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DEATH ROW. HOW LONG CAN YOU GO.

11

Quand Manu rentre, Nadine se rend compte qu'elle est complètement raide parce qu'elle a du mal à se mettre assise, la tête qui tourne à fond dès qu'elle bouge. L'autre braille: «Te dérange pas pour moi» et elle vient à côté du lit. Elle demande en se désapant:

– Est-ce qu'il a fait de toi une femme épanouie?

Parce qu'elles avaient discuté du réceptionniste avant qu'elle aille faire un tour. Nadine répond:

– Tout s'est passé exactement comme il fallait que ça se passe.

– C'est souvent comme ça avec le sexe.

– Je te trouve bien alerte, très «femme épanouie justement».

– Juste. Est-ce que tu as fini la bouteille de skiwi?

– Je te ferais pas ça.

Le temps que la petite aille la chercher à l'autre bout de la pièce et Nadine dort du sommeil du raide. Manu allume la télé. Éventre un paquet de fraises Tagada et les mélange avec des M amp;M's. Elle puise dans le tas par poignées et regarde des clips à la télé. Elle a rapporté de la bière en petites bouteilles qu'elle envoie rouler sous le lit quand elle en a fini une. Elle attend d'être vraiment défoncée pour aller se coucher. Elle pense à ses loyers en retard qu'elle n'a pas payés, ça lui serre l'estomac dès que ça lui vient à l'esprit, une angoisse de réflexe. Elle met un peu de temps à réaliser qu'elle n'en a plus rien à foutre. Un point de détail, et encore. Elle s'enfonce bien dans son fauteuil. Nadine dort roulée en boule sur le lit, elle a souvent des attitudes de gros bébé battu quand elle se laisse aller. Aux coudes, sa peau est un peu plus rugueuse, grise. Manu éteint sa clope sur l'accoudoir du fauteuil. Elle y croit pas une seconde, comme les clips à la télé sont chouettes. Elle décroche le téléphone, demande le numéro de sa locataire à la réception. Elle le connaît par cœur, à force d'appeler pour s'excuser de ce qu'elle va encore payer en retard, s'en prendre plein la gueule parce que l'autre est vraiment une vieille pute. Le réceptionniste demande s'il peut «se permettre de demander à parler à Nadine». Manu répond: «En tout cas, moi, à ta place, je me permettrais pas, connard» et lui demande de lui passer sa communication. La vieille met un moment à décrocher, Manu hurle littéralement:

– Vieille peau, mes loyers de retard, tu peux te les carrer au cul, jamais j'te les paierai, tu m'entends?

Elle raccroche en souriant bêtement. Nadine grommelle quelque chose, se retourne sans se réveiller. Manu ouvre une nouvelle bière et se promène de long en large dans la chambre en tapant dans l'air avec son poing, surexcitée et euphorique, elle répète:

– Qu'est-ce que tu crois, vieille pute?

En s'étranglant de rire.

Nadine se réveille en pleine nuit, on entend de l'eau couler dans la chambre à côté. Ses draps ne sont pas trempés de sueur. Même pas de cauchemar. Pas de poids sur l'estomac. Souvent, elle se réveille brusquement, quelque chose couché sur elle l'étouffé tendrement et inexorablement. Ce soir, elle a tour l'air qu'elle veut pour respirer à satiété. Par contre, elle n'a plus sommeil, elle met son walkman, essaie de se souvenir: «Il y a une semaine à cette heure-ci, qu'est-ce que je foutais?» Elle abandonne, allume une clope. We will prétend we were dead. Fin de cassette, elle fouille dans son sac, cherche quelque chose qu'elle aurait envie d'écouter. Puis réalise que le plus sage, c'est encore de mettre l'autre face de la même cassette. Manu dort sur les draps, elle est étendue sur le lit, les bras en croix.

Nadine s'assoit sur le bord de la fenêtre, rien à voir dans la rue.

Her clit was so big, she didn 't need no bail.

Manu grogne dans son sommeil puis se réveille aussi. Ouvre une canette de bière, se lève pour prendre une douche. Elles décident de partir pour Bordeaux. De changer de voiture. Il est presque 6 heures. Il n'y a pas de bar ouvert. Elles marchent sans rien dire et sans croiser personne. Lumière orange sur les trottoirs, pas de bruit.

Puis elles rentrent en discussion parce que Nadine a envie de prendre le train et pas Manu.

Plus loin, un type en complet sombre retire quelques billets. Sa Range-Rover grise est stationnée devant, le contact n'est pas coupé. Ronronnement du moteur de plus en plus net à mesure qu'elles avancent. Elles découvrent une silhouette qui attend dans la voiture. Sûrement la pute qu'il vient de ramasser en boîte et il est venu tirer des francs pour une chambre d'hôtel.

Manu fouille fébrilement son sac, sort le flingue qu'elle tripote pour ôter les sécurités, tend le bras et fait du bruit, sans s'être arrêtée de marcher. Dans le matin, le bruit est carrément terrifiant, en contradiction avec le joli mouvement très doux et ralenti des billets qui s'éparpillent mollement sur le trottoir. Nadine est arrivée à la voiture pile pour cueillir la fille qui en sort précipitamment et sans un bruit, parce qu'elle sait que peut-être elles ne l'ont pas vue et qu'elle a une chance de s'éclipser discrètement. Nadine la plaque ventre contre terre et la petite lui loge trois balles au hasard dans le haut du corps. Elle replie gracieusement le bras après chaque détonation.

Elles montent dans la voiture, démarrent. Plusieurs fenêtres sont allumées et quelques têtes timidement sorties tâchent d'y comprendre quelque chose. Nadine contemple en silence le défilé de lucarnes éclairées, elle dit:

– On est cernées par les témoins, c'est le bruit qui les fait sortir.

– Ce bruit est chouette, carrément. Pis je commence à être bien à l'aise moi, je dois faire plaisir à voir. Prends pas l'autoroute, grosse, ça me fait flipper, en cas d'embrouille, on peut pas s'échapper.

– De toutes façons, compte pas trop sur moi pour les courses-poursuites, j'y crois pas.

– T'es moitié conne, toi; tu comptes quand même pas griller la cascade en voiture? Vu c'qu'on a à perdre, j'espère bien que tu mettras la pression jusqu'au dernier moment… Sinon, c'est même pas la peine…

Nadine met une cassette: When I wake up in the morning, no one tell me what to do, et monte le son. Elle ouvre sa fenêtre et parle fort pour couvrir le boucan:

– Putain, on s'y croirait: no red light, no speed limit.

– Putain, mais on y est, t'as vu comment on l’a calmé net, le trou-du-cul? Monsieur Costard-Trois-Pièces, bonjour.

Elle imite la détonation avec sa bouche, éclate de rire, ajoute:

– Faut s'occuper des munitions aujourd'hui, cadence infernale oblige.

– De toutes façons, il faut qu'on fasse une armurerie, il me faut un flingue aussi.

Manu la regarde, la bouche grande ouverte, puis prend son temps pour bâiller avant de commenter:

– Évidemment, qu'il t'en faut un; putain, j'y avais même pas pensé. Quelle chouette idée, quelles chorégraphies de rêve on va pouvoir inventer toutes les deux! Tu sais où tu passes pour aller à Bordeaux?

– Non, puis je vois pas les panneaux, je suis trop myope. Tâche de me dire au fur et à mesure.

– On s'en fout remarque, t'as qu'à rouler.

I want it now, she said I WANT IT NOW.

12

Elles passent tout le dimanche enfermées dans une chambre d'hôtel. Manu s'est peint les ongles en rosé pâle, elle les secoue consciencieusement pour que ça sèche plus vite. Nadine arrache des pages dans des bouquins porno. Le walkman à fond, ça lui sature dans les tympans: Here comes sickness. Elle a coincé le polochon sous son ventre et elle se branle contre en regardant les photos.

La blonde au sexe épilé retient toute son attention. Sur la première photo, elle porte une robe longue, fendue très haut sur la cuisse en un éclair blanc. Sous le tissu on lui devine l'arrondi des hanches et le ventre. Les cheveux font crinière et cascade jusqu'au bas du dos, soulignent la chute des reins. Des cheveux pour y glisser la main et tirer la tête vers l'arrière. Poitrine gonflée, style poupée de BD. La fille entière est classée X, comme si elle transpirait le foutre.

Sur la photo suivante, elle écarte amplement les cuisses, nonchalante et souriante. Lèvres du ventre imberbes, la peau y semble douce.

On la voit ensuite renversée sur le dos, somptueuse et offerte. Les petites lèvres parées de pierres brillantes, un anneau doré traverse le clitoris. D'une rare élégance. L'entrejambe scintillant comme une enseigne de bordel.

Transgression. Elle fait ce qui ne se fait pas avec un plaisir évident. Le trouble vient en grande partie de l'assurance tranquille avec laquelle elle se dévoile.

Nadine la contemple longuement, impressionnée et respectueuse comme devant une icône.

Nadine a étalé les journaux autour du lit. Elle les reprend les uns après les autres, revient toujours à celui où il y a la femme blonde. Parfois, elle éteint son walkman un moment pour expliquer quelque chose à Manu. Sur la magie de l'image ou le mot qui t'allume le ventre. Puis elle remet son casque et continue son examen des copines à tout le monde. Au début, ça l’a gênée de se masturber avec la petite juste à côté et puis, à mesure qu'elles ont bu, elle s'est habituée à cette idée.

Assise sur sa chaise, en train de se peindre les orteils, la petite la regarde bouger son bassin contre le polochon, d'abord distraitement et lentement, puis le mouvement s'accélère, jusqu'au moment où elle s’immobilise et rentre sa tête entre les bras. Juste après, elle change de position, allume une clope, se met à discuter. On dirait que dès que c'est venu elle se sent obligée de refaire surface au plus vite.

Et elle recommence à feuilleter ses magazines, remet son walkman en marche et réfléchit à des choses en alignant ses images.

À la fin de la journée, elle plie soigneusement les photos de la blonde au sexe épilé, se lève et s'étire. Manu s'est coupé les cheveux d'une étrange façon.

Elles s'ennuient tranquillement et attendent que ça se passe. Font des allers et retours du Mac Do à leur chambre, jusqu'à ce que le Mac Do ferme. Manu est déçue parce qu'elle avait fait copine avec un serveur du Mac Do pubère depuis peu et elle pensait qu'il passerait à l'hôtel en finissant. Mais il prend poliment congé d'elle et se dépêche pour attraper le dernier bus. Elles rentrent à pied. Nadine dit, pour dire quelque chose:

– J'ai remarqué que les garçons avaient souvent du tact pour repousser les avances des filles. Enfin, pas systématiquement, mais généralement ils font un effort. Lui, il a fait de son mieux pour se défiler sans être désagréable.

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