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Il sauta sur la serrure et enleva la clef.

– Crac, mon vieux, cette porte-là est solide... J’ai tout mon temps... Beautrelet, je te dis adieu... Et merci !... car vraiment tu aurais pu me compliquer l’attaque... mais tu es un délicat, toi !

Il s’était dirigé vers un grand triptyque de Van den Weiden, qui représentait les Rois Mages. Il replia le volet de droite et découvrit ainsi une petite porte dont il saisit la poignée.

– Bonne chasse, Ganimard, et bien des choses chez toi !

Un coup de feu retentit. Il bondit en arrière.

– Ah canaille, en plein cœur ! T’as donc pris des leçons ? Fichu le roi mage ! En plein cœur ! Fracassé comme une pipe à la foire...

– Rends-toi, Lupin ! hurla Ganimard dont le revolver surgissait hors du panneau brisé et dont on apercevait les yeux brillants... Rends-toi, Lupin !

– Et la garde, est-ce qu’elle se rend ?

– Si tu bouges, je te brûle...

– Allons donc, tu ne peux pas m’avoir d’ici !

De fait, Lupin s’était éloigné, et si Ganimard, par la brèche pratiquée dans la porte, pouvait tirer droit devant lui, il ne pouvait tirer ni surtout viser du côté où se trouvait Lupin... La situation de celui-ci n’en était pas moins terrible, puisque l’issue sur laquelle il comptait, la petite porte du triptyque, s’ouvrait en face de Ganimard. Essayer de s’enfuir, c’était s’exposer au feu du policier... et il restait cinq balles dans le revolver.

– Fichtre, dit-il en riant, mes actions sont en baisse. C’est bien fait, mon vieux Lupin, t’as voulu avoir une dernière sensation et t’as trop tiré sur la corde. Fallait pas tant bavarder.

Il s’aplatit contre le mur. Sous l’effort des hommes, un pan du panneau encore avait cédé, et Ganimard était plus à l’aise. Trois mètres, pas davantage, séparaient les deux adversaires. Mais une vitrine en bois doré protégeait Lupin.

– À moi donc, Beautrelet, s’écria le vieux policier, qui grinçait de rage... tire donc dessus, au lieu de reluquer comme ça !...

Isidore, en effet, n’avait pas remué, spectateur passionné, mais indécis jusque-là. De toutes ses forces, il eût voulu se mêler à la lutte et abattre la proie qu’il tenait à sa merci. Un sentiment obscur l’en empêchait.

L’appel de Ganimard le secoua. Sa main se crispa à la crosse de son revolver.

« Si je prends parti, pensa-t-il Lupin est perdu... et j’en ai le droit... c’est mon devoir... »

Leurs yeux se rencontrèrent. Ceux de Lupin étaient calmes, attentifs, presque curieux, comme si, dans l’effroyable danger qui le menaçait, il ne se fût intéressé qu’au problème moral qui étreignait le jeune homme. Isidore se déciderait-il à donner le coup de grâce à l’ennemi vaincu ?... La porte craqua du haut en bas.

– À moi, Beautrelet, nous le tenons, vociféra Ganimard.

Isidore leva son revolver.

Ce qui se passa fut si rapide qu’il n’en eut pour ainsi dire conscience que par la suite. Il vit Lupin se baisser, courir le long du mur, raser la porte, au-dessous de l’arme même que brandissait vainement Ganimard, et il se sentit soudain, lui, Beautrelet, projeté à terre, ramassé aussitôt, et soulevé par une force invincible.

Lupin le tenait en l’air, comme un bouclier vivant, derrière lequel il se cachait.

– Dix contre un que je m’échappe, Ganimard ! Avec Lupin, vois-tu, il y a toujours de la ressource...

Il avait reculé rapidement vers le triptyque. Tenant d’une main Beautrelet plaqué contre sa poitrine, de l’autre il dégagea l’issue et referma la petite porte. Il était sauvé... Tout de suite un escalier s’offrit à eux, qui descendait brusquement.

– Allons, dit Lupin, en poussant Beautrelet devant lui, l’armée de terre est battue... occupons nous de la flotte française. Après Waterloo, Trafalgar... T’en auras pour ton argent, hein, petit !... Ah ! que c’est drôle, les voilà qui cognent le triptyque maintenant... Trop tard, les enfants... Mais file donc, Beautrelet...

L’escalier, creusé dans la paroi de l’Aiguille, dans son écorce même, tournait tout autour de la pyramide, l’encerclant comme la spirale d’un toboggan.

L’un pressant l’autre, ils dégringolaient les marches deux par deux, trois par trois. De place en place un jet de lumière giclait à travers une fissure, et Beautrelet emportait la vision des barques de pêche qui évoluaient à quelques dizaines de brasses, et du torpilleur noir...

Ils descendaient, ils descendaient, Isidore silencieux, Lupin toujours exubérant.

– Je voudrais bien savoir ce que fait Ganimard ? Dégringole-t-il les autres escaliers pour me barrer l’entrée du tunnel ? Non, il n’est pas si bête... Il aura laissé là quatre hommes... et quatre hommes suffisent.

Il s’arrêta.

– Écoute... ils crient là-haut... c’est ça, ils auront ouvert la fenêtre et ils appellent leur flotte... Regarde, on se démène sur les barques... on échange des signaux... le torpilleur bouge... Brave torpilleur ! je te reconnais, tu viens du Havre... Canonniers, à vos postes... Bigre, voilà le commandant... Bonjour, Duguay-Trouin.

Il passa son bras par une fenêtre et agita son mouchoir. Puis il se remit en marche.

– La flotte ennemie fait force de rames, dit-il. L’abordage est imminent. Dieu que je m’amuse !

Ils perçurent des bruits de voix au-dessous d’eux. À ce moment, ils approchaient du niveau de la mer, et ils débouchèrent presque aussitôt dans une vaste grotte où deux lanternes allaient et venaient parmi l’obscurité. Une ombre surgit et une femme se jeta au cou de Lupin !

– Vite ! vite ! j’étais inquiète !... Qu’est-ce que vous faisiez ?... Mais vous n’êtes pas seul ?...

Lupin la rassura.

– C’est notre ami Beautrelet... Figure-toi que notre ami Beautrelet a eu la délicatesse... mais je te raconterai cela... nous n’avons pas le temps... Charolais, tu es là ?... Ah ! bien... Le bateau ?...

Charolais répondit « Le bateau est prêt. »

– Allume, fit Lupin.

Au bout d’un instant le bruit d’un moteur crépita, et Beautrelet dont le regard s’habituait peu à peu aux demi-ténèbres, finit par se rendre compte qu’ils se trouvaient sur une sorte de quai, au bord de l’eau, et que, devant eux, flottait un canot.

– Un canot automobile, dit Lupin, complétant les observations de Beautrelet. Hein, tout ça t’épate, mon vieil Isidore... Tu ne comprends pas ?... Comme l’eau que tu vois n’est autre que l’eau de la mer qui s’infiltre à chaque marée dans cette excavation, il en résulte que j’ai là une petite rade invisible et sûre...

— Mais fermée, objecta Beautrelet. Personne ne peut y entrer, et personne en sortir.

– Si, moi, fit Lupin, et je vais te le prouver.

Il commença par conduire Raymonde, puis revint chercher Beautrelet. Celui-ci hésita.

– Tu as peur ? dit Lupin.

– De quoi ?

– D’être coulé à fond par le torpilleur ?

– Non.

– Alors tu te demandes si ton devoir n’est pas de rester côté Ganimard, justice, société, morale, au lieu d’aller côté Lupin, honte, infamie, déshonneur ?

– Précisément.

– Par malheur, mon petit, tu n’as pas le choix... Pour l’instant, il faut qu’on nous croie morts tous les deux... et qu’on me fiche la paix que l’on doit à un futur honnête homme. Plus tard, quand je t’aurai rendu ta liberté, tu parleras à ta guise... je n’aurai plus rien à craindre.

À la manière dont Lupin lui étreignit le bras, Beautrelet sentit que toute résistance était inutile. Et puis, pourquoi résister ? N’avait-il pas le droit de s’abandonner à la sympathie irrésistible que, malgré tout, cet homme lui inspirait ? Ce sentiment fut si net en lui qu’il eut envie de dire à Lupin :

« Écoutez, vous courez un autre danger plus grave : Sholmès est sur vos traces... »

– Allons, viens, lui dit Lupin, avant qu’il se fût résolu à parler.

Il obéit et se laissa mener jusqu’au bateau, dont la forme lui parut singulière et l’aspect tout à fait imprévu.

Une fois sur le pont, ils descendirent les degrés d’un petit escalier abrupt, d’une échelle plutôt, qui était accrochée à une trappe, laquelle trappe se referma sur eux.

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