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Elle battit des bras et se releva. L’eau lui arrivait aux genoux. Ne jamais se croire en sécurité. Quand on vous tirait dessus, il fallait courir et s’abriter.

Mais l’instructeur lui avait dit : Traverse. Le plus vite possible.

Elle repartit, le plus vite possible, pour être arrêtée par un mur. Elle le suivit. Le sol montait. Il était sec et réverbérait ses pas. Les bruits signalaient sa présence et son teint et ses cheveux clairs la rendaient facile à repérer dans le noir. Elle hésitait entre la rapidité et la discrétion, mais vitesignifiait viteet c’était un ordre de l’instructeur.

Elle courait avec souplesse. Elle se guidait dans le noir en laissant une main glisser le long de la paroi et tendait l’autre devant elle afin de ne pas percuter un nouvel obstacle.

Le passage tournait. Elle gravit une pente, redescendit, se retrouva sur une dalle de béton, toujours dans l’obscurité.

Là ! Quelque chose !L’Embusqué la saisit au même instant.

Elle lui donna un coup de coude, se contorsionna. Les doigts de l’Ennemi ne se refermèrent que sur du tissu et elle se dégagea d’une secousse. Vite, vite, le plus vite possible, le cœur battant.

Le tunnel changeait à nouveau de direction et elle heurta la paroi, bang ! Bien qu’à moitié assommée, elle se releva et repartit, toujours plus loinc

Un rectangle d’une blancheur aveuglante apparut devant elle.

Son instinct l’incita à plonger et elle se retrouva sur le sol de la petite pièce, avec un goût de sang dans la bouche, une lèvre entaillée et le nez ensanglanté.

Dans son dos, la porte claqua. L’autre s’entrebâilla, sur un homme qui n’était pas son instructeur. Il portait l’uniforme brun de l’Ennemi et tenait un pistolet.

Elle tenta de lui donner un coup de pied mais il l’Eut. Elle entendit le bourdonnement de son arme.

Pendant qu’elle se relevait, rouge de colère et de honte, le battant se referma et se rouvrit.

Sur son instructeur, cette fois.

— L’Ennemi n’est jamais loyal, lui dit-il. Allons voir comment tu t’en es tirée.

Catlin s’essuya le nez. Elle avait mal partout et se sentait toujours aussi irritée et gênée, mais elle avait traversé. Elle regrettait seulement de ne pas être arrivée à Avoir l’Ennemi, à la fin. Mais c’était un grand. Une autre chose déloyale. Et son nez saignait toujours.

L’instructeur lui donna un linge humide et lui dit de l’appliquer sur son cou, avant d’ajouter que le med examinerait son nez et sa bouche. Puis il mit en marche son scripteur et lui demanda de raconter ce qu’elle avait fait, tout en précisant que peu de six ans réussissaient à traverser le tunnel d’un bout à l’autre.

— Tu es très forte.

Et elle se sentit bien mieux, soulagée. Mais elle n’oublierait jamais l’Ennemi qui l’avait Eue à la fin. Ils vous attendaient au tournant, même quand tout était terminé. Et elle n’aimait pas du tout se faire Avoir. Elle avait même cela en horreur, car elle savait qu’une fois grand on en mourait. Elle savait ce qu’était la mort. Les six ans devaient descendre à l’abattoir, pour voir tuer un porc. C’était vite fait, et le cochon cessait d’être un cochon. Ils le hissaient en l’air et le découpaient en monceaux. C’était ça, la mort : on s’arrêtait de fonctionner et ensuite on n’était plus que de la viande. Il n’y avait pas de prochaine fois, et c’était pour ça qu’il fallait Avoir l’Ennemi le premier.

Si Catlin était très forte, l’Ennemi ne se montrait pas loyal : une révélation effrayante. Elle se mit à trembler. L’instructeur le remarqua et lui répéta que le med allait l’examiner.

— Oui, ser, fit-elle.

Le linge était tout rouge, comme les bulles qui sortaient toujours de son nez. Elle s’éloigna en le tamponnant. Ses jambes vacillaient mais elle marchait droit.

Le med lui apprit que son nez n’avait pas été cassé et qu’elle ne devait pas s’inquiéter parce qu’une de ses dents bougeait : ça s’arrangerait tout seul.

L’instructeur lui annonça qu’il l’inscrivait aux leçons de tir et précisa que son génotype ferait d’elle une des meilleures. Il ajouta qu’il s’était attendu à la voir réaliser un bon score dans la Pièce, comme tous les azis de sa série, et lui rappela qu’il était toujours possible d’améliorer les résultats d’un génotype et que c’était le but qu’elle devait se fixer ; ce que tous les azis avaient pour devoir d’essayer de surpasser. Même si elle n’avait jamais vu un seul autre AC-7892.

Elle obtint une note excellente, pour cet exercice. Elle ne pourrait cependant s’en vanter. C’était interdit. Il lui serait également impossible de parler du tunnel. L’instructeur venait de le lui préciser. Et c’était une Règle.

Une seule chose l’ennuyait : s’être laissé Avoir par le dernier Ennemi. L’instructeur lui déclara qu’elle n’aurait pu s’en tirer. Elle était trop petite et n’avait pas d’arme. Plonger dans la pièce n’avait pas été une erreur, bien qu’elle se fût trouvée sur le sol lors de l’ouverture de la porte.

— J’aurais pu passer devant lui et m’enfuir en courant.

— Pour te faire Avoir dans le dos pendant que tu courais dans le couloir ?

Elle n’y avait pas pensé et y réfléchit, longuement.

4

— Arrête la vid.

Le concierge s’exécuta. Justin était assis sur le divan du séjour, en peignoir de bain. Grant vint le rejoindre. Il portait une tenue identique et se séchait les cheveux avec une serviette de toilette.

— Quoi de neuf, ce soir ? demanda-t-il.

Justin éprouva une étrange sensation.

— C’est l’effervescence, à Novgorod. À cause d’une découverte qu’ils viennent de faire dans le système de Géhenne.

— C’est où, ça ?

C’était la première fois qu’il entendait parler de cette étoile. Il cilla s’asseoir de l’autre côté de la fosse du salon.

— Dans la zone de l’Alliance. Au-delà de Viking.

Le journaliste n’avait pas fourni d’autres précisions.

— Il y a une planète, là-bas. Habitée par des humains. Et tout laisse supposer que l’Union l’a colonisée en secret il y a une soixantaine d’années.

— Seigneur !

— L’ambassadeur de l’Alliance a déposé une protestation officielle. Le Conseil a réuni une cellule de crise. Nous avons violé le Traité. Une bonne douzaine de clauses.

— Une colonie de quelle importance ?

— Ils l’ignorent. Ils ne l’ont pas dit, tout au moins.

— Et personne n’était au courant ?Une sorte de base de la Défense, je présume ?

— Ça se pourrait. Ça se pourrait bien. Mais ce n’est plus le cas. Ce monde serait redevenu primitif.

L’azi siffla.

— Une planète habitable ?

— Ça me paraît évident. Je ne pense pas que des hommes pourraient vivre sur un bloc de roche nue. D’après le commentateur, ce serait un projet top secret datant de la période des hostilités.

Grant ne répondit rien. Il était pensif.

La guerre remontait à la génération précédente et nul ne souhaitait que tout pût recommencer, mais la menace n’avait pas disparu pour autant. Les marchands de l’Alliance ne restaient pas inactifs. En explorant le secteur opposé de l’espace, Sol avait fait une rencontrec dangereuse. Avec une espèce extraterrestre isolationniste à la culture complexe. Sur le plan politique, Sol essayait de se rapprocher de l’Union pour ne pas tomber sous la coupe de l’Alliance et dépendre des vaisseaux des marchands, sans pousser pour autant ces derniers à se prévaloir des avantages que leur accordait le Traité de Pell ou provoquer un conflit d’intérêts entre les deux blocs politiques. La situation était délicate, mais la tension avait décru.

Une génération avait cru que ces problèmes se résoudraient d’eux-mêmes.

Mais de nombreux missiles tirés un siècle plus tôt par les vaisseaux de guerre représentaient toujours un danger pour la navigation. Parfois, le passé resurgissait avec un désir de vengeance.

Et des animosités ancestrales remontaient à la surface tels des spectres, pour troubler la tranquillité d’esprit d’une espèce qui se savait à présent concurrencée dans sa colonisation de l’espace.

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