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Oui, d'accord, c'est noté. Quelques instants plus tard, je suis au laboratoire d'analyses, deux rues plus loin. Chlamydiae? Parfait. Pas de problème. Analyse d'urine, d'accord. Je dois remplir deux petits flacons le lendemain: l'un dès le lever, avec mon premier «jet» (quand la laborantine prononce ce mot, j'ai envie de me cacher misérable sous l'un des fauteuils de moleskine crème qui sont derrière moi), l'autre avec mon deuxième jet. Beurk. Et surtout, opération accessoire mais très importante: pendant vingt-quatre heures, je dois pisser dans des bouteilles en plastique («Évian, Vittel, comme vous voulez…») et tout lui rapporter.

– Même s'il y a trois ou quatre litres, me dit-elle. Je veux tout.

Elle veut toute mon urine. Elle m'explique pourquoi, mais je ne comprends rien. Je trouve ça répugnant, dégradant, et je dis:

– Oui madame, d'accord. À demain… Non, après-demain.

Le lendemain, je passe mon temps à pisser dans des bouteilles de Volvic. Dans la rue je me retiens et cours jusqu'à chez moi pour verser docilement mon humble production dans ma bouteille. Il faut bien viser, je prends soin de ne pas en perdre une goutte – on ne sait jamais, ça peut tout fausser. Je bois beaucoup d'eau et remplis bravement deux grandes bouteilles. Soit trois litres. Jaunes. Avec un peu de mousse au-dessus.

Le jour suivant, je lui apporte tête basse mes deux bouteilles pleines: si je déposais sur le comptoir du laboratoire mes déficiences, mes erreurs et mes doutes gluants et puants sur du papier journal, ce serait pareil. Tenez, voilà ce que je suis: ma pisse jaune et mousseuse. Je n'ose pas la regarder en face, mais elle me dit:

– Vous savez, il ne faut pas vous sentir gêné. On a tous les jours des vieux qui nous apportent leur pisse, c'est mal bouché parce qu'ils n'ont pas de force, souvent ça dégouline et on s'en fout plein les mains. Vous, au moins, le bouchon est bien vissé.

Ah, je ne suis pas au fond du trou. Il y a pire que moi: les vieillards qui en foutent partout.

Trois jours plus tard (je n'ai pas remis les pieds au Saxo Bar, dans l'attente anxieuse du verdict des juges en blouse), je reçois les résultats de l'analyse dans ma boîte aux lettres: je n'ai rien, pas de chlamydiae. C'est une bonne nouvelle, je n'aime pas avoir des envahisseurs dans le corps. Mais ne te réjouis pas trop vite, Titus Colas, me précise le courrier de manière très sèche. Tu n'es peut-être pas aussi sain que tu en as l'air. Car le résultat ne peut être validé: tu ne nous as pas fourni assez de «matériel biologique».

Quoi? J'ai donné trois litres de pisse, par respect pour la médecine et ses prouesses qui nous dépassent, je me suis abaissé à l'état de vache qu'on trait, je me suis vidé en rougissant dans des bouteilles en plastique et malgré tous ces efforts, on me rejette? Je n'ai pas suffisamment de matériel biologique dans les urines? La médecine m'écarte comme une quantité négligeable. Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même, je n'avais qu'à être un peu plus dense, biologiquement parlant. Mais qu'est-ce que ça veut dire? Je suis un homme. J'ai forcément assez de matériel biologique. Sinon je ne tiendrais pas debout, je ne pourrais pas courir, danser le jerk, tenir le coup aux heures de pointe dans le métro, baiser des filles à la façon d'un sauvage, digérer des casseroles entières de nouilles, allons, si je n'avais pas assez de matériel biologique je ne pourrais pas écouter de la musique ni m'exprimer correctement. Je suis même en train de tomber amoureux, c'est dire si je suis complet, c'est dire si je suis fort. Pourtant, l'analyse ne fonctionne pas sur moi. Ils me conseillent de recommencer le test – qui sait, je serai peut-être meilleur au deuxième essai? C'est hors de question, j'ai déjà fait tout ce que j'ai pu. J'ai assez donné. Que les chlamydiae me rongent, je m'en tape. Je suis solide, quoi qu'on en dise, je suis un coriace, je peux leur résister. Aux chlamydiae.

Humilié toutefois, je ne retourne toujours pas au Saxo Bar le lendemain. Ni le surlendemain. Enfin, je n'en ai sûrement pas, des chlamydiae. Mais je n'ai plus assez confiance en moi pour sortir. Je ne vois pas ce que j'ai à faire en ce monde.

Je tente de nouveau l'aventure dimanche. Je n'ai pas assez de matériel biologique mais j'ai le droit de vivre, surtout le dimanche – même peu. Même pas assez. On fait avec ce qu'on a.

Néfertiti est là. Elle porte un grand manteau de cuir rouge et son bonnet de lapin. Elle est assise au même endroit que les autres jours, sur la banquette près de la porte. Tout le monde l'observe, amusé ou intrigué. Henri, Jessica, Lucie, Messaoud. Elle dégage de l'électricité. Elle produit à peu près l'effet d'une lampe de chevet (avec un petit abat-jour noir et un pied en or finement travaillé) dans une boutique de poterie. Pourtant elle semble assez timide, quand on regarde attentivement son visage. Elle a des yeux inquiets.

Rocco, piteusement arrimé au comptoir, essaie de ne pas la voir. Il boit de la vodka et croupit dans son verre. The Sailorman, quant à lui, enfile son tee-shirt rayé, remplit les cales de victuailles et hisse les voiles que le vent de l'amour gonfle déjà. Pas assez de matériel biologique? Deux secondes…

Olive boit du café et lit toujours le dernier Despentes. Je pensais qu'elle lisait vite. Voilà qui pourrait faire une bonne entrée en matière. («L'autre jour vous avez englouti le Bukowski et là…») Aux pieds, elle porte des Kickers bleu marine (avec encore l'étiquette de cuir en forme de trèfle à quatre feuilles passée sur les lacets). C'est bizarre, avec ce manteau rouge de pute. Ça fait petite fille.

– Vous aimez Virginie Despentes? m'étranglai-je.

– Pardon?

– Vous aimez Virginie Despentes?

– Oui, beaucoup. Je trouve qu'elle… J'aime, oui.

– Et celui-ci? C'est le dernier, non? (Je connais tout, je suis costaud.) On m'a dit qu'il était… différent des autres. (Je suis habile.)

– Oui, il est moins bien. Mais ce n'est pas grave.

– Si, quand même, non? (Je n'ai jamais été très doué en conversation.)

– Non. Ce n'est pas grave. Et certaines choses font peur quand même.

– Ça fait peur?

– Oui. Parfois. Une sensation de peur.

– Ah…

Je ne sais plus quoi dire, je bloque comme un robot pas très perfectionné. J'ai l'impression qu'Olive Sohn sait tout, comprend tout, ressent tout et moi rien. Miette n'est qu'un corps, une enveloppe vide, un être superficiel et creux qu'une aiguille suffirait à crever, ne libérant qu'un petit nuage de poudre grise. Elle a peur? Elle a des yeux vagues et inquiets mais avec toute cette lumière à l'intérieur, avec cette densité atomique, cette énergie qui irradie d'elle comme d'une bombe qu'on entend presque vibrer, je ne vois pas comment elle aurait peur de qui ou de quoi que ce soit. Quelqu'un qui s'approcherait trop serait immédiatement désintégré. Par contre elle, elle, oui, elle me fait peur. Elle est impressionnante. Blonde. Sa tête de cinglée. Sa bouche de sainte. Son manteau de tapin démodé. Ses chaussures de gamine. Salope, vicieuse, mystère. Je suis sur le point de laisser tomber, de m'enfuir, tant pis il y en a d'autres sur terre (tu peux toujours chercher, abruti), de ramener mon peu de matériel biologique entre mes quatre murs, je ne mérite pas cette fille tellement biologique elle-même, je suis sur le point d'aller lire le dernier Despentes au fond de mon lit pour voir si ça me fait peur, à moi aussi (en fait, je le lis quelques semaines plus tard et non ça ne me fait pas peur – il faut dire que je triche, rien ne peut me faire peur car Olive dort à l'étage, nous sommes à Veules-les-Roses pour un moment, je suis allé manger tout seul dans un restaurant absolument dégueulasse où le nom des plats est traduit sur le menu pour mettre le touriste en appétit, où par exemple «l'assiette du maraîcher» est sous-titrée «thé plate of the truck farmer» (Néfertiti a ses règles et ne veut pas sortir de la maison parce qu'elle est trop nerveuse), et quand je rentre il y a un mot sur la table de la cuisine: «Tu peux m'appeler si tu veux, je suis en haut et je t'aime»), mais alors que je m'apprête à battre en retraite avant de me désintégrer comme tous ceux qui l'approchent, réduit à néant au Saxo Bar, elle me dit:

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