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– Mais qui ? qui a pu pénétrer chez moi ?

– Je ne sais, mais mon père est tombé dans le piège. On lui a dit, et il a cru, que j’étais aux environs et que je demandais à le voir et que je lui donnais rendez-vous à l’auberge du Lion d’Or.

– Mais c’est de la folie, tout ça ? Comment pouvez-vous affirmer ?

– Très simplement. On a imité mon écriture derrière le carton, et on a précisé le rendez-vous… Route de Valognes, 3 km 400, auberge du Lion. Mon père est venu, et on s’est emparé de lui, voilà tout.

– Soit, murmura Froberval abasourdi, soit… j’admets… les choses se sont passées ainsi… mais tout cela n’explique pas comment il a pu sortir pendant la nuit.

– Il est sorti, en plein jour, quitte à attendre la nuit pour aller au rendez-vous.

– Mais, nom d’un chien, puisqu’il n’a pas quitté sa chambre de toute la journée d’avant-hier !

– Il y aurait un moyen de s’en assurer ; courez au port, Froberval, et cherchez l’un des hommes qui étaient de garde dans l’après-midi d’avant hier… Seulement, dépêchez-vous si vous voulez me retrouver ici.

– Vous partez donc ?

– Oui, je reprends le train.

– Comment !… Mais vous ne savez pas… Votre enquête…

– Mon enquête est terminée. Je sais à peu près tout ce que je voulais savoir. Dans une heure, j’aurai quitté Cherbourg.

Froberval s’était levé. Il regarda Beautrelet, d’un air absolument ahuri, hésita un moment, puis saisit sa casquette.

– Tu viens, Charlotte ?

– Non, dit Beautrelet, j’aurais encore besoin de quelques renseignements. Laissez-la moi. Et puis nous bavarderons. Je l’ai connue toute petite.

Froberval s’en alla. Beautrelet et la petite fille restèrent seuls dans la salle de l’estaminet. Des minutes s’écoulèrent, un garçon entra, emporta des tasses et disparut.

Les yeux du jeune homme et de l’enfant se rencontrèrent, et avec beaucoup de douceur, Beautrelet mit sa main sur la main de la fillette. Elle le regarda deux ou trois secondes, éperdue, comme suffoquée. Puis, se couvrant brusquement la tête entre ses bras repliés, elle éclata en sanglots.

Il la laissa pleurer et, au bout d’un instant, lui dit :

– C’est toi qui as tout fait, n’est-ce pas, c’est toi qui as servi d’intermédiaire ? C’est toi qui as porté la photographie ? Tu l’avoues, n’est-ce pas ? Et quand tu disais que mon père était dans sa chambre avant-hier, tu savais bien que non, n’est-ce pas, puisque c’est toi qui l’avais aidé à sortir…

Elle ne répondait pas. Il lui dit :

– Pourquoi as-tu fait cela ? On t’a offert de l’argent, sans doute… de quoi t’acheter des rubans… une robe…

Il décroisa les bras de Charlotte et lui releva la tête. Il aperçut un pauvre visage sillonné de larmes, un visage gracieux, inquiétant et mobile de ces fillettes qui sont destinées à toutes les tentations, à toutes les défaillances.

– Allons, reprit Beautrelet, c’est fini, n’en parlons plus… Je ne te demande même pas comment ça s’est passé. Seulement tu vas me dire tout ce qui peut m’être utile !… As-tu surpris quelque chose… un mot de ces gens-là ? Comment s’est effectué l’enlèvement ?

Elle répondit aussitôt :

– En auto… je les ai entendus qui en parlaient.

– Et quelle route ont-ils suivie ?

– Ah ! ça, je ne sais pas.

– Ils n’ont échangé devant toi aucune parole qui puisse nous aider ?

– Aucune… Il y en a un cependant qui a dit : « Y aura pas de temps à perdre… c’est demain matin à huit heures, que le patron doit nous téléphoner là-bas… »

– Où, là-bas ?… rappelle-toi… c’était un nom de ville, n’est-ce pas ?

– Oui… un nom… comme château…

– Châteaubriant ?… Château-Thierry ?

– Non… non…

– Châteauroux ?

– C’est ça… Châteauroux…

Beautrelet n’avait pas attendu qu’elle eût prononcé la dernière syllabe. Il était debout déjà, et sans se soucier de Froberval, sans plus s’occuper de la petite, tandis qu’elle le regardait avec stupéfaction, il ouvrait la porte et courait vers la gare.

– Châteauroux… Madame… un billet pour Châteauroux…

– Par Le Mans et Tours ? demanda la buraliste.

– Evidemment… le plus court… J’arriverai pour déjeuner ?

– Ah non…

– Pour dîner ? Pour coucher ?…

– Ah non, pour ça il faudrait passer par Paris… L’express de Paris est à huit heures… Il est trop tard.

Il n’était pas trop tard. Beautrelet put encore l’attraper.

– Allons, dit Beautrelet, en se frottant les mains, je n’ai passé qu’une heure à Cherbourg, mais elle fut bien employée.

Pas un instant, il n’eut l’idée d’accuser Charlotte de mensonge. Faibles, désemparées, capables des pires trahisons, ces petites natures obéissent également à des élans de sincérité, et Beautrelet avait vu, dans ses yeux effrayés, la honte du mal qu’elle avait fait, et la joie de le réparer en partie. Il ne doutait donc point que Châteauroux fût cette autre ville à laquelle Lupin avait fait allusion, et où ses complices devaient lui téléphoner.

Dès son arrivée à Paris, Beautrelet prit toutes les précautions nécessaires pour n’être pas suivi. Il sentait que l’heure était grave. Il marchait sur la bonne route qui le conduisait vers son père ; une imprudence pouvait tout gâter.

Il entra chez un de ses camarades de lycée et en sortit, une heure après, méconnaissable. C’était un Anglais d’une trentaine d’années, habillé d’un complet marron à grands carreaux, culotte courte, bas de laine, casquette de voyage, la figure colorée et un petit collier de barbe rousse.

Il enfourcha une bicyclette à laquelle était accroché tout un attirail de peintre et fila vers la gare d’Austerlitz.

Le soir, il couchait à Issoudun. Le lendemain, dès l’aube, il sautait en machine. À sept heures, il se présentait au bureau de poste de Châteauroux et demandait la communication avec Paris. Obligé d’attendre, il liait conversation avec l’employé et apprenait que l’avant-veille, à pareille heure, un individu, en costume d’automobiliste, avait également demandé la communication avec Paris.

La preuve était faite. Il n’attendit pas davantage.

L’après-midi, il savait, par des témoignages irrécusables, qu’une limousine, suivant la route de Tours, avait traversé le bourg de Buzançais, puis la ville de Châteauroux et s’était arrêtée au-delà de la ville, sur la lisière de la forêt. Vers dix heures, un cabriolet, conduit par un individu, avait stationné auprès de la limousine, puis s’était éloigné vers le sud par la vallée de la Bouzanne. À ce moment, une autre personne se trouvait aux côtés du conducteur. Quant à l’automobile, prenant le chemin opposé, elle s’était dirigée vers le nord, vers Issoudun.

Isidore découvrit aisément le propriétaire du cabriolet. Mais ce propriétaire ne put rien dire. Il avait loué sa voiture et son cheval à un individu qui les avait ramenés lui-même le lendemain.

Enfin, le soir même, Isidore constatait que l’automobile n’avait fait que traverser Issoudun, continuant sa route vers Orléans, c’est-à-dire vers Paris.

De tout cela, il résultait, de la façon la plus absolue, que le père Beautrelet se trouvait aux environs. Sinon, comment admettre que des gens fissent près de cinq cents kilomètres à travers la France pour venir téléphoner à Châteauroux et remonter ensuite, à angle aigu, sur le chemin de Paris ? Cette formidable randonnée avait un but précis : transporter le père Beautrelet à l’endroit qui lui était assigné. « Et cet endroit est à portée de ma main, se disait Isidore en frissonnant d’espoir. À dix lieues, à quinze lieues d’ici, mon père attend que je le secoure. Il est là. Il respire le même air que moi. »

Tout de suite, il se mit en campagne. Prenant une carte d’état-major, il la divisa en petits carrés qu’il visitait tour à tour, entrant dans les fermes, faisant causer les paysans, se rendant auprès des instituteurs, des maires, des curés, bavardant avec les femmes. Il lui semblait qu’il allait sans retard toucher au but et ses rêves s’amplifiant ce n’est plus son père qu’il espérait délivrer mais tous ceux que Lupin tenait captifs, Raymonde de Saint-Veran, Ganimard, Herlock Sholmès peut-être, et d’autres, beaucoup d’autres. Et en arrivant jusqu’à eux, il arriverait en même temps jusqu’au cœur même de la forteresse de Lupin, dans sa tanière, dans la retraite impénétrable où il entassait les trésors qu’il avait volés à l’univers.

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