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La lueur des lanternes dont ils éclairaient l’escalier passait à travers ces trous.

L’Imânus aperçut à un de ces trous une de ces prunelles qui regardaient. Il ajusta brusquement à ce trou le canon d’un de ses pistolets et pressa la détente. Le coup partit, et l’Imânus, joyeux, entendit un cri horrible. La balle avait crevé l’œil et traversé la tête, et le soldat qui regardait venait de tomber dans l’escalier à la renverse.

Les assaillants avaient entamé assez largement le bas du couvercle en deux endroits, et y avaient pratiqué deux espèces de meurtrières, l’Imânus profita de l’une de ces entailles, y passa le bras, et lâcha au hasard dans le tas des assiégeants son deuxième coup de pistolet. La balle ricocha probablement, car on entendit plusieurs cris, comme si trois ou quatre étaient tués ou blessés, et il se fit dans l’escalier un grand tumulte d’hommes qui lâchent pied et qui reculent.

L’Imânus jeta les deux pistolets qu’il venait de décharger, et prit les deux qui restaient, puis, les deux pistolets à ses deux poings, il regarda par les trous du coffre.

Il constata le premier effet produit.

Les assaillants avaient redescendu l’escalier. Des mourants se tordaient sur les marches; le tournant de la spirale ne laissait voir que trois ou quatre degrés.

L’Imânus attendit.

– C’est du temps de gagné, pensait-il.

Cependant il vit un homme, à plat ventre, monter en rampant les marches de l’escalier, et en même temps, plus bas, une tête de soldat apparut derrière le pilier central de la spirale. L’Imânus visa cette tête et tira.

Il y eut un cri, le soldat tomba, et l’Imânus fit passer de sa main gauche dans sa main droite le dernier pistolet chargé qui lui restait.

En ce moment-là il sentit une affreuse douleur, et ce fut lui qui, à son tour, jeta un hurlement. Un sabre lui fouillait les entrailles. Un poing, le poing de l’homme qui rampait, venait de passer à travers la deuxième meurtrière du bas du coffre, et ce poing avait plongé un sabre dans le ventre de l’Imânus.

La blessure était effroyable. Le ventre était fendu de part en part.

L’Imânus ne tomba pas. Il grinça des dents, et dit:

– C’est bon!

Puis chancelant et se traînant, il recula jusqu’à la torche qui brûlait à côté de la porte de fer, il posa son pistolet à terre et empoigna la torche, et, soutenant de la main gauche ses intestins qui sortaient, de la main droite il abaissa la torche et mit le feu à la mèche soufrée.

Le feu prit, la mèche flamba. L’Imânus lâcha la torche, qui continua de brûler à terre, ressaisit son pistolet, et, tombé sur la dalle, mais se soulevant encore, attisa la mèche du peu de souffle qui lui restait.

La flamme courut, passa sous la porte de fer et gagna le pont-châtelet.

Alors, voyant cette exécrable réussite, plus satisfait peut-être de son crime que de sa vertu, cet homme qui venait d’être un héros et qui n’était plus qu’un assassin, et qui allait mourir, sourit.

– Ils se souviendront de moi, murmura-t-il. Je venge, sur leurs petits, notre petit à nous, le roi qui est au Temple.

XIV L’IMANUS AUSSI S’ÉVADE

En cet instant-là, un grand bruit se fit, le coffre violemment poussé s’effondra, et livra passage à un homme qui se rua dans la salle, le sabre à la main.

– C’est moi, Radoub; qui en veut? Ça m’ennuie d’attendre. Je me risque. C’est égal, je viens toujours d’en éventrer un. Maintenant je vous attaque tous. Qu’on me suive ou qu’on ne me suive pas, me voilà. Combien êtes-vous?

C’était Radoub, en effet, et il était seul. Après le massacre que l’Imânus venait de faire dans l’escalier, Gauvain, redoutant quelque fougasse masquée, avait fait replier ses hommes et se concertait avec Cimourdain.

Radoub, le sabre à la main sur le seuil, dans cette obscurité où la torche presque éteinte jetait à peine une lueur, répéta sa question:

– Je suis un. Combien êtes-vous?

N’entendant rien, il avança. Un de ces jets de clarté qu’exhalent par instants les foyers agonisants et qu’on pourrait appeler des sanglots de lumière, jaillit de la torche et illumina toute la salle.

Radoub avisa un des petits miroirs accrochés au mur, s’en approcha, regarda sa face ensanglantée et son oreille pendante, et dit:

– Démantibulage hideux.

Puis il se retourna, stupéfait de voir la salle vide.

– Il n’y a personne! s’écria-t-il. Zéro d’effectif.

Il aperçut la pierre qui avait tourné, l’ouverture et l’escalier.

– Ah! je comprends. Clef des champs. Venez donc tous! camarades, venez! ils s’en sont allés. Ils ont filé, fusé, fouiné, fichu le camp. Cette cruche de vieille tour était fêlée. Voici le trou par où ils ont passé, canailles! Comment veut-on qu’on vienne à bout de Pitt et Cobourg avec des farces comme ça! C’est le bon Dieu du diable qui est venu à leur secours! Il n’y a plus personne!

Un coup de pistolet partit, une balle lui effleura le coude et s’aplatit contre le mur.

– Mais si! il y a quelqu’un. Qui est-ce qui a la bonté de me faire cette politesse?

– Moi, dit une voix.

Radoub avança la tête et distingua dans le clair-obscur quelque chose qui était l’Imânus.

– Ah! cria-t-il. J’en tiens un. Les autres se sont échappés, mais toi, tu n’échapperas pas.

– Crois-tu? répondit l’Imânus.

Radoub fit un pas et s’arrêta.

– Hé, l’homme qui es par terre, qui es-tu?

– Je suis celui qui est par terre et qui se moque de ceux qui sont debout.

– Qu’est-ce que tu as dans ta main droite?

– Un pistolet.

– Et dans ta main gauche?

– Mes boyaux.

– Je te fais prisonnier.

– Je t’en défie.

Et l’Imânus, se penchant sur la mèche en combustion, soufflant son dernier soupir sur l’incendie, expira.

Quelques instants après, Gauvain et Cimourdain, et tous, étaient dans la salle. Tous virent l’ouverture. On fouilla les recoins, on sonda l’escalier; il aboutissait à une sortie dans le ravin. On constata l’évasion. On secoua l’Imânus, il était mort. Gauvain, une lanterne à la main, examina la pierre qui avait donné issue aux assiégés; il avait entendu parler de cette pierre tournante, mais lui aussi tenait cette légende pour une fable. Tout en considérant la pierre, il aperçut quelque chose qui était écrit au crayon; il approcha la lanterne et lut ceci:

– Au revoir, monsieur le vicomte. -

LANTENAC.

Guéchamp avait rejoint Gauvain. La poursuite était évidemment inutile, la fuite était consommée et complète, les évadés avaient pour eux tout le pays, le buisson, le ravin, le taillis, l’habitant; ils étaient sans doute déjà bien loin; nul moyen de les retrouver; et la forêt de Fougères tout entière était une immense cachette. Que faire? Tout était à recommencer. Gauvain et Guéchamp échangeaient leurs désappointements et leurs conjectures.

Cimourdain écoutait, grave, sans dire une parole.

– À propos, Guéchamp, dit Gauvain, et l’échelle?

– Commandant, elle n’est pas arrivée.

– Mais pourtant nous avons vu venir une voiture escortée par des gendarmes.

Guéchamp répondit:

– Elle n’apportait pas l’échelle.

– Qu’est-ce donc qu’elle apportait?

– La guillotine, dit Cimourdain.

XV NE PAS METTRE DANS LA MÊME POCHE UNE MONTRE ET UNE CLEF

Le marquis de Lantenac n’était pas si loin qu’ils le croyaient.

Il n’en était pas moins entièrement en sûreté et hors de leur atteinte.

Il avait suivi Halmalo.

L’escalier par où Halmalo et lui étaient descendus, à la suite des autres fugitifs, se terminait tout près du ravin et des arches du pont par un étroit couloir voûté. Ce couloir s’ouvrait sur une profonde fissure naturelle du sol qui d’un côté aboutissait au ravin, et de l’autre à la forêt. Cette fissure, absolument dérobée aux regards, serpentait sous des végétations impénétrables. Impossible de reprendre là un homme. Un évadé, une fois parvenu dans cette fissure, n’avait plus qu’à faire une fuite de couleuvre, et était introuvable. L’entrée du couloir secret de l’escalier était tellement obstruée de ronces que les constructeurs du passage souterrain avaient considéré comme inutile de la fermer autrement.

Le marquis n’avait plus maintenant qu’à s’en aller. Il n’avait pas à s’inquiéter d’un déguisement. Depuis son arrivée en Bretagne, il n’avait pas quitté ses habits de paysan, se jugeant plus grand seigneur ainsi.

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