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Le lendemain, le Capitaine la manda au fumoir.

– Je suis déçu, mademoiselle. Très déçu. Je m'étais trompé sur votre compte.

L'infirmière blêmit.

– J'avais en vous une telle confiance. Elle est détruite à jamais, à présent.

– Je n'ai pas d'excuse, monsieur. J'avais besoin d'argent: c'est pour cela que j'ai ouvert les tiroirs du secrétaire.

Loncours la regarda avec stupéfaction.

– Parce que en plus vous avez fouillé mon secrétaire?

Elle ressentit une panique terrible mais continua à jouer à la voleuse:

– J'espérais y trouver des espèces, ou des objets précieux que j'aurais pu revendre. Comme rien ne m'a semblé avoir de la valeur, je n'ai rien pris. Renvoyez-moi.

– Il n'est pas question que je vous renvoie. Au contraire.

– Puisque je vous dis que je ne vous ai rien pris!

– Arrêtez cette comédie. Ce n'est pas l'argent qui vous intéresse. Encore heureux que je sois allé à Nœud hier: sinon, je serais toujours en train de me fier à vous.

– Vous avez enquêté sur mon compte?

– Ce ne fut même pas nécessaire. Je passais dans une rue quand le pharmacien m'a vu: il est sorti de son officine pour me dire des choses du plus grand intérêt. Ainsi, il paraît que vous lui achetez un thermomètre par jour.

– Et alors?

– Et alors ce brave homme s'est demandé ce que vous faisiez avec ce thermomètre quotidien. Il ne pouvait pas mettre ça sur le compte de la maladresse. Casser un thermomètre par jour ne pouvait être qu'intentionnel. Il en a conclu que vous cherchiez à empoisonner quelqu'un au mercure.

Elle rit:

– Moi, une empoisonneuse?

– Le pharmacien s'est renseigné et a appris que vous me réserviez en ce moment vos soins assidus. Il a pensé que vous tentiez de m'assassiner. Je l'ai détrompé en lui disant de vous le plus grand bien. Malheureusement pour vous, il semble m'avoir cru.

– Malheureusement pour moi?

– Oui. S'il avait persisté à vous prendre pour une criminelle, il aurait peut-être averti la police, qui se serait inquiétée de votre disparition.

– Il n'y a pas que la police. Les gens de l'hôpital vont se poser des questions.

Il sourit.

– Ce détail-là est déjà réglé. J'ai annoncé ce matin à votre supérieure que je vous épousais et que vous ne reviendriez plus travailler.

– Quoi?

– Et la meilleure, c'est qu'elle s'est exclamée: «Je m'en doutais! Quelle malchance pour moi et quelle chance pour vous! Une personne si bien, si belle et si droite.»

– Je refuse de vous épouser.

Il rit.

– Vous m'amusez. Ce matin, j'ai fouillé les appartements de ma pupille et dans la salle d'eau, au fond d'un placard, j'ai découvert le pot aux rosés: la bassine contenant le mercure. Je ne sais pas ce qui m'émerveille le plus: votre intelligence ou votre bêtise. Intelligence, car il fallait y penser: chaque jour, vous étiez fouillée par mes hommes qui avaient reçu pour consigne de ne laisser passer aucune substance réfléchissante. Mais qui aurait songé au mercure du thermomètre! Pas mal non plus, le coup du tub nécessaire à un prétendu lavement.

– Je ne comprends rien à ce que vous racontez.

– Et que comptiez-vous en faire, de ce mercure?

– Rien. Il m'arrivait de casser un thermomètre par inadvertance et, par souci d'hygiène, je récoltais le mercure dans cette bassine.

– Très drôle. Il a fallu en briser plus de dix pour avoir tant de mercure. Et c'est ici qu'intervient votre bêtise ou, du moins, votre naïveté: à votre avis, pour en avoir assez pour former une véritable pellicule réfléchissante, combien de thermomètres faudrait-il casser?

– Comment le saurais-je?

– Au moins quatre cents. Sans doute pensiez-vous que vous aviez tout votre temps, n'est-ce pas? J'imagine que vous aviez programmé la guérison de ma pupille pour l'année prochaine.

– Hazel est réellement malade.

– C'est possible. Mais elle n'a pas de fièvre. J'ai vérifié – moi aussi j'ai un thermomètre. Au fait, n'avez-vous pas été désappointée de constater que, au fond de la bassine, loin de s'assembler en flaque, le mercure s'obstinait à rester à l'état de gouttelettes? C'est l'une de ses propriétés.

– A partir d'une certaine quantité, cette propriété disparaît.

– J'apprécie que vous cessiez enfin de nier les faits. En effet, cette propriété-là disparaîtrait, à condition que vous ne mettiez pas un an et demi à remplir cette cuvette. Car le mercure a d'autres propriétés. Chère mademoiselle, si je ne doute pas de vos talents d'infirmière, je me permets de douter de votre génie de chimiste. Les miroitiers ont cessé d'utiliser le mercure depuis plus de vingt ans. D'abord parce qu'il n'est pas indispensable et surtout parce qu'il est très toxique.

– Caché au fond d'un placard, il ne pouvait nuire à personne.

– A personne, sauf à la bassine, chère amie. Dans un mois, dans deux mois, la faïence du tub aurait été attaquée, libérant ainsi vos précieuses réserves. Et tous vos efforts anéantis. Vous auriez eu une crise de nerfs, à le constater.

– Les crises de nerfs, ce n'est pas mon genre. Ensuite, vous n'êtes pas absolument certain de ce que vous avancez: la cuvette aurait pu résister. Et si le pharmacien ne vous avait pas mis la puce à l'oreille, j'aurais réussi mon coup.

– Aussi, fallait-il être simplette pour croire que l'on pouvait acheter un thermomètre par jour sans attirer l'attention, et cependant plus d'une année! Pourtant, je ne vous ai pas encore dit le plus drôle. La miroiterie, je m'y connais. Vous devinez que j'ai eu des raisons de m'y intéresser. Eh bien, ma chère, à supposer que, contre toute vraisemblance, vous ayez pu acheter quatre cents thermomètres sans vous faire remarquer et que la faïence ait résisté, cela n'aurait quand même pas marché.

– Pourquoi?

– Parce que, sans une pellicule de verre à la surface, votre mercure n'eût pas renvoyé de reflet. Vous avez beau avoir des nerfs d'acier, je crois que vous auriez sangloté en vous en rendant compte. Car vous pensez bien que la fouille de mes hommes n'eût jamais laissé passer une vitre.

– Je ne vous crois pas. Il y a un reflet dans le mercure.

– C'est exact. A une seule condition: il faut imprimer à ce mercure un mouvement de rotation. En l'occurrence, en secouant légèrement la bassine, ce n'eût pas été difficile. Mais vous auriez obtenu une surface concave: tendre ce miroir déformant à la pauvre enfant, c'eût été le comble du sadisme, vous ne trouvez pas?

Il éclata de rire.

– Vous êtes effectivement bien placé pour me faire une telle objection!

– Moi, c'est différent. J'aime Hazel, je sers ma cause. La fin justifie les moyens.

– Si vous l'aimiez, vous chercheriez plutôt à la rendre heureuse, non?

– C'est vrai que mademoiselle a une grande expérience de l'amour. Trois fiancés sans intérêt et pour lesquels vous n'éprouviez rien, n'est-ce pas? Et puis, Hazel est heureuse.

Cette fois, ce fut elle qui ricana.

– Cela crève les yeux, cher monsieur! Evidemment, vous ne devez avoir aucune idée de ce que pourrait être une femme heureuse. J'imagine que la précédente, Adèle, vous paraissait très heureuse, elle aussi. Au point qu'elle s'est suicidée à vingt-huit ans. Pour autant que c'était un suicide.

Le vieillard blêmit.

– Si vous connaissez son nom, c'est que vous avez vu la photo dans le tiroir du secrétaire.

– En effet. Une beauté. Quel gâchis!

– Quel gâchis que son suicide, oui. Car vous ne pouvez douter que c'en ait été un.

– Je ne l'en considère pas moins comme un assassinat. Vous l'avez gardée pendant dix ans dans les mêmes conditions que votre pupille. Comment ne se serait-elle pas suicidée?

– Vous n'avez pas le droit de dire ça! Comment aurais-je pu vouloir sa mort, moi qui l'aimais plus que tout? Selon l'expression consacrée, je ne vivais que pour elle. Quand elle s'est suicidée, j'ai souffert à un point que vous seriez incapable de concevoir. Je n'ai plus existé que pour son souvenir.

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