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L'assistante décolorée m'accueille sans sourire. Elle doit avoir des soucis, d'amour ou d'argent. Elle porte un tailleur, comme toujours. Un tailleur vert. Je la suis dans le couloir. Elle a de grosses fesses.

Dans la salle d'attente, je m'assieds près de la fenêtre. Je vais tout dire au docteur, je vais tout montrer, je veux guérir. Ce n'est pas normal de se retrouver noyé comme ça, tous ces lapins m'assomment, j'ai perdu Olive, ça ne colle pas avec la beauté de la vie, j'ai abandonné Olive, j'ai tout raté – mais ce n'est peut-être pas terminé. Je vais m'en sortir, je vais tout dire au docteur et attendre l'ordonnance. Je suis malade.

En face de moi, une petite femme pâle et maigre sur une chaise de plastique blanc lit Cosmo, sans parvenir à se concentrer. Sur ma droite, un Arabe aux dents grises se tient le ventre et marmonne en arabe. Sur ma gauche, un jeune homme en survêtement bleu marine, le visage mitraillé de boutons purulents, la bouche entrouverte, fixe d'un œil fou la table basse couverte de magazines sans intérêt. Dans la salle d'attente, il y a aussi un adolescent nerveux avec un pansement sur l'œil gauche et une blonde grasse qui serre ses béquilles entre ses mains. Je vais devoir attendre un long moment.

Qu'est-ce que je fais là? Je vais m'en sortir. Je suis entier, je peux me lever et marcher. Je peux penser. Je dois me calmer, je peux penser. Je vois Pimprenelle debout dans la cuisine de la maison de Veules-les-Roses. Avec son pull vert et sa culotte blanche. Je la vois marcher dans la rue de La Jonquière, droite et souple, rapide, inaccessible. Néfertiti dans un champ de canne à sucre. Je sais que Néfertiti n'a jamais vu de canne à sucre de sa vie, la pauvre. Et même si elle ressortait de terre aujourd'hui, il faudrait qu'elle aille se promener dans les champs juste après la récolte pour qu'on puisse apercevoir le sommet de son noble crâne au milieu de ces plantes immenses. Mais Olive n'est pas à ça près. Plus rien n'existe autour quand elle marche. La canne à sucre est coupée à ras du sol. Je vois Olive marcher rue de La Jonquière dans sa grande robe rouge. J'entends la voix d'Olive. Je marche vite car si je marche lentement, je perds l'équilibre. J'aime baiser le matin, ça me tue. Quand je vais aux chiottes, je regarde tout dans la glace: mon cul, ma chatte. J'aime voir ça. Je m'assieds au comptoir parce que c'est là qu'on rencontre les hommes. Je me sens pute, j'aime bien ça. Je ne complique pas trop les choses. Quand je bois, ça me rend furax. Le jour de ma communion, j'ai mangé cinq coquelets. Le jour de ma communion, j'ai mangé quatre coquelets. Je me sens vide, j'ai un grand trou à l'intérieur. Tous ces gens qui souffrent. J'ai trop d'énergie dans le corps, il faut que ça sorte. Baise-moi fort. J'aime sortir le matin à peine réveillée. Me sentir étourdie dans la lumière. Je n'ai rien à cacher. Je te donne mon cul, tu peux en faire ce que tu veux, quand tu veux. Ne reste pas avec moi, je vais te détruire la vie. Je m'ennuie, rien ne m'intéresse. Je ne me souviens pas d'avoir été réellement insouciante. Je n'ai rien à faire ici. Je marche vite car si je marche lentement, je perds l'équilibre. Je n'ai rien à faire ici. Je vais sortir, je vais repartir. Je me lève et contourne la table basse couverte de journaux en me grattant la tête. On me regarde. Je vais partir vers l'extérieur, peut-être aller retrouver Olive, je ne sais pas. De toute façon je n'ai rien à perdre.

Lorsque j'ouvre la porte de la salle d'attente pour en sortir, je le sens, derrière moi tout le monde se retourne.

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