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– Mais… n’êtes-vous pas… justement… cet homme?

– Vous êtes étranger, comte. Et je suppose que votre blessure y est pour quelque chose. Eh! ne peut-on rêver tout haut? Allons, calmez-vous… sans quoi, vous ne pourrez sortir ce soir…

– Qui vous a dit? s’écria le comte du Barry épouvanté.

– Vous-même! fit Saint-Germain en éclatant de rire. Adieu, comte. Je vous verrai demain; ne vous inquiétez pas de votre blessure, je m’en charge.

Ceci fut dit si cordialement, d’une voix si naturelle, que les soupçons de du Barry se dissipèrent en partie. Demeuré seul, le blessé sommeilla ou fit semblant de sommeiller jusqu’à six heures du soir.

À ce moment, il appela son valet de chambre.

– Habille-moi, lui dit-il.

– Mais votre blessure, monsieur le comte! s’écria le serviteur.

– Habille-moi toujours.

Et, à part lui, du Barry murmura:

– Plutôt que de ne pas accompagner le roi ce soir, j’aimerais mieux perdre mon bras droit!… Oh! qu’y a-t-il donc qui l’attire ainsi?… Vais-je échouer au port!…

Une fois habillé, il fit quelques pas pour essayer ses forces et constata que, malgré un léger étourdissement, il pourrait fort bien marcher. Un sourire d’ironique satisfaction crispa ses lèvres.

– Tout autre que moi, Sire, serait au lit, songea-t-il. Mais moi, aucune blessure ne peut me retenir quand il s’agit du… service de Votre Majesté… J’espère, ô mon roi, que voilà du dévouement!…

Il s’apprêtait à sortir et déjà son valet de chambre jetait son manteau sur ses épaules, lorsqu’on frappa.

Le domestique alla ouvrir: Le Normant d’Étioles entra.

À la vue de du Barry debout, d’Étioles poussa un cri de joie… vraie ou feinte, et s’écria:

– Mes félicitations, très cher!… Comment! debout? habillé?… Je craignais vraiment que cette blessure…

– Une piqûre d’épingle! fit du Barry dont les sourcils, un instant, s’étaient contractés.

– Ainsi, vous pourrez demain assister à mon mariage?… Ah! cher, vous me l’avez promis… Je veux toute la cour pour témoin de mon bonheur… et qu’est-ce que la cour sans le comte du Barry!…

– Je ne sais vraiment si je pourrai…

– Si fait! si fait! Vous pourrez, cher ami!… Il faut que vous assistiez à ce spectacle unique, merveilleux, invraisemblable: le pauvre petit d’Étioles conduisant à l’autel la plus radieuse beauté de Paris…

– Est-elle vraiment si belle?…

– Vous verrez: un pur chef-d’œuvre. Vous viendrez, n’est-ce pas?

– Je crois décidément que je n’en aurai pas la force, dit du Barry.

– Pourtant, je vous vois gaillard et sur le point de sortir.

– Ce soir, je fais un grand effort parce que Sa Majesté m’attend.

– Ah! ah! Le roi vous attend? fit sourdement d’Étioles.

– Oui, cher ami!

Les deux amis se regardèrent fixement. Et celui qui eût pu étudier, comprendre tout ce qu’il y avait dans ce double regard amical eût reculé, épouvanté, comme on recule devant un abîme ouvert soudain sous ses pas…

La haine, elle aussi a ses abîmes…

– À propos, reprit d’Étioles, persuadé que vous ne pourriez vous lever demain, j’ai justement invité quelqu’un que je me fusse gardé de prier à cette cérémonie si j’avais pensé que vous y pourriez assister… mais au fait, puisque vous ne pourrez pas…

– De qui voulez-vous parler? demanda le comte en tressaillant.

– De votre adversaire de ce matin… un charmant garçon, ma foi… Mais seule la politesse m’a forcé de l’inviter, puisque je me suis trouvé devenir son second.

– Le chevalier d’Assas viendra donc demain à Saint-Germain l’Auxerrois?

– À moins que cela ne vous contrarie, cher!

– Moi? Et pourquoi donc? Cela me contrarie si peu qu’au contraire je me décide; demain, je veux apposer ma signature près de celle du chevalier que j’estime grandement… Je ferai pour vous le même effort que je fais ce soir pour Sa Majesté…

De nouveau, les regards des deux amis se croisèrent, chargés de sombres méfiances.

Mais déjà d’Étioles s’exclamait joyeusement, remerciait le comte, lui serrait la main et enfin, prenant congé, s’éloignait en jetant ce dernier mot:

– À demain, midi!… Vous verrez la merveille qu’est la future Mme d’Étioles… le roi lui-même qui passe pour connaisseur…

– Le roi! interrompit sourdement le comte.

– Oui… le roi lui-même serait saisi d’admiration s’il la voyait… mais il ne la verra pas.

– Pourquoi cela? fit vivement du Barry.

– Dame, vous savez, cher ami, ce bon cardinal Fleury, qui a fait l’éducation de notre sire, s’est un peu trompé en s’imaginant que son élève passerait à la postérité sous le nom de Louis le Chaste. Et moi je ne tiens pas à lui confirmer à mes dépens le titre de Louis le Bien-Aimé que lui a donné M. Vadé, le poète des Halles…

D’Étioles, sur un dernier signe amical, disparut.

– Qu’a donc voulu siffler cette vipère? murmura le comte quand il fut seul.

De sa main valide, il pressa son front moite de sueur.

– Oh! reprit il, ces paroles du comte de Saint-Germain! Comme elles ont bien évoqué le prestigieux mystère de mes désirs! Tout ce qu’il m’a dépeint en traits de flamme, je le veux, moi! Et malheur à qui me fera obstacle! Malheur à toi, d’Assas! Et à toi, d’Étioles, si mes soupçons se confirment! Je broierai, je briserai tout sur mon chemin. Et qu’importe qu’on dise que j’ai passé comme un météore de dévastation, pourvu que je passe!…

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