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A
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– À quoi tu penses quand on baise?

– Je pense que tu ne me connais pas, que tu t'en fous. Que tu m'as abordée dans la rue ou dans un bar, sans me connaître, que tu m'as dit que tu voulais me sauter et que je t'ai suivi sans hésiter, comme une bonne petite salope. Que tu peux te servir de moi pour ton plaisir, faire tout ce dont tu as envie, que tu peux me faire mal si tu veux.

– Mais pourquoi tu fais semblant de résister, alors?

– Oh, je ne sais pas. Pour avoir l'impression que je suis à ta merci, j'imagine.

En réalité, il y a une autre raison. Elle ne me l'avoue que longtemps après, une nuit à Veules-les-Roses: quand elle s'est fait violer à quinze ans par un médecin qui avait proposé de les héberger, sa cofugueuse et elle, il l'a giflée, l'a traînée par les cheveux jusqu'à la chambre, a fermé derrière eux, l'a giflée de nouveau pour la jeter sur le lit, lui a sauté dessus, a relevé sa jupe et ôté sa culotte, lui a fait plier les jambes, les a écartées et s'est mis à la besogner comme un porc. Elle n'a pas eu la moindre réaction de défense. Elle a attendu que ça passe. Depuis, elle n'a jamais compris pourquoi elle s'était laissé violer si docilement. J'ai essayé de lui expliquer qu'elle ne s'était fait baiser que par son frère jusqu'alors, qu'elle n'avait sans doute pas eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait, que ça devait lui paraître trop irréel pour être vrai, etc. Elle dit que non, que c'était simplement de la lâcheté. Et au fond d'elle-même, elle n'est pas convaincue que ce soit la seule explication de sa passivité. Elle se déteste à un tel point qu'elle se demande si, en petite garce, elle n'y a pas «inconsciemment» pris du plaisir. Elle est si peu sûre d'elle qu'elle se soupçonne presque d'avoir été excitée par cette situation, infâme. «Je suis une telle merde, dit-elle, que ça ne m'étonnerait pas.» En tout cas, une chose est sûre, revivre cette scène la fait jouir. C'est exactement la même position, les genoux relevés et plies, mes mains dessus. (De mon côté, depuis qu'elle m'a confié cela, j'ai du mal à participer: dans le rôle de ce médecin immonde, dont elle voit sûrement le visage quand elle me regarde, je me répugne. Je fais tout pour éviter cette position.) Si elle se débat, si elle tente de résister, c'est non seulement parce qu'elle se reprochera toute sa vie de ne l'avoir pas fait, mais aussi pour pouvoir humilier la salope de quinze ans qui s'est laissé faire. Elle sait que ce n'est qu'un jeu, mais justement: dans la vraie vie, elle a écarté les jambes. Ça la dégoûte. Et ce qui la dégoûte l'excite. Elle n'est qu'un corps, des seins, des jambes, une chatte, une bouche, un cul, elle ne mérite que de se faire cracher dessus (elle me le demande d'ailleurs souvent quand on baise), de se faire imbiber de sperme, et elle prend plaisir à s'enfoncer dans cette fange – c'est pour cela qu'elle est toujours triste après avoir joui. Comme quelqu'un qui a le vice du jeu, qui se sait faible et méprisable, qui jouit quand il est en train de perdre et que la peur et la honte lui ravagent les entrailles – et qui se déteste ensuite. Elle m'en parle sans la moindre pudeur. Lorsqu'elle montrait sa chatte à de vieux vicieux qui se branlaient, ça la dégoûtait et ça l'excitait. Elle le faisait pour l'argent, c'était encore plus dégradant, donc plus excitant. Toujours pour quelques billets, lorsqu'un gros type qui puait l'eau de Cologne la filmait en vidéo en train de se faire tirer par son ami de l'époque, ça la dégoûtait et ça l'excitait – «J'ai ouvert les yeux, il était debout au-dessus de moi, je voyais ses couilles molles et poilues qui pendaient, j'ai eu un haut-le-cœur. Mais je mentirais si je disais que c'est tout ce que ça m'a fait.» Lorsque Pascal, son premier amoureux, invitait un inconnu à prendre le thé chez eux, la baisait devant lui puis la lui prêtait pour qu'il s'amuse à son tour, ça l'excitait – elle avait seize ans et le faisait avant tout pour Pascal (du moins pour lui montrer qu'elle en était capable, qu'elle faisait quelque chose de plus que les autres filles), c'était encore plus dégradant. Lorsqu'il a amené un ami qui avait envie de tirer un coup («J'ai accepté parce que j'étais vraiment en chaleur, ce jour-là, j'avais besoin de me faire mettre») et qu'ils l'ont baisée ensemble, un devant un derrière, ça la dégoûtait de se voir ainsi prise en sandwich entre deux mecs qui se soulageaient en elle, mais ça l'excitait de leur servir à ça, de jouer la pute qu'on souille. «Et puis de toute façon, me dit-elle, tu n'imagines pas à quel point c'est bon, de se faire prendre des deux côtés en même temps.» J'imagine mal, en effet.

Mais il m'est impossible de prétendre que je ne comprends pas cette combinaison de désir et de répulsion. Je me représente clairement la scène: Olive est couchée sur Pascal, son fiancé; il lui glisse sa bite énorme dans la chatte; pendant ce temps, un type qu'elle n'a jamais vu et qui a envie de se vider les couilles est derrière elle et lui ramone le cul; la femme que j'aime, la seule femme dont j'aie jamais été amoureux, celle que je considère comme l'incarnation de la grâce, de la douceur et de la finesse d'esprit, est presque immobile (car c'est compliqué, il ne faut pas que les queues sortent) entre deux garçons qui la remplissent, la malmènent, l'astiquent en soufflant bruyamment et vont la gorger de sperme. Ça me retourne le cœur.

Mais je mentirais si je disais que c'est tout ce que ça me fait.

Le lendemain, je me réveille avant elle. Je ne sais pas ce qu'est en train de faire le voisin du dessus, il détruit probablement tous ses meubles avec une batte de baseball. Pourtant, Olive dort comme un bébé. Je me lève dans l'intention d'aller boire un peu d'eau, en prenant bien soin de ne pas faire bouger le matelas ni même la couette (je suis très mince, au réveil), mais à peine ai-je posé un pied par terre qu'elle ouvre les yeux et s'assied aussitôt dans le lit. Je n'ai pas fait un bruit, je n'ai pas remué un centimètre cube d'air.

– Où tu vas?

Elle a peur qu'on l'abandonne. Elle le sent dans son sommeil. Elle ne supporte pas la moindre sensation d'éloignement, de séparation. Cette angoisse, elle, ne la quitte jamais.

– Je vais chercher de l'eau.

Je vais boire longuement au robinet de la salle de bains, puis en profite pour me laver les dents. Elle entre nue derrière moi pendant que je suis penché au-dessus du lavabo, elle me caresse les fesses et les reins, lève le couvercle des chiottes, s'assied sur la lunette et se met à pisser. Ah non.

– Excuse-moi, dit-elle simplement.

Depuis toujours, je me pose la question: comment font les COUPLES? Même après cinq ans de vie commune, disons, comment font-ils pour oser chier alors que l'autre est dans la pièce voisine? (Alors devant l'autre, inutile d'aborder le sujet.) Autrefois je me disais: c'est bien la preuve que ce n'est pas pour moi, ce truc de COUPLE. Primo je n'arrive pas à tomber amoureux d'une fille; secundo, même si c'était le cas (miracles, prodiges, mystères, intéressez-vous à moi), je serais incapable, comme je l'ai déjà dit, de trouver les manettes, les rouages, les connexions et les réglages qui me permettraient de vivre normalement avec elle (où est passée cette satanée notice?); tertio, même si j'y parviens après de longues études et un coup de pouce de mon intuition, je ne pourrai jamais faire cette chose quand elle sera dans l'appartement (ce qui n'est pas commode, du point de vue de l'aisance intestinale, surtout si elle passe ses journées à traîner dans la cuisine en peignoir) ni supporter la réciproque (il faudra que je me précipite dans l'escalier dès que je la verrai s'approcher des toilettes, elle va me prendre pour un aliéné (car bien entendu, je n'aurai jamais le courage de lui en parler)). C'est bien dommage, si près du but, une broutille pareille, le grain de sable qui détruit le mécanisme admirable, élaboré pièce à pièce durant des années.

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