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– Vous m’attendiez?… Parbleu! Je suis impardonnable… Un maudit duel où j’ai dû servir de second à un de mes amis en fut l’unique cause… Daignez-vous agréer mes humbles excuses avec mes hommages?…

– Vous êtes tout excusé, monsieur, balbutia Jeanne.

– Vous êtes adorable, dit M. d’Étioles en se redressant, et plus généreuse que Louis le Grand qui se fâchait pour avoir failli attendre… tandis que vous pardonnez, ayant attendu…

Et il se tourna vers le peintre en le saluant froidement.

– Fi! la vilaine figure de mal-oiseau! murmura François Boucher qui, baisant la main que lui tendait la jeune fille, répondit au salut de l’homme par un salut d’une grâce impertinente et se retira en fredonnant l’air de menuet que Mme du Hausset venait d’interrompre.

– Laisse-nous, Louise! fit Jeanne avec un effort visible.

Mme du Hausset disparut, s’évapora comme le fantôme de la discrétion.

Alors, celui qu’on appelait Le Normant d’Étioles s’assit en face de Jeanne et demanda:

– M. de Tournehem n’est pas encore ici?

– Vous le voyez, monsieur, dit Jeanne en cherchant à dompter le tremblement nerveux qui l’agitait.

– Ce cher oncle! reprit M. d’Étioles sans paraître remarquer le trouble et la pâleur de la jeune fille. Je suis passé tout à l’heure en son hôtel du quai des Augustins pour lui dire qu’aujourd’hui même vous auriez une bonne nouvelle à lui annoncer…

– Une bonne nouvelle!… Moi!… s’écria Jeanne qui, de pâle qu’elle était, devint très rouge.

– Oui… celle que je vais vous annoncer moi-même, cousine.

– Voyons, murmura faiblement la jeune fille.

Le Normant d’Étioles se leva, la salua en souriant d’un sourire qui la glaça et dit:

– Ma chère cousine, j’ai l’honneur de vous informer dans la joie de mon cœur que j’ai pu lever les dernières formalités qui retardaient mon bonheur, et que M. l’abbé de Saint-Sorlin, curé doyen de Saint-Germain-l’Auxerrois, nous attend demain pour bénir notre union, sur le coup de midi, devant Dieu et les hommes…

Jeanne jeta un cri de terreur et d’angoisse.

Les yeux vitreux de M. d’Étioles dardèrent un regard de menace qui s’éteignit aussitôt.

– Qu’avez-vous, cousine? s’écria-t-il. Oh! j’aurais dû vous préparer à ce bonheur, n’est-ce pas!… Que voulez-vous… l’amour est imprudent… et moi je suis imprudent jusqu’à la folie…

– Demain! répéta Jeanne atterrée, en tordant ses belles mains dans un geste inconscient.

– Demain! C’est charmant, n’est-ce pas?…

– Je pensais… je croyais… que… deux mois au moins… étaient nécessaires… balbutiait la jeune fille.

– Cela m’a coûté quelques milliers d’écus… mais l’Église est bonne mère après tout…

– Mais, monsieur, laissez-moi le temps de prévenir mon…

– Mon oncle! interrompit M. d’Étioles au moment un autre mot allait s’échapper de la bouche de Jeanne. Ce digne oncle! Notre cher oncle!… Il sait tout…

– Et il approuve? demanda avidement Jeanne qui, peu à peu, se remettait.

– Des deux mains! répondit d’Étioles.

– Je ne suis pas prête… essaya de résister encore la jeune fille.

– Bah! Vous avez tout près de vingt-quatre heures pour habituer votre esprit à la sainte cérémonie à laquelle votre cœur se prépare depuis un mois… Tantôt, Mme Céleste Lemercier, la grande habilleuse de la cour, vous apportera votre blanche toilette… Nos amis sont prévenus… Rien ne s’oppose donc…

– Rien! prononça Jeanne avec un désespoir qui eut attendri un tigre.

Mais M. d’Étioles était plus et mieux qu’un tigre: il sourit.

Il y eut entre ces deux êtres une minute de silence effrayant… elle, se débattant en une sorte d’agonie; lui, la couvant de ses yeux impitoyables.

Enfin, une révolte monta en elle, de son cœur à ses lèvres, et comme il essayait de prendre sa main, elle se recula, toute frissonnante, et, d’une voix saccadée, fiévreuse:

– Écoutez-moi, monsieur… laissez-moi parler sans m’interrompre… Ce que vous dites est impossible… Appelez-moi parjure, dites ce que vous voudrez… mais cela ne sera pas… Oui, c’est vrai… il y a un mois, je vous ai dit que je consentais… mais vous le savez… oh! je lis dans vos yeux que vous le savez… je ne vous ai dit oui que dans un moment de terreur folle… Faut-il vous rappeler cette abominable soirée où je sentis un affreux désespoir m’envahir?…

Elle éclata en sanglots, et ce fut ainsi, toute pantelante, qu’elle continua:

– Oui, le désespoir!… Je voyais autour de moi des regards insolents… on me chuchotait des choses hideuses… pour la première fois, je compris l’épouvante de ma destinée… je vis clairement ce que voulaient ces hommes qui venaient ici sous prétexte de musique et de poésie… Seule! Seule au monde, j’eus peur… je me sentis lentement poussée à un abîme… je tremblai… je pleurai… et lorsque je vous vis, vous, mon seul parent, je me dis que vous pouviez me sauver… Et lorsque vous me dites que nul n’oserait insulter d’un regard celle qui porterait votre nom, je songeai à ce mariage… comme on songe à la claustration… et je dis oui!

– Et depuis lors, qu’y a-t-il de changé? demanda froidement d’Étioles. Aujourd’hui, comme alors n’avez-vous pas près de vous votre excellente mère… cette chère Mme Poisson?…

– Aujourd’hui, monsieur, il y a ceci de changé que… M. de Tournehem est de retour… et lui me protégera!…

– Eh quoi! l’oncle aurait donc supplanté le neveu!… ricana d’Étioles.

Jeanne se leva, le front empourpré. Une incroyable dignité se répandit sur son visage.

– Monsieur, dit-elle, je vous préviens que vous blasphémez. Puissiez-vous ignorer toujours ce qu’il y a d’odieux dans les paroles que vous venez de prononcer…

L’œil vitreux lança un éclair.

– Bref! vous me renvoyez!… Ce brave petit cousin était bon il y a un mois. Maintenant, on le jette dehors comme un faquin!…

– Pardonnez-moi, Henri, reprit Jeanne, avec une ineffable douceur. Je ne vous renvoie pas. Je vous supplie, au contraire, de demeurer mon cousin affectueux… Toute mon amitié, toute ma reconnaissance vous sont acquises…

– Mais, par la mordieu, pourquoi ce mariage est-il donc devenu impossible?…

– Henri! Henri! ne m’obligez pas à être cruelle!…

– Parlez! Je puis tout entendre…

– Eh bien, je ne vous aime pas! dit Jeanne avec une adorable simplicité.

Henri d’Étioles partit d’un grand éclat de rire qui bouleversa la jeune fille.

– La raison n’est pas valable! s’écria-t-il. Moi, je vous aime… et je vous épouse!

– Monsieur, dit Jeanne suppliante, les mains jointes. Si je vous disais…

– Quoi?… Dites toujours, ma chère fiancée.

– Vous êtes homme d’honneur, murmura la jeune fille d’une voix ardente. Vous ne voudrez pas abuser d’une minute de désespoir… et faire le malheur d’un cœur qui… non seulement ne vous aime pas… mais encore… en adore un autre!…

M. d’Étioles, tranquillement, donna une chiquenaude à son jabot de dentelle.

– Est-ce tout? demanda-t-il d’une voix glaciale.

Jeanne demeura pétrifiée, sans un souffle, les yeux agrandis par l’épouvante, stupéfiée, comme si quelque monstre lui était soudain apparu.

– Or ça, continua Henri d’Étioles, voilà assez de galanteries, ma chère. Si vous le voulez, nous allons parler sérieusement, à cette heure.

– Sérieusement! bégaya la jeune fille toujours debout, mais vacillante d’horreur. Quoi!… Ce que je vous ai dit…

– Ne compte pas! Vous ne m’aimez pas? J’épouse!… Vous en aimez un autre? J’épouse!

– Ah! éclata la jeune fille, pourpre d’indignation, c’est trop d’audace, et je me révolte! Qui êtes-vous, monsieur, pour oser me parler ainsi, dans cette maison, chez moi?… J’avais pitié! Je tremblais du chagrin que j’allais vous causer! Votre étrange attitude suffirait à me délier de vingt serments! Par la mordieu, comme vous dites! vous allez voir si je suis fille à me laisser insulter… Sortez, monsieur!

– Vous me chassez!

– Comme un laquais! Puisque vous parlez à une femme comme un laquais hésiterait à le faire!

– Et moi, je ne sors pas! gronda d’Étioles en se levant à son tour. J’ai parlé en laquais, soit! Je vais agir en maître!

– Oh! c’en est trop! s’écria la jeune fille en s’élançant vers un timbre pour appeler.

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