Lebruit qu’il avait perçu précédemment seprécisait plus net, plus fort.
Laporte du cabinet par laquelle Juve précédemment étaitentré grinça lentement sur ses gonds ; puis,quelqu’un tourna le commutateur et le cabinet du notaires’illumina.
Juve,par les interstices de la malle d’osier dans laquelle il secachait, avait aperçu le nouvel arrivant, et, malgrélui, il ne put réprimer un mouvement de dépit.
— Cen’est que lui !… fit-il.
Et,en prononçant ces paroles, lui signifiait pour Juve n’importequi, excepté Fantômas ! En fait, c’étaitle notaire lui-même qui rentrait dans son cabinet, c’étaitGauvin…
Lejeune homme ne paraissait pas autrement étonné dudésordre qui régnait dans son bureau.
Juvel’observa.
Gauvinavait l’air soucieux, préoccupé, farouche.
— Satête ne me revient pas ! pensa Juve.
Lepolicier, en effet, se méfiait du jeune notaire, auquel ilavait trouvé, à maintes reprises, des attitudes bienbizarres.
Gauvinvint s’asseoir devant son bureau, puis sortit son portefeuilleet examina longuement une sorte de petit carnet multicolore qu’ily avait enfermé.
Del’endroit où il se trouvait, Juve pouvait lire lesprincipales inscriptions de ce carnet.
Et,au fur et à mesure que Gauvin tournait les pages, Juve serendait compte de la nature du document.
C’étaitun billet de chemin de fer, mais non point un billet ordinaire ;c’était un de ces carnets spéciaux comme on en apour les voyages circulaires, ou alors les lointains trajets.
Juvelisait :
Paris-Bruxelles,Bruxelles-Anvers, Anvers-Londres, Londres-Liverpool, Liverpool-Rio deJaneiro.
— Qu’est-ceque cela signifie ? se demandait le policier. Est-ce que Gauvin,par hasard, aurait l’intention…
Ilprêta l’oreille ; le jeune notaire, qui venait des’emparer d’un indicateur et qui le feuilletaitfiévreusement, monologuait à mi-voix :
— Demainmatin, je serai à Paris, demain soir à Londres enpassant par Anvers ; lundi dans la nuit, je serai à borddu navire qui m’emmène au Brésil, et bientranquille… L’étude ferme le dimanche, on nes’apercevra de mon départ que lundi matin… de mondépart… soulignait Gauvin avec un petit ricanement quisurprenait Juve au plus haut point.
— Ahça ! se demandait le policier, que médite donc cesuspect tabellion ?
Lescirconstances devaient servir Juve et le renseigner pleinement.
Gauvins’était renversé dans son fauteuil et, désormais,il relisait une lettre écrite de sa main ; il la relisaità haute voix, soulignant la ponctuation.
Or,elle était ainsi conçue :
Monsieurle procureur général,
Àl’heure où vous recevrez cette lettre, lesoussigné Gauvin, notaire à Grenoble,aura cessé d’exister.
Necherchez pas mon corps ; la mort que j’ai décidéde me donner aura pour conséquence sa disparition.
Sije mets un terme à mon existence, c’est parce que jeviens d’être victime d’un vol affreux, quinon seulement me ruine, mais encore ruine mes chers clients.
Jene puis survivre à ce coup terrible du sort, et je préfèredisparaître de ce monde. Qu’on excuse cet acte dedésespoir, qui m’est inspiré par lescirconstances !
— Oh !oh ! pensa Juve, je m’étais toujours dit que cepetit Gauvin était une fameuse fripouille ; je commence àcroire que je ne me suis point trompé !… Qu’est-ceque signifie cette comédie ?
Gauvin,cependant, très satisfait des termes de sa lettre, ricanaitjoyeusement :
— Pasmal ! pas mal ! monologuait-il. Lorsqu’on trouveracette lettre, que l’on verra le désordre qui règnedans l’étude, et surtout que l’on s’apercevraqu’il n’y a plus un sou en caisse, que tous les titres endépôt ont disparu, nul ne s’avisera de songer quele véritable voleur est celui qui prétend s’êtredonné la mort pour ne point survivre au déshonneur !
— Trèsbien ! ponctuait Juve, de mieux en mieux ! Gauvin, mon ami,j’ai comme une vague idée que ce soir, au lieu de roulerdans la direction de Paris, tu vas faire connaissance avec lescachots de la prison de Grenoble !
Gauvin,cependant, se levait.
Brusquement,il marcha vers la malle dans laquelle était Juve.
— Oh !oh ! pensa le policier, cela va se gâter !
Désormais,Gauvin était trop près de lui pour que Juve put voir cequ’il faisait. Il ne s’en rendit pas bien compte,d’ailleurs. Il entendait comme le bruissement de quelque choseglissant sur le long de la malle à l’extérieur,puis un claquement sec.
Gauvin,d’ailleurs, s’éloignait, revenait auprès deson bureau et se penchait vers le tiroir dans lequel, quelquesinstants auparavant, Juve avait pris le papier appartenant àMme Rambert.
Uncri de rage retentit…
Gauvinvenait de voir, au milieu du tiroir, l’enveloppe déchiréequi avait contenu les titres de sa cliente.
Ileut d’abord un recul de stupeur.
— Nomde Dieu de nom de Dieu ! jura-t-il ensuite, c’est moi quisuis volé !
Et,dès lors, il se laissait tomber dans un fauteuil ; ilhaletait.
Toutefoisréagissant contre l’émotion, Gauvin bondissait ànouveau hors du siège dans lequel il s’étaitlaissé choir. Il s’agenouillait devant le tiroir, il levidait avec une hâte fébrile.
— C’estpas possible !… grognait-il, je me trompe… je suisfou…
Hélas,Gauvin devait reconnaître que les titres dont il voulaits’emparer avaient déjà trouvé preneur.
Gauvindevint très pâle.
Ilse releva, croisa les bras, réfléchit un instant.
— Aprèstout, articula-t-il d’une voix sèche, je n’ai plusqu’une chose à faire, porter plainte, puisque je suisréellement volé, il va falloir qu’on trouve levoleur !
Ilsemblait que le visage du notaire s’éclaircissaitsoudain.
Ils’était demandé un instant à qui ilfallait s’adresser, une idée germait dans son cerveau.
— Parbleu !articulait-il presque joyeux, je sais comme tout Grenoble que Juveest au Modem Hôtel, qu’est-ce que j’attends pouraller le prévenir ?
Malgrétout Juve avait envie de rire au fond de sa malle.
— Allons,fit-il, c’est le moment ou jamais d’intervenir… etpuisque Gauvin a besoin de moi…
Lepolicier faisait un mouvement brusque, convaincu qu’il n’avaitqu’à se dresser pour soulever le couvercle de la malle,mais, à sa grande surprise, celui-ci résista.
L’osiercependant avait craqué, et Gauvin bondissait en arrièreterrifié.
Sonvisage devint livide.
— Ahnom de Dieu ! balbutia-t-il.
Puis,avant que Juve ait le temps de dire un mot, le notaire épouvantébondissait jusqu’à la porte de son cabinet, et Juvel’entendait fermer la serrure à double tour. Lepolicier, de nouveau, était seul dans la pièce, seulaussi au fond de la malle qu’en vain il cherchait àouvrir, sans comprendre pourquoi le couvercle résistait.
Et,tout d’un coup, Juve se souvint que quelques instantsauparavant Gauvin s’était approché de sacachette. Juve avait entendu un léger bruissement, suivi d’unclaquement sec, et tout d’un coup le policier comprit.
— Imbécileque je suis ! grommela-t-il, j’avais bien retiré laclé de la serrure pour qu’on ne ferme point la malledans laquelle je me trouve, mais j’avais oublié lescourroies et ce sont les courroies qu’a dû mettre Gauvintout à l’heure… oh, bougre de bougre ! Mevoilà désormais dans la plus ridicule des situations !…
ChapitreXXII
Enfinréunis !
Courantà perdre haleine, le jeune notaire Gauvin fonçait dansla nuit noire…
Lesbureaux de l’étude qu’il possédait àGrenoble se trouvaient dans une maison isolée, au milieu d’unjardin, fort spacieuse, fort agréable à habiter, maisqui présentait l’inconvénient d’êtrequelque peu éloignée de la ville.