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– Elle est dans sa famille.

– Tiens, tiens! En Angleterre?

– Oui.

– Dans quelle partie de l’Angleterre? À Londres?

– Non, à Twickenham.

– Pardonnez à ma curiosité, mon cher Kennedy! Inscrivez-la au compte de mon ignorance du monde. Sans doute est-il courant de persuader une jeune fille de partir avec vous pendant trois semaines, et de la restituer ensuite à sa famille à… Comment avez-vous appelé l’endroit?

– Twickenham.

– C’est cela: Twickenham. Mais il s’agit là de choses absolument neuves pour moi, et je suis incapable de me représenter comment vous avez agi. Voyons, si vous aviez aimé cette jeune fille, votre amour ne se serait pas évaporé en trois semaines: je déduis donc que vous ne l’aimiez pas du tout. Mais si vous ne l’aimiez pas, à quoi bon ce grand scandale qui vous a fait un peu de mal, et à elle beaucoup?

Kennedy fixa maussadement l’œil rouge du poêle.

– C’est sûrement une manière logique de résumer l’affaire. L’amour est un grand mot, qui interprète d’innombrables nuances de sentiment. Je l’aimais, et… Au fait, vous dites l’avoir vue. Donc vous connaissez son charme. Mais toutefois, avec le recul, j’incline à penser que je ne l’ai jamais réellement aimée.

– Alors, mon cher Kennedy, pourquoi avoir agi ainsi?

– Par passion de l’aventure, je pense…

– Comment! Vous avez un tel goût pour les aventures?

– Sans aventures, où serait la diversité de la vie? J’ai commencé à m’intéresser à elle en vue d’une aventure. J’ai chassé toute sorte de gibier, mais aucun gibier ne vaut les jolies femmes. Ajoutez à cela l’aiguillon de la difficulté, car elle était l’amie de Lady Emily Rood et il était quasi-impossible de la voir en particulier. Mais surtout, entre tous les obstacles qui m’ont passionné, voici celui qui m’a décidé: tout au début de nos relations, j’ai appris de sa bouche qu’elle était fiancée.

– Mein Gott! À qui?

– Elle n’a prononcé aucun nom.

– Je crois que tout le monde l’ignore! Ainsi c’est ce détail qui, pour vous, a corsé l’aventure?

– Une épice, comprenez-vous?

– Oh, croyez·moi: je suis très ignorant de ces choses-là!

– Mon cher ami, la pomme que vous dérobiez sur le pommier du voisin n’était-elle pas toujours plus savoureuse que celle qui tombait de votre arbre?… J’ai ensuite découvert que je ne lui étais pas indifférent.

– Quoi!… Tout de suite?

– Oh non! Au bout de trois mois d’un siège abondamment pourvu de sapes et de mines… Mais en fin de compte je l’ai séduite. Elle a compris que, séparé judiciairement de ma femme, j’étais dans l’impossibilité de conclure normalement les choses. Mais néanmoins elle est venue avec moi, et nous avons passé quelques jours délicieux.

– Et… l’autre homme? demanda Burger. Kennedy haussa les épaules.

– Nous nous trouvons en face, je crois, de la survivance du plus apte. Si l’autre avait été le plus fort de nous deux, elle ne l’aurait pas abandonné. Maintenant parlons d’autre chose; j’en ai par-dessus la tête de cette histoire!

– Seulement une autre question. Comment vous êtes-vous débarrassé d’elle en trois semaines?

– Hé bien, nous avions un peu tous les deux étanché notre soif, comprenez-vous? Elle refusait obstinément de revenir à Rome où elle se serait trouvée dans l’obligation d’affronter les gens qu’elle y avait connus. Or, bien sûr, Rome m’était indispensable, et déjà j’avais la nostalgie de mon travail. C’était une première cause normale de rupture. Par ailleurs son vieux père est arrivé inopinément à l’hôtel, et il nous a fait une scène… Bref, l’affaire a pris un tour tellement déplaisant que vraiment, bien qu’elle m’ait terriblement manqué quelque temps, j’ai été ravi de me libérer. À présent je me fie à vous pour ne rien répéter de ce que je vous ai dit!

– Mon cher Kennedy, jamais je ne m’aviserais de le faire! Mais tout ce que vous m’avez raconté m’a vivement intéressé, car me voilà éclairé sur votre façon de considérer la vie. Elle diffère totalement de la mienne, puisque j’ai vu si peu de choses… Et maintenant, vous désirez que je vous mette au courant de mes nouvelles catacombes? Il est inutile que vous vous efforciez de me les faire décrire; vous ne les trouveriez jamais par une simple description. La seule chose à faire serait que je vous y mène.

– Merveilleux!

– Quand voudriez-vous y aller?

– Le plus tôt sera le mieux. Je suis très impatient…

– Le fait est que la nuit est très belle, bien qu’un peu fraîche. Voulez-vous que nous partions dans une heure? Prenons toutes nos précautions pour ne pas être suivis. Si quelqu’un nous voit partir en chasse ensemble, il flairera immédiatement une affaire nouvelle.

– D’accord pour un maximum de précautions, répondit Kennedy. Est-ce loin?

– Plusieurs kilomètres.

– Pas trop loin pour y aller à pied?

– Oh non! Nous pouvons marcher facilement jusque-là.

– Il serait préférable d’aller à pied, alors. Un cocher bavarderait s’il nous déposait au milieu de la nuit dans un endroit isolé.

– Très juste! Nous pourrions nous retrouver à minuit à la porte de la Voie Appienne. Il faut que je rentre chez moi pour prendre des allumettes, des bougies et divers objets.

– Parfait, Burger! Je pense que vous êtes très chic de me mettre dans votre secret, et je vous promets de ne rien écrire avant que vous n’ayez publié votre rapport. Pour l’instant, bonsoir! Vous me trouverez à minuit à la porte de la Voie Appienne.

L’air froid et clair retentissait des carillons musicaux de cette cité d’horloges quand Burger, enveloppé dans un manteau italien, une lanterne à la main, arriva au lieu du rendez-vous. Kennedy sortit de l’ombre pour aller au-devant de lui.

– Ardent au travail comme à l’amour! s’écria l’Allemand en riant.

– Oui. Je suis là depuis près d’une demi-heure.

– J’espère que vous n’avez communiqué à personne la moindre indication sur le but de notre excursion?

– Pas si bête! Par Jupiter, je suis glacé jusqu’aux os! Allons, Burger, réchauffons-nous par une bonne petite marche.

Ils s’engagèrent d’un pas bien cadencé sur la chaussée de pierres qui est tout ce qui reste de la plus célèbre avenue du monde. Quelques paysans sortaient des auberges pour rentrer chez eux: des chariots chargés des produits de la campagne montaient vers Rome. Ils ne firent pas d’autres rencontres. Sur leur droite, sur leur gauche, de grands tombeaux surgissaient dans l’obscurité. Ils allèrent ainsi jusqu’aux catacombes de Saint-Calixte et en face d’eux ils virent se détacher contre la lune qui se levait le grand bastion circulaire de Cecilia Metella. Burger porta une main à son côté et s’arrêta.

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