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Nul moyen de fuir. Par la bibliothèque? Il y avait là sur le plateau six canons braqués, mèche allumée. Par les chambres d’en haut? À quoi bon? elles aboutissaient à la plate-forme. Là on trouvait la ressource de se jeter du haut en bas de la tour.

Les sept survivants de cette bande épique se voyaient inexorablement enfermés et saisis par cette épaisse muraille qui les protégeait et qui les livrait. Ils n’étaient pas encore pris; mais ils étaient déjà prisonniers.

Le marquis éleva la voix:

– Mes amis, tout est fini.

Et après un silence, il ajouta:

– Grand-Francœur redevient l’abbé Turmeau.

Tous s’agenouillèrent, le rosaire à la main. Les coups de crosse des assaillants se rapprochaient.

Grand-Francœur, tout sanglant d’une balle qui lui avait effleuré le crâne et arraché le cuir chevelu, dressa de la main droite son crucifix. Le marquis, sceptique au fond, mit un genou en terre.

– Que chacun, dit Grand-Francœur, confesse ses fautes à haute voix. Monseigneur, parlez.

Le marquis répondit:

– J’ai tué.

– J’ai tué, dit Hoisnard.

– J’ai tué, dit Guinoiseau.

– J’ai tué, dit Brin-d’Amour.

– J’ai tué, dit Chatenay.

– J’ai tué, dit l’Imânus.

Et Grand-Francœur reprit:

– Au nom de la très sainte Trinité, je vous absous. Que vos âmes aillent en paix.

– Ainsi soit-il, répondirent toutes les voix.

Le marquis se releva.

– Maintenant, dit-il, mourons.

– Et tuons, dit l’Imânus.

Les coups de crosse commençaient à ébranler le coffre qui barrait la porte.

– Pensez à Dieu, dit le prêtre. La terre n’existe plus pour vous.

– Oui, reprit le marquis, nous sommes dans la tombe.

Tous courbèrent le front et se frappèrent la poitrine. Le marquis seul et le prêtre étaient debout. Les yeux étaient fixés à terre, le prêtre priait, les paysans priaient, le marquis songeait. Le coffre, battu comme par des marteaux, sonnait lugubrement.

En ce moment une voix vive et forte, éclatant brusquement derrière eux, cria:

– Je vous l’avais bien dit, monseigneur!

Toutes les têtes se retournèrent, stupéfaites.

Un trou venait de s’ouvrir dans le mur.

Une pierre, parfaitement rejointoyée avec les autres, mais non cimentée, et ayant un piton en haut et un piton en bas, venait de pivoter sur elle-même à la façon des tourniquets, et en tournant avait ouvert la muraille. La pierre ayant évolué sur son axe, l’ouverture était double et offrait deux passages, l’un à droite, l’autre à gauche, étroits, mais suffisants pour laisser passer un homme. Au delà de cette porte inattendue on apercevait les premières marches d’un escalier en spirale. Une face d’homme apparaissait à l’ouverture.

Le marquis reconnut Halmalo.

XII SAUVEUR

– C’est toi, Halmalo?

– Moi, monseigneur. Vous voyez bien que les pierres qui tournent, cela existe, et qu’on peut sortir d’ici. J’arrive à temps, mais faites vite. Dans dix minutes, vous serez en pleine forêt.

– Dieu est grand, dit le prêtre.

– Sauvez-vous, monseigneur, crièrent toutes les voix.

– Vous tous d’abord, dit le marquis.

– Vous le premier, monseigneur, dit l’abbé Turmeau.

– Moi le dernier.

Et le marquis reprit d’une voix sévère:

– Pas de combat de générosité. Nous n’avons pas le temps d’être magnanimes. Vous êtes blessés. Je vous ordonne de vivre et de fuir. Vite! et profitez de cette issue. Merci, Halmalo.

– Monsieur le marquis, dit l’abbé Turmeau, nous allons nous séparer?

– En bas, sans doute. On ne s’échappe jamais qu’un à un.

– Monseigneur nous assigne-t-il un rendez-vous?

– Oui. Une clairière dans la forêt. La Pierre-Gauvaine. Connaissez-vous l’endroit?

– Nous le connaissons tous.

– J’y serai demain, à midi. Que tous ceux qui pourront marcher s’y trouvent.

– On y sera.

– Et nous recommencerons la guerre, dit le marquis.

Cependant Halmalo, en pesant sur la pierre tournante, venait de s’apercevoir qu’elle ne bougeait plus. L’ouverture ne pouvait plus se clore.

– Monseigneur, dit-il, dépêchons-nous, la pierre résiste à présent. J’ai pu ouvrir le passage, mais je ne pourrai le fermer.

La pierre, en effet, après une longue désuétude, était comme ankylosée dans sa charnière. Impossible désormais de lui imprimer un mouvement.

– Monseigneur, reprit Halmalo, j’espérais refermer le passage, et que les bleus, quand ils entreraient, ne trouveraient plus personne, et n’y comprendraient rien, et vous croiraient en allés en fumée. Mais voilà la pierre qui ne veut pas. L’ennemi verra la sortie ouverte et pourra poursuivre. Au moins ne perdons pas une minute. Vite, tous dans l’escalier.

L’Imânus posa la main sur l’épaule de Halmalo:

– Camarade, combien de temps faut-il pour qu’on sorte par cette passe et qu’on soit en sûreté dans la forêt?

– Personne n’est blessé grièvement? demanda Halmalo.

Ils répondirent:

– Personne.

– En ce cas, un quart d’heure suffit.

– Ainsi, repartit l’Imânus, si l’ennemi n’entrait ici que dans un quart d’heure…

– Il pourrait nous poursuivre, il ne nous atteindrait pas.

– Mais, dit le marquis, ils seront ici dans cinq minutes, ce vieux coffre n’est pas pour les gêner longtemps. Quelques coups de crosse en viendront à bout. Un quart d’heure! Qui est-ce qui les arrêtera un quart d’heure?

– Moi, dit l’Imânus.

– Toi, Gouge-le-Bruant?

– Moi, monseigneur. Écoutez. Sur six, vous êtes cinq blessés. Moi je n’ai pas une égratignure.

– Ni moi, dit le marquis.

– Vous êtes le chef, monseigneur. Je suis le soldat. Le chef et le soldat, c’est deux.

– Je le sais, nous avons chacun un devoir différent.

– Non, monseigneur, nous avons, vous et moi, le même devoir, qui est de vous sauver.

L’Imânus se tourna vers ses camarades.

– Camarades, il s’agit de tenir en échec l’ennemi et de retarder la poursuite le plus possible. Écoutez. J’ai toute ma force, je n’ai pas perdu une goutte de sang; n’étant pas blessé, je durerai plus longtemps qu’un autre. Partez tous. Laissez-moi vos armes. J’en ferai bon usage. Je me charge d’arrêter l’ennemi une bonne demi-heure. Combien y a-t-il de pistolets chargés?

– Quatre.

– Mettez-les à terre.

On fit ce qu’il voulait.

– C’est bien. Je reste. Ils trouveront à qui parler. Maintenant, vite, allez-vous-en.

Les situations à pic suppriment les remerciements. À peine prit-on le temps de lui serrer la main.

– À bientôt, lui dit le marquis.

– Non, monseigneur. J’espère que non. Pas à bientôt; car je vais mourir.

Tous s’engagèrent l’un après l’autre dans l’étroit escalier, les blessés d’abord. Pendant qu’ils descendaient, le marquis prit le crayon de son carnet de poche, et écrivit quelques mots sur la pierre qui ne pouvait plus tourner et qui laissait le passage béant.

– Venez, monseigneur, il n’y a plus que vous, dit Halmalo.

Et Halmalo commença à descendre.

Le marquis le suivit.

L’Imânus resta seul.

XIII BOURREAU

Les quatre pistolets avaient été posés sur les dalles, car cette salle n’avait pas de plancher. L’Imânus en prit deux, un dans chaque main.

Il s’avança obliquement vers l’entrée de l’escalier que le coffre obstruait et masquait.

Les assaillants craignaient évidemment quelque surprise, une de ces explosions finales qui sont la catastrophe du vainqueur en même temps que celle du vaincu. Autant la première attaque avait été impétueuse, autant la dernière était lente et prudente. Ils n’avaient pas pu, ils n’avaient pas voulu peut-être, enfoncer violemment le coffre; ils en avaient démoli le fond à coups de crosse, et troué le couvercle à coups de bayonnette, et par ces trous ils tâchaient de voir dans la salle avant de se risquer à y pénétrer.

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