Elle remarqua que ses joues étaient humides. Elle pleurait. Elle tenta de déplacer le bras immobilisé pour s’essuyer le visage, avant d’utiliser l’autre main.
— Elle ne pouvait pas t’emmener avec elle à Lointaine. Julia et Gloria s’y trouvent, et comme ta génémère avait de nombreux ennemis tu es plus en sécurité à Reseune. Tu as des professeurs pour assurer ton éducation et des amis pour s’occuper de toic pas toujours les meilleurs, hélas ! Je ne suis pas très qualifié pour élever une petite fille, mais je me suis efforcé de faire tout mon possible et je continue dans cette voie. Si j’ai décidé de te parler de ces choses, c’est parce que tu viens de prouver que tu es assez grande pour aller te promener toute seule. Tu risques de rencontrer des gens qui te diront ce que tu ne dois pas apprendre par un inconnu. La plupart des résidents de Reseune te connaissent, et tu te poses sans doute des questionsc pourquoi tu t’appelles Emory et non Strassen, par exemple.
Elle avait horreur de passer pour une idiote, mais la conclusion s’imposait. Cela aurait dû lui sauter aux yeux, même si les enfants ne portaient pas toujours le même nom que leur mère. Elle avait supposé s’appeler comme l’homme avec qui maman avait fait son bébé.
Mais on n’arrivait à rien de bon en tentant de déduire ce que les adultes cachaient aux enfants.
Pourquoi je ne suis pas une Strassen ? avait-elle demandé à maman.
Parce que tu es une Emory et quec c’est comme ça. Prends Tommy Carnath. Sa maman se nomme Johanna Morley. Ce sont des histoires de grands.
Elle eut mal au cœur, et des sueurs froides.
— S’il te plaît, oncle Denys. Je sens que je vais vomir. Appelle Nelly.
Il le fit aussitôt. Et l’azie souleva son bras de la gouttière puis la conduisit dans la salle de bains, où elle eut des nausées. Mais elle ne put rendre, ce qu’elle jugea regrettable car elle souffrait à présent dans son corps comme dans son esprit.
Nelly lui apporta un verre d’un médicament pétillant. Il était infect, mais elle le but quand même. Ensuite, elle se sentit un peu mieux et s’adossa aux oreillers pendant que l’azie réordonnait sa chevelure.
Elle n’avait pas changé. Nelly était toujours Nelly. Si Ari estimait qu’oncle Denys avait raison de dire que sa maman restait toujours sa maman, elle ne savait plus bien qui elle était. Elle voulait le découvrir. Son oncle aurait pu lui répondre, mais elle ne souhaitait pas entendre d’autres révélations pour l’instant.
Il regagna sa chambre, vint vers elle, et caressa son épaule valide avant de lui demander :
— Comment te sens-tu ? Tu penses que ça va aller, ma chérie ?
Maman l’appelait comme ça. Oncle Denys ne l’avait encore jamais fait. Elle se mordit la lèvre, afin que la souffrance fût autant physique que morale.
— Ari ?
— Qu’est-ce qu’on aurait encore pu me dire ?
— Qu’il y avait à Reseune une femme très célèbre qui portait le même nom que toi.
Il approcha la chaise et Nelly dut reculer. Elle décida de prendre quelques objets posés sur la table de chevet et de les emporter dans la salle de bains.
— Que tu ressembles trait pour trait à la petite fille qu’elle a été. Et on la voit dans la plupart des bandes que tu devras bientôt étudier. La première Ari était intelligente, très intelligente. Plus que n’importe qui. Elle n’est pas ta maman et tu n’es pas son enfant. Vous êtes bien plus proches que cela. Nous ne savons pas encore à quel point, mais tu es exceptionnelle et je sais que Jane est très fière de toi.
Il lui caressa à nouveau l’épaule. Nelly était entre-temps revenue et repartie. Il se leva. Ari ne lui accordait plus son attention. Elle tentait de faire le point dans son esprit, mais son cerveau paraissait s’être changé en bouillie.
— Si ça peut te faire plaisir, je dirai à Florian et Catlin de passer la nuit avec toi.
Elle se demandait comment apprendre à ses azis qu’elle était idiote à ce point. Ils ne cesseraient pas de l’aimer pour autant ; ils lui appartenaient et c’était pour eux un devoir. Mais ils seraient bouleversésc pour la simple raison qu’elle l’était. Elle s’essuya le visage du dos de sa main valide et tenta d’interrompre ses reniflements.
— Ari ?
— Nelly le sait ?
— Oui. Elle n’a pas tout compris, mais elle est au courant. Elle la toujours su.
Ce qui la mit en rage.
— Elle appartenait à ta maman, Ari. Jane lui a confié un très lourd fardeau à porter, lorsqu’elle lui a fait ces révélations et ordonné de garder le secret. Nelly est loyale à ta maman. Elle ne pouvait lui désobéir.
— Et Ollie, il le savait lui aussi ?
— Naturellement. Veux-tu que Florian et Catlin passent la nuit dans ta chambre ? Ils pourront installer des matelas dans un coin. Ils ont l’habitude de dormir à la dure.
— Et eux, ils savent ?
— Non, ils sont à toi. Seuls les azis de Jane ont su la vérité.
Elle en fut soulagée. Ils n’avaient pu ricaner dans son dos.
— Et Amy Carnath ?
Oncle Denys se renfrogna et réfléchit un moment.
— Pourquoi me le demandes-tu ?
— Parce que !
— Jane ma chargé d’assurer ton éducation, Ari, et nous sommes convenus que je ne répondrais pas à toutes tes questions. Il est parfois nécessaire de trouver seul les réponses. Je respecterai l’engagement que j’ai pris envers ta maman, même si cela te déplaît. Tu es très éveillée et tu dois arriver sans aide à certaines conclusions, comme l’aurait fait la première Aric et j’ajouterais que c’est un sujet qui ne peut intéresser que toi. Mais rappelle-toi ceci : quelle que soit la questionc elle révèle toujours de nombreuses choses sur celui qui la pose. Garde cela à l’esprit, Ari.
Il referma la porte.
Elle réfléchit à ses paroles. Elle ignorait s’il obéissait aux instructions de maman. Il était difficile de savoir s’il ne mentait pas.
Sur ce que lui avait dit maman.
Ou ce qu’elle était.
Florian et Catlin revinrent peu après, sans faire de bruit.
— Ser Denys nous a informés que vous aviez des instructions à nous donner, dit Catlin.
Ari veilla à conserver une expression neutre, afin de leur dissimuler ce qu’elle éprouvait. Ses cils étaient humides et son nez devait être tout rouge, mais elle avait besoin de leur présence.
— J’ai des révélations à vous faire. Asseyez-vous sur le lit. Je viens d’obtenir des réponses à certaines questions.
Ils prirent place au bord du lit, un de chaque côté, en prenant garde de ne pas la secouer.
— Oncle Denys dit que je ne viens pas du généset de maman mais d’une de ses amies, dont je suis la DP. Maman a une fille et une petite-fille dont elle ne m’a jamais parlé, et Nelly et Ollie le savaient depuis le début. C’est tout ce qu’il m’a appris, parce qu’il veut que je trouve le reste toute seule.
Elle leur fit signe d’approcher mais ne put utiliser sa main droite. Ce fut donc Florian qui se leva et contourna le lit, pour venir se pencher vers sa bouche.
— Il se peut qu’oncle Denys ait voulu me Travailler. Je ne sais pas. Et je me demande pourquoi il ferait une chose pareille, bien que Giraud soit son frère. Passe à Catlin.
Il le fit et les sourcils de l’azie s’incurvèrent. Elle hocha la tête, l’air pensif. Ari se demanda si elle ne se conduisait pas de façon ridicule. Dans quelle mesure devait-elle croire les déclarations d’oncle Denys, quels éléments de son récit étaient plausibles ?
Florian et Catlin se chargeraient d’obtenir des confirmations ; c’était leur spécialité.
Ces explications permettaient d’élucider des mystères, mais pas tous. Il subsistait des Anomalies :
Les Disparitions, par exemple, et les manigances de Giraud.
Pourquoi maman ne lui avait-elle pas laissé une lettre ? Où était-elle, si elle lavait écrite ?
La liste des questions s’allongeait.
Il était Anormal qu’ils ne lui aient pas dit plus tôt la vérité.
Il était Anormal que maman lui eût menti et dit que son papa s’appelait James Carnath ; ce qui n’expliquait même pas d’où venait son nom d’Emory.