qui, sur la rue, était entouré d'une jolie grille neuve: «Que tout cela a bonne façon!» disaient les voisins. Dans le jardin, il y avait des allées bien droites, et des massifs bien ronds; les plantes étaient alignées au cordeau, et ne poussaient pas à tort et à travers comme autrefois, dans la cour de la vieille maison.

Les gens s'arrêtaient à la grille et regardaient avec admiration. Les moineaux par douzaines, perchés sur les arbustes et la vigne vierge qui couvrait les murs de côté babillaient de toutes sortes de choses, mais pas de la vieille maison; aucun d'eux ne l'avait jamais vue: car il s'était passé, depuis lors, bien du temps, oui, tant d'années que, dans l'intervalle, le petit garçon était devenu un homme, et un homme distingué qui faisait la joie de ses vieux parents.

Il s'était marié et il habitait, avec sa jeune femme, justement la belle maison dont nous venons de parler.

Un jour, ils étaient dans le jardin, et la jeune dame plantait une fleur des champs qu'elle avait rapportée de la promenade, et qu'elle trouvait aussi belle qu'une fleur de serre. Elle raffermissait, de ses petites mains, la terre autour de la racine, lorsqu'elle se sentit comme piquée aux doigts.

«Aïe!» s'écrie-t-elle, et elle aperçoit quelque chose qui brille. Qu'était-ce? Devinez-vous? C'était le soldat de plomb, que le vieux monsieur avait cherché vainement et qui était tombé là pendant les démolitions, se trouvait sous terre depuis tant d'années.

La jeune dame le retira, et, sans lui en vouloir de ce qu'il l'avait piquée, elle le nettoya avec une feuille humide de rosée, et le sécha avec son mouchoir fin, qui sentait bon. Et le soldat de plomb était bien aise, comme s'il se réveillait d'un long évanouissement.

«Laisse-moi le voir», dit le jeune homme, en souriant. Puis il hocha la tête et continua: «Non, ce ne peut pas être le même; mais il me rappelle un autre soldat de plomb que j'avais lorsque j'étais petit.»

Et il raconta l'histoire de la vieille maison, et du vieux monsieur, auquel il avait envoyé, pour lui tenir compagnie, son soldat de plomb. La jeune dame fut touchée jusqu'aux larmes de ce récit, surtout quand il fut question du portrait qui avait été acheté chez le marchand de bric-à-brac.

«Il serait cependant possible, dit-elle, que ce fût le même soldat de plomb. Je veux le garder avec soin; il me rappellera ce que tu viens de me conter. Tu me conduiras, n'est-ce pas, sur la tombe du vieux monsieur?

– Je ne sais pas où elle se trouve, répondit-il; j'ai demandé à la voir, personne n'a pu me l'indiquer. Tous ses amis étaient morts. Je sais seulement que c'est très loin d'ici; au moment où on a emporté le cercueil, je n'ai pas questionné; j'étais trop petit pour aller si loin y porter des fleurs.

– Oh! Comme il a été seul, dans sa tombe également! dit la dame, personne n'en aura pris soin.

– Moi aussi, j'ai été longtemps bien seul, se dit le soldat de plomb; mais, quelle compensation aujourd'hui; je ne suis pas oublié!»

Comme la dame l'emportait dans la maison, il jeta un dernier regard sur l'endroit où il était resté tant d'années; que vit-il, ressemblant à de la vulgaire terre? Un morceau de la belle tapisserie. La dorure, elle, avait entièrement disparu. Et, de sa fine oreille, le soldat entendit un murmure où il distinguait ces paroles:

«La dorure passe, mais le cuir reste.»

S'il avait pu, il aurait volontiers haussé les épaules; chez lui, couleur et dorure étaient restées.

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