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Sans réellement prendre conscience de ma dureté, je me lève, prétexte un rendez-vous à l'autre bout de Paris et la laisse là, exténuée.

Je suis encore plus affecté par ce que je viens de voir que si j'étais toujours amoureux d'elle. Mon ver solitaire et moi allons nous saouler ailleurs.

Le lendemain, dès les premières lueurs de l'aube (c'est-à-dire vers quinze heures, dès que j'y vois suffisamment clair pour tenter de descendre de mon lit), je pars à la recherche d'un médecin – je ne tiens pas à retourner chez le demeuré qui m'a diagnostiqué des chlamydiae comme un flic annoncerait le nom d'un coupable en fixant attentivement un Bottin fermé. Encore à moitié murgé, à moitié décomposé (et à moitié endormi, allez, je suis dilaté par l'alcool, j'ai de la place), je marche au sonar, l'air autour de moi me paraît trop dense, épais et collant, je respire par le nez pour tenter de contenir la nausée qui me déborde des tripes et afflue vers ma gorge. Lové dans mes entrailles, mon compagnon annelé doit être en aussi piteux état que moi.

Une nouvelle fois, j'entre chez le premier docteur dont je vois la plaque, avenue de Clichy. Sa secrétaire nous accueille avec naturel et gentillesse, note mon nom sur un grand cahier et nous guide vers la salle d'attente. C'est une grande brune d'une quarantaine d'années, dotée d'une poitrine monumentale et vêtue d'un tailleur vert sombre très moulant. Quand je baisse les yeux sur ses belles fesses chevalines, qu'aucune marque de culotte ne vient bafouer, je sens remuer mon hôte invisible.

Nous nous asseyons sur une chaise métallique, en face d'une jeune femme en robe courte et légère, aux cuisses dorées, aux seins tendres, qui lit un roman de Hemingway dont je ne parviens pas à lire le titre. Parfait, nous n'aurons pas à patienter longtemps avant notre tour: une aussi jolie fille ne peut pas être bien malade. Je suis tout de même un peu désappointé lorsque, à peine installé, j'entends déjà la voix criarde d'une mémé dans le couloir – j'aurais bien laissé mes yeux se troubler encore un peu sur les genoux, le cou, le ventre de cette nymphette affaiblie.

– Mais c'est ce que j'ai dit à mon petit-fils, docteur. Il ne veut rien entendre. Il croit tout savoir, il n'en fait qu'à sa tête. Vous savez comment c'est, à cet âge-là. Je lui répète sans arrêt qu'il… Oui, d'accord. Très bien. Merci docteur. C'est que je ne peux pas le forcer, vous comprenez. Même sa mère ne… D'accord. Bien. Voilà. Oui. Dites, docteur, vous ne voudriez pas lui téléphoner?

Je n'entends pas les réponses du médecin, qui parle à voix beaucoup plus basse et calme. Quelques secondes après qu'il a sans doute refilé la grand-mère à sa secrétaire, ses pas s'approchent de nous. Je ne vois pas sa tête lorsqu'il entrouvre la porte et annonce:

– Mademoiselle Laruine.

Ça ne lui va pas bien, ce nom. Lorsqu'elle décroise les jambes, j'aperçois un triangle de coton blanc légèrement bombé. Elle est debout maintenant, mais je vois toujours l'image de ce triangle de coton blanc légèrement bombé. J'ai pris une photo. Dans mon ventre, le ver frémit comme s'il venait de recevoir une légère décharge électrique. Il me semble l'entendre bourdonner de plaisir. J'ai des hallucinations, je sens les vibrations.

La demoiselle se tourne – nous nous apprêtons, mon complice et moi-même, à prendre une deuxième photo mentale de la culotte à travers sa robe bleu clair – et se dirige vers la porte. Elle boite affreusement. Ce n'est qu'à ce moment que je m'aperçois que l'un de ses tennis a une semelle plus haute que l'autre d'au moins quatre ou cinq centimètres.

Lorsque nous quittons à notre tour la salle d'attente, dix minutes plus tard, nous croisons un jeune Pakistanais qui y entre. Il est en costume cravate, il a l'air ambitieux et prêt à tout, mais pour l'instant très malade.

Le médecin est un homme d'environ trente-cinq ans, brun et mince, habillé comme un détective privé. Il est sympathique, c'est certain. Je ne vais pas pour autant réussir à lui avouer facilement que j'ai un asticot de trois ou quatre mètres dans le corps.

Nous nous installons dans son cabinet de détective. Tout est en bois. Je cherche la bouteille de Jim Beam et le ventilateur. Il s'assied, se cale au fond de son fauteuil, mais ne croise pas les pieds sur son bureau.

– Alors, monsieur Colas, qu'est-ce qui se passe?

– J'ai… J'ai mal au ventre.

– Ça arrive, vous savez. Pas de panique. Je vais jeter un coup d'œil là-dessus.

– Non, ce n'est pas la peine. Je sais ce que c'est…

– Ah, parfait.

– Je… J'ai…

– Hm?

– J'ai un truc dans le ventre.

– Diable! Mais encore?

– Vous savez, un… Comment dire…

– Vous m'intriguez, monsieur Colas. J'aime ça. Dites-moi tout: qu'est-ce que vous avez dans le ventre?

– Un ver solitaire, je crois.

– Bah, ce n'est rien, ça. Un ténia.

– Oui, mais… Enfin quand même, si, c'est quelque chose. C'est inquiétant.

– Tss tss… Si vous saviez combien j'en liquide par mois, des rigolos de ce genre.

– Ah?

– Ben tiens. Et comment vous avez attrapé ça?

– Alors là, mystère.

– Laissez-moi deviner. Vous aimez les sandwiches grecs?

– Hein? Comment vous savez ça?

– C'est un métier. Vous en avez mangé récemment?

– Euh… Quelques-uns, oui. Ces derniers temps, je… Ma fiancée m'a quitté, donc je…

– Je vous arrête!

– Pardon?

– Stop, je ne veux pas en savoir plus.

– Ah, vous m'avez fait peur.

– Votre vie privée ne me concerne pas. Ce qui m'intéresse, c'est celle de vos organes. Rien de plus. Je ne veux pas d'ennuis avec la police, moi, vous comprenez. Et puis vous savez, vous n'avez pas besoin de vous justifier. Qui ne s'est jamais laissé tenter par un petit kebab? Ça se laisse manger, non?

– Si.

– Et je vais vous dire, c'est du pain béni, pour moi. Ça me ramène pas mal de clientèle.

– Ah…

– Eh oui. Vous me trouvez cynique? Business is business. Et honnêtement, ce n'est qu'un tout petit souci pour le client.

– Bonne nouvelle.

– Vous allez voir, je vais vous faire disparaître ce saligaud en moins de deux. En deux, pour être exact. Un cachet le matin à jeun, si possible sans avoir trop mangé la veille, et son petit frère deux heures plus tard. Rien de solide ni de liquide dans le gosier entre les deux. Ensuite, il n'y a plus qu'à attendre. Mais le soir, quand vous passerez aux commodités, il va falloir vous accrocher. Il risque d'y avoir du grabuge.

– Comment ça?

– C'est qu'il est costaud, l'animal. Et il faut lui régler son compte en une seule fois, sinon il ne vous lâchera pas. Alors tout dépend depuis combien de temps il est planqué là-dedans…

Il désigne distraitement mon ventre du doigt.

– Aucune idée. J'ai repéré les premiers anneaux qu'il a abandonnés avant-hier. Mais je ne surveille pas ce genre de chose de très près, en général.

– Mouais… On ne peut pas savoir, donc. C'est très vorace et ça grandit vite, ces bestiaux-là. S'il est sur les lieux depuis un moment, il peut mesurer jusqu'à trois mètres. Dans ce cas-là, j'aime mieux vous dire, ça va être une vraie boucherie dans la cuvette, demain soir.

– Oh non. Je ne pourrai jamais.

– Mais si, mais si. Un petit conseil, toutefois: ne regardez pas derrière vous avant de tirer la chasse, si vous avez le cœur sensible.

– Quelle horreur. J'ai le cœur sensible depuis peu, oui.

– Allez, du nerf. C'est spectaculaire, ça donne des frissons par où ça passe, mais c'est radical. Ces deux cachets vont lui faire sauter la cervelle aussi sûrement qu'un obus de mortier. Avant d'aller vous installer sur sa dernière demeure, vous pouvez mettre le requiem de Mozart sur votre chaîne hi-fi…

Épouvanté mais épaté par son assurance, je le regarde rédiger l'ordonnance et signer l'arrêt de mort de l'étranger. Puis je le paie en liquide (je me sens ridicule, avec mes francs minables, je devrais payer ce gars-là en dollars). Je m'apprête à me lever quand le téléphone sonne.

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