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VII.

J’en jure par l’astre des nuits, par les rayons du soleil levant ou couchant! jamais monarque de la Perse dorée, jamais roi de la terre ne posa ses lèvres sur de pareils yeux. Jamais la fontaine jaillissante du harem, aux jours les plus brûlants ne lava de sa rosée perlée une semblable taille. Jamais la main d’un mortel couvrant de caresses un corps bien-aimé ne déroula une aussi belle chevelure. Depuis le jour où l’homme perdit le paradis, je le jure, jamais semblable beauté n’est éclose sous le soleil du midi.

VIII.

Pour la dernière fois, elle a dansé!… Hélas! Demain l’attendent, elle l’héritière de Gudal, l’enfant gâtée de la liberté, le triste sort de l’esclave, une famille étrangère, une patrie inconnue. Et déjà des doutes mystérieux assombrissaient la sérénité de son visage. Mais il y avait tant de grâce harmonieuse dans sa démarche, tant d’expression et de naïve simplicité dans tous ses mouvements, que si le démon dans son vol l’eût regardée en ce moment, il se fut rappelé ses anciens frères célestes; il se serait doucement détourné et aurait soupiré.

IX.

Et le démon la vit!… Et à l’instant même il ressentit dans tout son être une agitation étrange. Une bienfaisante harmonie vibra dans la solitude de son âme muette, et de nouveau il put comprendre cette divine merveille d’amour de douceur et d’incomparable beauté. Longtemps il admira cette tendre image et les rêves d’un bonheur évanoui se déroulèrent encore devant lui, comme une longue chaîne ou comme les groupes d’étoiles au firmament. Cloué par une force invisible, il fit connaissance avec une nouvelle tristesse et soudain le sentiment fit résonner en lui sa puissante voix d’autrefois. Était-ce un symptôme de régénération? au fond de son âme, il ne pouvait trouver des paroles de perfide séduction. Devait-il oublier? Mais Dieu lui refusa l’oubli et du reste, il ne l’eût point accepté!

X.

Le jour est à son déclin, et sur un superbe coursier, brisé de fatigue, le fiancé se hâte avec impatience vers le festin nuptial. Déjà il a atteint les vertes rives du limpide Arachva, et péniblement, pas à pas, courbée sous la lourde charge des présents, une longue file de chameaux s’avance et couvre au loin les détours nombreux du chemin. On entend le bruit de leurs clochettes!… Le roi de Cinodal lui-même conduit la riche caravane. Une ceinture serre sa taille svelte; la garniture de son sabre et de son poignard brillent au soleil; il porte sur ses épaules un fusil à la batterie reluisante et le vent joue avec les manches de son manteau, bordé tout autour de riches galons. À la selle et à la bride pendent des houppes de soie brodées aux mille couleurs, sous lui piaffe un fringant coursier à la robe dorée et sans prix; il est déjà tout blanc d’écume; c’est un enfant de Karabak [31]; il dresse l’oreille et, plein de frayeur, souffle avec force; puis, du haut des rochers, regarde avec ombrage les flots de la rivière à l’écume jaillissante. Le chemin que suit le rivage est étroit et dangereux; à gauche le rocher; à droite le lit profond de la rivière furieuse. Il est déjà tard. Sur les sommets couverts de neige le jour s’éteint et l’obscurité se fait!… La caravane hâta le pas.

XI.

À ce point de la route s’élève une chapelle. Là, depuis de longues années, repose en Dieu, un prince inconnu, qu’une main vengeresse immola et ce lieu est devenu depuis l’objet d’un culte. Le voyageur qui court au combat ou va à la fête, vient en tout temps prononcer dans la chapelle une fervente prière, et cette prière le protège coutre le poignard musulman. Mais le jeune fiancé dédaigna la coutume de ses aïeux, et un esprit méchant le troubla avec une perfide vision. Au milieu des ombres de la nuit, il s’imaginait couvrir de baisers ardents les lèvres de sa jeune fiancée. Tout à coup dans l’obscurité, en avant de lui, deux hommes paraissent; puis d’autres encore; un coup de feu retentit; qu’arrive-t-il? Le prince intrépide se dresse sur ses étriers bruyants, enfonce son bonnet sur ses sourcils; puis, sans articuler un mot, saisit d’une main la crosse de son fusil turc, fouette son cheval et comme un aigle fond en avant. Un second coup de feu retentit, puis un cri sauvage et un gémissement étouffé résonnent dans la profondeur de la vallée. Le combat n’a pas duré longtemps; les timides Géorgiens ont fui de tous côtés.

XII.

Tout s’est apaisé. Pressés en foule, les chameaux regardent avec frayeur les cadavres des cavaliers et l’on entend parfois tinter leurs clochettes. La riche caravane est dépouillée et déjà les oiseaux nocturnes volent autour des corps des chrétiens. Hélas! ils n’auront pas la sépulture paisible qui les attendait sous les dalles du monastère, où furent enterrées les dépouilles de leurs pères. Leurs mères et leurs sœurs, couvertes de longs voiles, ne viendront pas des pays lointains prier et sangloter tristement sur leurs tombes! sous le rocher qui borde le chemin, seule, une main pieuse élèvera une croix en leur mémoire; le lierre printanier l’entourera en grandissant de son réseau d’émeraudes comme une douce caresse; et le pèlerin fatigué par une marche longue et pénible ne manquera jamais de se détourner de sa route pour venir se reposer à l’ombre du signe divin!…

XIII.

Un cheval plus rapide qu’un daim précipite sa course, souffle bruyamment et semble voler au combat. Tantôt il recule subitement après un bond et prête l’oreille au moindre souffle en dilatant ses larges naseaux: tantôt il frappe vivement le sol avec les clous de ses fers bruyants, secoue sa crinière éparse et repart follement en avant. Son cavalier silencieux chancelle à chaque pas sur les arçons et laisse pencher sa tête sur l’encolure. Déjà il a abandonné les rênes et ses pieds se sont enfoncés dans les étriers, la housse est sillonnée de larges taches de sang! Ô vaillant coursier! Rapide comme la flèche! tu as emporté ton maître du combat. Mais la balle ennemie d’un Circassien l’a frappé dans l’ombre.

XIV.

Toute la famille de Gudal pleure, se lamente et une grande foule s’attroupe dans la cour. Quel est ce cheval emporté qui vient de s’abattre? quel est ce cadavre étendu sur le seuil de la porte? quel est ce cavalier sans vie? Les plis de son front basané ont conservé la trace d’une alarme guerrière; ses armes et ses vêtements sont souillés de sang; dans une dernière étreinte nerveuse sa main s’est raidie sur la crinière. Ô fiancée! Ton regard n’a pas attendu longtemps ton jeune promis! Il a tenu sa parole de prince et il est accouru au festin nuptial! Mais, hélas! Jamais plus il ne remontera sur son rapide coursier.

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[31] Pays du Caucase renommé pour ses bons chevaux.

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