Après quelques minutes de marche, je me rendis compte que j'avais oublié, à l'endroit de notre halte, le livre que nous emportions durant ces longues journées passées dans la steppe, au bord d'une rivière. Je le dis à Sacha, rebroussai chemin en courant et en me retournant je la vis, de loin, toute seule au milieu de l'étendue sans limites emplie de la transparence du soir. Je marchais lentement en reprenant mon souffle et la regardais m'attendre là-bas, dans cette solitude absolue, dans ce détachement qui rendait sa présence semblable à un mirage. Je ne pensais pas à l'histoire de ma famille dont elle venait de me transmettre les derniers souvenirs. Je pensais à elle-même, à cette femme qui, d'une manière très discrète, presque involontairement, aurais-je pu croire, m'avait appris sa langue, et dans cette langue, le pays de sa naissance, le pays qui ne l'avait jamais quittée durant sa longue vie russe.
De loin, je reconnus son sourire, le geste de sa main. Et avec toute l'ardeur de mon âge, je fis le serment muet de lui rendre, un jour, son vrai nom et son pays natal tel qu'elle l'avait rêvé dans l'infini de cette steppe.