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Les voix résonnaient sourdement, comme amorties par les duvets de peuplier qui voletaient lentement. L'une des femmes assesseurs était allergique à ces flocons cotonneux. Sans cesse elle se mouchait, clignotait de ses yeux rouges et ne pensait qu'à une chose: pourvu que ça se termine le plus vite possible! Tous ses collègues pensaient de même. Le soleil poussait au sommeil. La plupart d'entre eux se préparaient déjà aux vacances, calculaient les jours avec joie: encore une semaine et puis…

Le juge, une femme aussi, avait trop bronzé le dimanche précédent dans sa datcha et sous son tailleur strict elle sentait maintenant une douleur cuisante aux épaules. Elle voulait, elle aussi, en finir au plus vite avec cette procédure, prononcer le jugement – un an avec sursis, pensait-elle – et au plus tôt, en rentrant chez elle, s'enduire les épaules de crème fraîche. C'était un conseil de l'assesseur qui souffrait du duvet de peuplier. «Peut-être que ce n'est pas une allergie, mais une grippe. Parfois ça arrive en été», pensait le juge.

Personne ne se souvenait plus à quel moment, au lieu de la réponse brève qu'on lui demandait, le prévenu Demidov s'était mis à parler très haut en bafouillant, presque à crier. Le juge essaya de l'interrompre en tambourinant avec un crayon sur la table et en disant d'une voix volontairement officielle: «C'est sans rapport avec votre affaire.» Puis elle pensa qu'il valait mieux laisser le Vétéran vider son sac – d'autant plus qu'on lui avait téléphoné en haut lieu pour lui conseiller d'en finir en douceur, sans faire de zèle.

Ivan parlait de la guerre, de Staline, de la Victoire. Il bégayait un peu, craignant le silence qui surgissait entre les mots, essayant de percer cette somnolence opaque de l'après-midi. Il mentionna sans raison le Bolchoï, l'Afghanistan (ici le juge recommença à donner des coups de crayon sur la table) et Semionov l'unijambiste. D'abord les gens s'animèrent, puis se replongèrent dans une incompréhension indifférente: Gorbatchev avait déjà permis de parler de tout cela dans les journaux. Les femmes consultaient leur montre et les hommes, dans l'attente de la suspension de séance, tripotaient leur cigarette. Au dernier rang, comme avant, sans prêter d'attention à personne, on chuchotait. Le juge disait quelque chose à l'oreille de l'assesseur. Le procureur, en pinçant ses manches, les débarrassait des petits flocons blancs.

Enfin Ivan se tut brusquement. Il enveloppa la salle d'un regard un peu affolé et, s'adressant on ne savait à qui, cria d'une voix sifflante de vieillard:

– Vous avez fait de ma fille une prostituée!

À ce moment il croisa le regard d'Olia. Il n'entendait plus ni le brouhaha qui s'élevait du public, ni la voix du juge qui annonçait la suspension. Il comprenait qu'il venait de se produire quelque chose de monstrueux, face à quoi son ivrognerie et sa bagarre à la Beriozka n'étaient que des bagatelles. Quelqu'un qui sortait lui masqua le visage de sa fille. Il porta son regard sur les fenêtres et vit avec étonnement que le rebord brillait au soleil d'une étrange lumière irisée. Puis cette lumière s'amplifia, devint éclatante et douloureuse, et tout à coup le rebord vira au noir. Ivan s'assit lourdement, laissant tomber la tête sur la rampe rayée de dates anciennes et de noms inconnus.

Non sans peine le fourgon s'échappa de Moscou en plein Festival et plus vite, comme avec soulagement, s'engouffra sur l'autoroute de Riazan. Le chauffeur et son collègue étaient eux-mêmes originaires de Riazan. Ils connaissaient mal Moscou et avaient peur de tomber sur la milice de la route qui était présente à chaque carrefour à cause du Festival. Mais tout se passa bien.

Olia, assise dans la profondeur obscure du fourgon, calait de sa chaussure légère le cercueil tendu de drap rouge qui glissait à chaque virage. Le fourgon n'était pas bâché à l'arrière, et au-dessus du battant s'ouvrait un vif rectangle de lumière. Durant la traversée de Moscou, on remarquait tantôt une rue qu'Olia connaissait bien, tantôt un groupe de touristes en habits voyants. Les cars aux emblèmes du Festival sillonnaient les rues, et souvent on distinguait ici ou là les vestes blanches et les pantalons bleus des interprètes. Tout cela rappelait à Olia les Jeux olympiques et cet été-là, maintenant si lointain. Puis dans le cadre lumineux commencèrent à se dérouler les champs, l'autoroute grise, les premiers villages.

Par miracle, après deux jours de recherches vaines, Olia avait trouvé cette voiture et avait réussi à convaincre le chauffeur. Il avait accepté simplement parce qu'ils allaient dans la même direction. Olia lui avait donné presque tout l'argent qui lui restait.

À mi-chemin le chauffeur tourna dans une route transversale et s'arrêta. Les portières claquèrent et à l'arrière, au-dessus du battant, apparut la tête du collègue.

– Pas trop secouée? Dans une heure on sera arrivé. Attends un peu; nous, on fait un saut au magasin. Tu sais, à Moscou c'est le régime sec, surtout avec le Festival…

Olia entendit des pas s'éloigner. Dans le rectangle ensoleillé se dessinait un bout d'isba, une haie, un jardin dans lequel une vieille courbée arrachait quelque chose de la terre. Il faisait chaud. Par les interstices filtraient de petits rayons de soleil. Quelque part, au loin, paresseusement aboyait un chien.

Olia était persuadée qu'à Borissov, dès qu'on apprendrait son arrivée, tout le monde s'affairerait pour organiser les funérailles et trouver les musiciens. Elle imaginait même la procession des responsables locaux dans leur grotesque complet noir, le grincement métallique de l'orchestre, les condoléances auxquelles elle devrait répondre en formules dépourvues de sens.

Mais tout se passa autrement. Le chauffeur et son collègue, transpirant et soufflant de façon exagérée, laissèrent tomber le cercueil sur la table et s'en allèrent après avoir soutiré encore dix roubles, à cause du troisième étage. Olia resta toute seule en face de cette longue caisse rouge, effrayante dans son silence.

Au matin, elle se rendit au parc des véhicules où avait travaillé son père. Elle fut reçue par le nouveau chef, un jeune homme au jean qui pochait aux genoux. Dès qu'il eut compris de quoi il s'agissait, il se mit à parler rapidement sans lui permettre de placer un mot. Toutes les voitures étaient réquisitionnées pour les travaux d'été au kolkhoze, les deux qui restaient n'avaient plus de roues, la moitié du personnel était en congé. Et pour se justifier, il lui montra la cour déserte, maculée de taches noires d'huile, et un camion dans le moteur duquel s'enlisait jusqu'à la taille un gars ébouriffé. «Et en plus, ajouta le chef, nous marchons maintenant au régime de l'autofinancement.»

– Mais je vais payer, s'empressa de dire Olia pour le calmer. Donnez-moi seulement une voiture et quelques hommes.

– Mais puisque je vous dis que je ne peux pas! gémit le chef, écartant les bras dans un geste d'impuissance.

Au Comité militaire, l'officier de service lui demanda de remplir un formulaire, puis alla chercher un ordre derrière la porte capitonnée et clouée de pointes brillantes. Quand il revint, il ouvrit le coffre-fort, en retira le livret du Héros de l'Union soviétique et le tendit à Olia:

– Maintenant nous sommes quittes avec vous. Quant aux funérailles, il faut vous adresser au Conseil des Vétérans. Ce n'est pas de notre ressort.

Olia sortit et examina avec étonnement la photo de son père sur le livret. C'était un gars au crâne rond et rasé, presque un adolescent, qui la regardait. «Il n'avait pas encore vingt ans», pensa-t-elle avec stupéfaction. La cour du Comité militaire était vide et silencieuse. Seul un soldat efflanqué balayait un chemin asphalté. La poussière s'élevait en nuage léger et retombait au même endroit.

Au Conseil des Vétérans, il n'y avait personne. Sur le tableau d'affichage pendait une feuille de papier cartonné aux lettres rouges fanées: «Le défilé de fête des Vétérans consacré au quarantième anniversaire de la Victoire aura lieu le 9 mai, à 10 heures. Rassemblement place Lénine. La participation de tous les membres du Conseil est strictement obligatoire.»

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