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– La vérité probable, comme vous y allez, jeune homme ! Est-ce à dire que vous avez, déjà prête, votre petite solution de l’énigme ?

– Oh ! non, repartit Beautrelet en riant… Seulement… il me semble qu’il y a certains points où il n’est pas impossible de se faire une opinion, et d’autres, même, tellement précis, qu’il suffit… de conclure.

– Eh ! mais, cela devient très curieux et je vais enfin savoir quelque chose. Car, je vous le confesse à ma grande honte, je ne sais rien.

– C’est que vous n’avez pas eu le temps de réfléchir, Monsieur le juge d’instruction. L’essentiel est de réfléchir. Il est si rare que les faits ne portent pas en eux-mêmes leur explication. N’est-ce pas votre avis ? En tout cas je n’en ai pas constaté d’autres que ceux qui sont consignés au procès-verbal.

– À merveille ! De sorte que si je vous demandais quels furent les objets volés dans ce salon ?

– Je vous répondrais que je les connais.

– Bravo ! Monsieur en sait plus long là-dessus que le propriétaire lui-même ! M. de Gesvres a son compte : M. Beautrelet n’a pas le sien. Il lui manque une bibliothèque et une statue grandeur nature que personne n’avait jamais remarquées. Et si je vous demandais le nom du meurtrier ?

– Je vous répondrais également que je le connais.

Il y eut un sursaut chez tous les assistants. Le substitut et le journaliste se rapprochèrent. M. de Gesvres et les deux jeunes filles écoutaient attentivement, impressionnés par l’assurance tranquille de Beautrelet.

– Vous connaissez le nom du meurtrier ?

– Oui.

– Et l’endroit où il se trouve, peut-être ?

– Oui.

M. Filleul se frotta les mains :

– Quelle chance ! Cette capture sera l’honneur de ma carrière. Et vous pouvez, dès maintenant, me faire ces révélations foudroyantes ?

– Dès maintenant, oui… Ou bien, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, dans une heure ou deux, lorsque j’aurai assisté jusqu’au bout à l’enquête que vous poursuivez.

– Mais non, tout de suite, jeune homme…

À ce moment, Raymonde de Saint-Véran, qui, depuis le début de cette scène, n’avait pas quitté du regard Isidore Beautrelet, s’avança vers M. Filleul.

– Monsieur le juge d’instruction…

– Que désirez-vous, Mademoiselle ?

Deux ou trois secondes, elle hésita, les yeux fixés sur Beautrelet, puis, s’adressant à M. Filleul :

– Je vous prierai de demander à Monsieur la raison pour laquelle il se promenait hier dans le chemin creux qui aboutit à la petite porte.

Ce fut un coup de théâtre. Isidore Beautrelet parut interloqué.

– Moi, Mademoiselle ! moi ! vous m’avez vu hier ?

Raymonde resta pensive, les yeux toujours attachés à Beautrelet, comme si elle cherchait à bien établir en elle sa conviction, et elle prononça d’un ton posé :

– J’ai rencontré dans le chemin creux, à quatre heures de l’après-midi, alors que je traversais le bois, un jeune homme de la taille de monsieur, habillé comme lui, et qui portait la barbe taillée comme la sienne… et j’eus l’impression qu’il cherchait à se dissimuler.

– Et c’était moi ?

– Il me serait impossible de l’affirmer d’une façon absolue, car mon souvenir est un peu vague. Cependant… cependant il me semble bien… sinon la ressemblance serait étrange…

M. Filleul était perplexe. Déjà dupé par l’un des complices, allait-il se laisser jouer par ce soi-disant collégien ?

– Qu’avez-vous à répondre, Monsieur ?

– Que Mademoiselle se trompe et qu’il m’est facile de le démontrer. Hier, à cette heure, j’étais à Veules.

– Il faudra le prouver, il le faudra. En tout cas la situation n’est plus la même. Brigadier, l’un de vos hommes tiendra compagnie à monsieur.

Le visage d’Isidore Beautrelet marqua une vive contrariété.

– Ce sera long ?

– Le temps de réunir les informations nécessaires.

– Monsieur le juge d’instruction, je vous supplie de les réunir avec le plus de célérité et de discrétion possible…

– Pourquoi ?

– Mon père est vieux. Nous nous aimons beaucoup… et je ne voudrais pas qu’il eût de peine par moi.

Le ton larmoyant de la voix déplut à M. Filleul. Cela sentait la scène de mélodrame. Néanmoins, il promit :

– Ce soir… demain au plus tard, je saurai à quoi m’en tenir.

L’après-midi s’avançait. Le juge retourna dans les ruines du vieux cloître, en ayant soin d’en interdire l’entrée à tous les curieux, et patiemment, avec méthode, divisant le terrain en parcelles successivement étudiées, il dirigea lui-même les investigations. Mais, à la fin du jour, il n’était guère plus avancé, et il déclara devant une armée de reporters qui avaient envahi le château :

– Messieurs, tout nous laisse supposer que le blessé est là, à portée de notre main, tout, sauf la réalité des faits. Donc, à notre humble avis, il a dû s’échapper, et c’est dehors que nous le trouverons.

Par précaution cependant, il organisa, d’accord avec le brigadier, la surveillance du parc, et, après, un nouvel examen des deux salons et une visite complète du château, après s’être entouré de tous les renseignements nécessaires, il reprit la route de Dieppe en compagnie du substitut.

La nuit vint. Le boudoir devant rester clos, on avait transporté le cadavre de Jean Daval dans une autre pièce. Deux femmes du pays le veillaient, secondées par Suzanne et Raymonde. En bas, sous l’œil attentif du garde champêtre, que l’on avait attaché à sa personne, le jeune Isidore Beautrelet sommeillait sur le banc de l’ancien oratoire. Dehors, les gendarmes, le fermier et une douzaine de paysans s’étaient postés parmi les ruines et le long des murs.

Jusqu’à onze heures, tout fut tranquille, mais à onze heures dix, un coup de feu retentit de l’autre côté du château.

– Attention, hurla le brigadier. Que deux hommes restent ici !… Fossier et Lecanu… Les autres au pas de course.

Tous, ils s’élancèrent et doublèrent le château par la gauche. Dans l’ombre, une silhouette s’esquiva. Puis, tout de suite, un second coup de feu les attira plus loin, presque aux limites de la ferme. Et soudain, comme ils arrivaient en troupe à la haie qui borde le verger, une flamme jaillit à droite de la maison réservée au fermier, et d’autres flammes aussitôt s’élevèrent en colonne épaisse. C’était une grange qui brûlait, bourrée de paille jusqu’à son faîte.

– Les coquins ! cria le brigadier Quevillon, c’est eux qui ont mis le feu. Sautons dessus, mes enfants. Ils ne peuvent pas être loin.

Mais la brise courbant les flammes vers le corps de logis, avant tout il fallut parer au danger. Ils s’y employèrent tous avec d’autant plus d’ardeur que M. de Gesvres, accouru sur le lieu du sinistre, les encouragea par la promesse d’une récompense. Quand on se fut rendu maître de l’incendie, il était deux heures du matin. Toute poursuite eût été vaine.

– Nous verrons cela au grand jour, dit le brigadier… pour sûr ils ont laissé des traces… on les retrouvera.

– Et je ne serai pas fâché, ajouta M. de Gesvres, de savoir la raison de cette attaque. Mettre le feu à des bottes de paille me paraît bien inutile.

– Venez avec moi, Monsieur le comte… la raison, je vais peut-être vous la dire.

Ensemble ils arrivaient aux ruines du cloître. Le brigadier appela :

– Lecanu ?… Fossier ?…

D’autres gendarmes cherchaient déjà leurs camarades laissés en faction. On finit par les découvrir à l’entrée de la petite porte. Ils étaient étendus à terre, ficelés, bâillonnés, un bandeau sur les yeux.

– Monsieur le comte, murmura le brigadier tandis qu’on les délivrait, nous avons été joués comme des enfants.

– En quoi ?

– Les coups de feu… l’attaque… l’incendie… tout cela des blagues pour nous attirer là-bas… Une diversion… Pendant ce temps, on ligotait nos deux hommes et l’affaire était faite.

– Quelle affaire ?

– L’enlèvement du blessé, parbleu !

– Allons donc, vous croyez ?

– Si je crois C’est la vérité certaine. Voilà bien dix minutes que l’idée m’en est venue. Mais je ne suis qu’un imbécile de ne pas y avoir pensé plus tôt. On les aurait tous pincés.

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