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Cette mise en liberté, c’était l’aveu de la défaite. Et, en ne luttant plus, Lupin la proclamait sans restriction.

Un événement, d’ailleurs, la rendit encore plus éclatante : ce furent les fiançailles de Louis Valméras et de Mlle de Saint-Véran. Dans l’intimité que créaient entre eux les conditions actuelles de leur existence, les deux jeunes gens s’éprirent l’un de l’autre. Valméras aima le charme mélancolique de Raymonde, et celle-ci, blessée par la vie, avide de protection, subit la force et l’énergie de celui qui avait contribué si vaillamment à son salut.

On attendit le jour du mariage avec une certaine anxiété. Lupin ne chercherait-il pas à reprendre l’offensive ? Accepterait-il de bonne grâce la perte irrémédiable de la femme qu’il aimait ? Deux ou trois fois on vit rôder autour de la villa des individus à mine suspecte, et Valméras eut même à se défendre, un soir, contre un soi-disant ivrogne qui tira sur lui un coup de pistolet, et traversa son chapeau d’une balle. Mais somme toute, la cérémonie s’accomplit au jour et à l’heure fixés, et Raymonde de Saint-Véran devint Mme Louis Valméras.

C’était comme si le destin lui-même eût pris parti pour Beautrelet et contresigné le bulletin de victoire. La foule le sentit si bien que ce fut à ce moment que jaillit, parmi ses admirateurs, l’idée d’un grand banquet où l’on célébrerait son triomphe et l’écrasement de Lupin. Idée merveilleuse et qui suscita l’enthousiasme. En quinze jours, trois cents adhésions furent réunies. On lança des invitations aux lycées de Paris, à raison de deux élèves par classe de rhétorique. La presse entonna des hymnes. Et le banquet fut ce qu’il ne pouvait manquer d’être, une apothéose.

Mais une apothéose charmante et simple, parce que Beautrelet en était le héros. Sa présence suffit à remettre les choses au point. Il se montra modeste comme à l’ordinaire, un peu surpris des bravos excessifs, un peu gêné des éloges hyperboliques où l’on affirmait sa supériorité sur les plus illustres policiers… un peu gêné, mais aussi très ému. Il le dit en quelques paroles qui plurent à tous et avec le trouble d’un enfant qui rougit d’être regardé. Il dit sa joie, il dit sa fierté. Et vraiment, si raisonnable, si maître de lui qu’il fût, il connut là des minutes d’ivresse inoubliables. Il souriait à ses amis, à ses camarades de Janson, à Valméras, venu spécialement pour l’applaudir, à M. de Gesvres, à son père.

Or, comme il finissait de parler et qu’il tenait encore son verre en main, un bruit de voix se fit entendre à l’extrémité de la salle, et l’on vit quelqu’un qui gesticulait en agitant un journal. On rétablit le silence, l’importun se rassit, mais un frémissement de curiosité se propageait tout autour de la table, le journal passait de main en main, et chaque fois qu’un des convives jetait les yeux sur la page offerte, c’étaient des exclamations.

– Lisez ! lisez ! criait-on du côté opposé.

À la table d’honneur on se leva. Le père Beautrelet alla prendre le journal et le tendit à son fils.

– Lisez ! lisez ! cria-t-on plus fort.

Et d’autres proféraient :

– Écoutez donc ! il va lire… écoutez !

Beautrelet, debout, face au public, cherchait des yeux, dans le journal du soir que son père lui avait donné, l’article qui suscitait un tel vacarme, et soudain, ayant aperçu un titre souligné au crayon bleu, il leva la main pour réclamer le silence, et il lut d’une voix que l’émotion altérait de plus en plus ces révélations stupéfiantes qui réduisaient à néant tous ses efforts, bouleversaient ses idées sur l’Aiguille creuse et marquaient la vanité de sa lutte contre Arsène Lupin :

« Lettre ouverte de M. Massiban, de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

« Monsieur le Directeur,

« Le 17 mars 1679 – je dis bien 1679, c’est-à-dire sous Louis XIV – un tout petit livre fut publié à Paris avec ce titre :

LE MYSTÈRE DE L’AIGUILLE CREUSE

Toute la vérité dénoncée pour la première fois. Cent exemplaires imprimés par moi-même et pour l’instruction de la Cour

« À neuf heures du matin, ce jour du 17 mars, l’auteur, un très jeune homme, bien vêtu, dont on ignore le nom, se mit à déposer ce livre chez les principaux personnages de la Cour. À dix heures, alors qu’il avait accompli quatre de ces démarches, il était arrêté par un capitaine des gardes, lequel l’amenait dans le cabinet du roi et repartait aussitôt à la recherche des quatre exemplaires distribués. Quand les cent exemplaires furent réunis, comptés, feuilletés avec soin et vérifiés, le roi les jeta lui-même au feu, sauf un qu’il conserva par-devers lui. Puis il chargea le capitaine des gardes de conduire l’auteur du livre à M. de Saint-Mars, lequel Saint-Mars enferma son prisonnier d’abord à Pignerol, puis dans la forteresse de l’île Sainte-Marguerite. Cet homme n’était autre évidemment que le fameux homme au Masque de fer.

« Jamais la vérité n’eût été connue, ou du moins une partie de la vérité, si le capitaine des gardes qui avait assisté à l’entrevue, profitant d’un moment où le roi s’était détourné, n’avait eu la tentation de retirer de la cheminée, avant que le feu ne l’atteignît, un autre des exemplaires. Six mois après, ce capitaine fut ramassé sur la grand-route de Gaillon à Mantes. Ses assassins l’avaient dépouillé de tous ses vêtements, oubliant toutefois dans sa poche droite un bijou que l’on y découvrit par la suite, un diamant de la plus belle eau, d’une valeur considérable.

« Dans ses papiers, on retrouva une note manuscrite. Il n’y parlait point du livre arraché aux flammes, mais il donnait un résumé des premiers chapitres. Il s’agissait d’un secret qui fut connu des rois d’Angleterre, perdu par eux au moment où la couronne du pauvre fou Henri VI passa sur la tête du duc d’York, dévoilé au roi de France Charles VII par Jeanne d’Arc, et qui, devenu secret d’État, fut transmis de souverain en souverain par une lettre chaque fois recachetée, que l’on trouvait au lit de mort du défunt avec cette mention : « Pour le roy de France. » Ce secret concernait l’existence et déterminait l’emplacement d’un trésor formidable, possédé par les rois, et qui s’accroissait de siècle en siècle.

« Mais cent quatorze ans plus tard, Louis XVI, prisonnier au Temple, prit à part l’un des officiers qui étaient chargés de surveiller la famille royale et lui dit :

« – Monsieur, vous n’aviez pas, sous mon aïeul, le grand roi, un ancêtre qui servait comme capitaine des gardes ?

« – Oui, sire.

« – Eh bien, seriez-vous homme… seriez-vous homme…

« Il hésita. L’officier acheva la phrase.

« – À ne pas vous trahir ? Oh ! sire…

« – Alors, écoutez-moi.

« Le roi tira de sa poche un petit livre dont il arracha l’une des dernières pages. Mais, se ravisant :

« – Non, il vaut mieux que je copie…

« Il prit une grande feuille de papier qu’il déchira de façon à ne garder qu’un petit espace rectangulaire sur lequel il copia cinq lignes de points, de lignes et de chiffres que portait la page imprimée. Puis ayant brûlé celle-ci, il plia en quatre la feuille manuscrite, la cacheta de cire rouge et la donna.

« Monsieur, après ma mort, vous remettrez cela à la reine, et vous lui direz : « De la part du roi, Madame… pour votre Majesté et pour son fils… » Si elle ne comprend pas…

« – Si elle ne comprend pas ?…

« – Vous ajouterez « Il s’agit du secret de l’Aiguille. » La reine comprendra.

« Ayant parlé, il jeta le livre parmi les braises qui rougissaient dans l’âtre.

« Le 21 janvier, il montait sur l’échafaud.

« Il fallut deux mois à l’officier, par suite du transfert de la reine à la Conciergerie, pour accomplir la mission dont il était chargé. Enfin, à force d’intrigues sournoises, il réussit un jour à se trouver en présence de Marie-Antoinette. Il lui dit de manière qu’elle pût tout juste entendre :

« – De la part du feu roi, Madame, pour Votre Majesté et son fils.

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