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– Je n'en avais pas l'intention.

– Si vous tombiez malade, n'envoyez pas quelqu'un d'autre à votre place.

– J'ai une santé de fer.

– Il se trouve que j'ai confiance en vous. Ce n'est pas dans mes habitudes. J'espère que j'ai raison.

Françoise prit congé et repartit sur le rafiot. Les noms de médicaments qu'elle avait inventés lui donnaient une terrible envie de rire.

Au milieu de la nuit, elle se réveilla en proie à la panique: «Les lavements! Si les murs ont des oreilles, alors le Capitaine sait que j'ai menti sur ce point. Et c'en est fini du crédit que j'ai auprès de lui.»

Elle essaya de se raisonner: «Il m'a déclaré sa confiance après que je lui ai parlé des lavements. Oui, mais peut-être n'a-t-il pas enregistré aussitôt. Peut-être est-il lui aussi maintenant réveillé à penser à cela. Non, voyons, il faudrait qu'il soit dangereusement maniaque pour s'être aperçu de ce détail. Par ailleurs, s'il écoute nos conversations, c'est qu'il l'est vraiment. Peut-être ne les écoute-t-il pas… Comment savoir? Si j'étais sûre qu'il ne nous épie pas, j'aurais des choses à dire à Hazel. Comment en être sûre? Il faut que je tende un piège à cet homme.»

Elle ne parvint pas à dormir à cause du plan qu'elle élaborait.

– Qu'avez-vous, Françoise? Vous êtes pâle et vous avez les traits tirés.

– J'ai eu une insomnie. Je me permets de vous renvoyer le compliment, Hazel: vous avez mauvaise mine.

– Ah.

– Et depuis que je vous l'ai dit, vous êtes encore plus blême.

– Vous croyez?

L'infirmière devait recourir à des astuces verbales pour déguiser ses questions en affirmations:

– J'espère que vous dormez bien.

– Pas toujours.

– Voyons, Hazel! Pour guérir, il faut avoir un excellent sommeil!

– Cela ne dépend pas de mon bon vouloir, hélas. Donnez-moi des somnifères.

– Jamais: je suis contre ces drogues. Bien dormir, c'est une question de volonté.

– C'est faux! La preuve, c'est que vous avez eu vous-même une insomnie.

– Ça n'a rien à voir. Je puis me le permettre: j'ai de la santé. Si j'étais malade, je ne me l'autoriserais pas.

– Je vous assure que cela ne dépend pas de moi.

– Allons! Vous manquez de volonté.

– Enfin, Françoise, vous êtes une femme. Il y a des choses que vous pouvez comprendre.

– Etre indisposée n'est pas une raison pour ne pas dormir.

– Ce n'est pas cela, balbutia la jeune fille qui passa du blafard à l'écarlate.

– Je ne comprends rien à ce que vous racontez.

– Si, vous comprenez!

Hazel était au bord de la crise de nerfs tandis que la visiteuse gardait un calme olympien.

– Le Capitaine… le Capitaine et moi… nous avons… il a…

– Ah bon, reprit l'infirmière avec une froideur toute professionnelle. Vous avez eu des rapports sexuels.

– C'est tout l'effet que ça vous fait? demanda Hazel, éberluée.

– Je ne vois pas où est le problème. C'est un comportement biologique ordinaire.

– Ordinaire, quand il y a cinquante-quatre années de différence entre les protagonistes?

– Du moment que la physiologie le permet.

– Il n'y a pas que la physiologie! Il y a la morale!

– Rien d'immoral là-dedans. Vous êtes majeure et consentante.

– Consentante? Qu'est-ce que vous en savez?

– On ne trompe pas une infirmière là-dessus. Je peux vous examiner pour le vérifier.

– Non, ne faites pas cela.

– Rien que votre réaction le confirme bien.

– Les choses ne sont pas si simples! s'indigna la jeune fille.

– On est consentante ou on ne l'est pas. Inutile de jouer les vierges effarouchées.

– Que vous êtes dure avec moi! La réalité est beaucoup plus complexe que vous le dites. On peut ne pas être consentante et cependant éprouver quelque chose de très vif envers celui qui… On peut être dégoûtée par un corps et pourtant fascinée par une âme, de sorte que l'on finit par accepter le corps, malgré sa répugnance. Cela ne vous est jamais arrivé?

– Non. C'est du chinois, vos histoires.

– Vous n'avez donc jamais fait l'amour?

– J'ai couché avec mes fiancés sans m'embarrasser de vos états d'âme ridicules.

– Qu'ont-ils de ridicule?

– Vous essayez de vous persuader que l'on abuse de vous. Vous avez tellement besoin de vous idéaliser, de préserver la belle image que vous avez de vous-même…

– C'est faux!

– Ou alors, comme beaucoup de gens, vous voulez vous poser en victime. Vous aimez l'idée d'être la martyre d'une brute. Je trouve cette attitude méprisable et indigne de vous.

– Vous n'avez rien compris! clama la pupille en pleurant. Ce n'est pas ça. Ne pouvez-vous imaginer qu'un homme intelligent exerce un terrible empire sur une pauvre fille défigurée, surtout si cet homme est son bienfaiteur?

– Je vois seulement que c'est un homme âgé qui n'a pas les capacités physiques d'exercer des violences corporelles sur quiconque, a fortiori sur un être jeune.

– Un être jeune mais malade!

– Vous recommencez à jouer à l'agneau du sacrifice!

– Il n'y a pas que les violences corporelles. Il y a aussi les violences mentales.

– Si vous subissez des violences mentales, vous n'avez qu'à partir.

– Partir d'ici? Vous êtes folle! Vous savez très bien que je ne peux montrer mon visage.

– Voilà un prétexte qui vous arrange bien. Moi, je dis que vous vivez avec le Capitaine de votre plein gré. Et il n'y a rien de répréhensible à ce que vous couchiez ensemble.

– Vous êtes méchante!

– Je dis la vérité au lieu de me complaire dans votre mauvaise foi.

– Vous avez dit que j'étais majeure. Quand cela a commencé, je ne l'étais pas. J'avais dix-huit ans.

– Je suis infirmière, pas inspecteur de police.

– Oseriez-vous insinuer que la médecine et la loi n'ont rien à voir l'une avec l'autre?

– Juridiquement, les mineurs sont sous la protection de leur tuteur.

– Ne trouvez-vous pas que mon tuteur m'a protégée d'une étonnante manière?

– Dix-huit ans est un âge normal pour une première expérience sexuelle.

– Vous vous fichez de moi! hurla la jeune fille entre ses sanglots.

– Voulez-vous vous calmer? dit la visiteuse avec autorité.

– Vous ne trouvez pas qu'un homme qui couche avec une fille gravement défigurée est un pervers?

– Je n'ai pas à entrer dans ce genre de considérations. Chacun ses goûts. Je pourrais aussi vous objecter qu'il vous aime pour votre âme.

– Alors pourquoi ne se contente-t-il pas de mon âme? cria Hazel.

– Il n'y a pas de quoi se mettre dans un état pareil, dit Françoise avec fermeté.

Désespérée, la pupille lui jeta un regard déchirant.

– Et moi qui pensais que vous m'aimiez!

– Je vous aime bien. Ce n'est pas une raison pour entrer dans votre comédie.

– Ma comédie? Oh, partez, je vous déteste.

– Bon.

La jeune femme remballa ses affaires. Au moment où elle allait quitter la pièce, la petite lui demanda d'une voix suppliante:

– Vous reviendrez quand même?

– Dès demain, sourit-elle.

Elle descendit l'escalier, horrifiée par ce qu'elle avait dû dire.

En bas, la porte du fumoir s'ouvrit.

– Mademoiselle, voulez-vous venir quelques instants? demanda le Capitaine.

Elle entra. Son cœur battait à se rompre. Le vieil homme semblait bouleversé.

– Je voulais vous remercier, dit-il.

– Je ne fais que mon métier.

– Je ne parle pas de vos compétences d'infirmière. Je trouve que vous êtes d'une grande sagesse.

– Ah.

– Vous comprenez des choses que les jeunes femmes, en général, ne comprennent pas.

– Je ne vois pas ce que vous voulez dire.

– Vous voyez très bien. Vous avez analysé la situation avec beaucoup de clairvoyance. L'essentiel ne vous a pas échappé: j'aime Hazel. J'ai pour elle un amour dont vous ne pouvez pas douter. «Aime et fais ce que tu veux», enseigne saint Augustin.

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