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— Vousn’avez pas dit, madame, pour le policier Juve, ce que vous medites actuellement ?

Lamystérieuse personne avec laquelle Juve s’entretenaitrétorquait alors nettement :

— Ehbien, monsieur, j’aime autant vous l’avouer. LorsqueM. Juve daignera venir me questionner, je lui dirai bien deschoses qui le surprendront et qui lui rendront même service !

Mme Verdons’exprimait sur le ton de la conversation ordinaire, mais sonapparence démentait le ton de ses propos.

Enréalité, elle avait l’air fort troublée.

Sitroublée même, qu’à un moment donné,Juve, qui était fort étonné par ces paroles eutl’idée de lui déclarer :

— Madame,inutile d’attendre plus longtemps la visite de M. Juve,c’est lui qui se trouve devant vous.

Lepolicier savait par expérience que parfois, en brusquant leschoses, on réussit un peu mieux à avoir desrenseignements, voire même des aveux, qui ne se produiraientpas dans d’autres circonstances, notamment si la personneinterrogée avait le temps de se ressaisir.

Juve,pourtant, avait bien l’impression que si cette femme en face delaquelle il se trouvait avait quelque chose de mystérieux dansson existence, ce n’était certainement pas unecriminelle coupable.

D’instinct,Juve devinait qu’il s’agissait plutôt làd’une malheureuse et d’une misérable.

Pourquoitous ces raisonnements lui venaient-ils à l’esprit ?

PourquoiJuve se demandait-il si Mme Verdon était unecoupable ou une victime ?

Etpourquoi n’admettait-il pas tout simplement qu’ellen’était ni l’une ni l’autre, se contentantde vivre sa vie de vieille dame, bourgeoise et célibataire,retirée dans sa petite propriété à lacampagne ?

Juve,cependant, ne pouvait admettre que tel fut le cas de Mme Verdon.

— Madame,commença-t-il, puisque vous désirez voir l’inspecteurJuve, je vais immédiatement…

Maisil était soudain interrompu par son interlocutrice elle-même.

Mme Verdonqui, jusqu’alors était restée à demiétendue sur sa chaise longue, se souleva, dans un gestebrusque et spontané.

Ellevenait de prêter l’oreille ; Juve fit comme elle. Onentendit au lointain le roulement sourd d’une voiture et letrot sec des chevaux dont les colliers portaient des grelots.

Mme Verdondevint toute pâle.

— Jevous en prie, monsieur, fit-elle, cessons pour le moment notreentretien. Quelqu’un que j’attends arrive, il sera icidans ma chambre avant cinq minutes. Je suis toute prête àdire ce qu’il vous plaira à M. Juve, mais pas en cemoment, pas en présence de la personne qui vient. Voulez-vousme promettre que vous allez vous retirer immédiatement ?Je vous en serai infiniment reconnaissante !

Juvefronça le sourcil.

Cesatermoiements, ces hésitations, tous ces mystères,commençaient à l’agacer singulièrement et,pour un peu, le policier se serait fait connaître en deux mots,aurait attendu l’arrivée, de la personne annoncéepar Mme Verdon et il l’aurait brusquementinterrogée aussi. Mais Juve savait par expérience que,si dans certains cas la brusquerie peut être utile, dansd’autres il est préférable de procéderavec lenteur et délicatesse.

Ausurplus, Juve se sentait sur un terrain dangereux, et ne voulaits’avancer qu’avec précautions.

— Soit,madame, déclara-t-il, je me retire !

Mme Verdonle conduisait jusqu’à un petit escalier de service, dontl’accès était dissimulé dans un couloir àcôté de la salle de bain.

Juvecommença à descendre, lorsqu’il s’arrêta :

— Unmot, madame, un mot seulement.

— Parlez,monsieur ? fit Mme Verdon, qui dissimulait àgrand’peine son impatience anxieuse.

— Lenom de la personne que vous attendez ? demanda Juve.

Lamystérieuse vieille dame se prit à sourire.

— Leprofesseur Marcus, monsieur, dit-elle, mon nouveau locataire. C’estun savant, un géologue, vous comprendrez aisément queje ne veux point qu’il soupçonne les affreuses histoiresauxquelles je suis involontairement mêlée pour lemoment.

Juven’insistait pas ; il descendit le petit escalier qui leconduisait au rez-de-chaussée de la maison, et cela au momentprécis où, devant la porte principale, à lagrille du jardin, s’arrêtait la voiture à deuxchevaux dont on avait entendu le roulement quelques instantsauparavant.

Unhomme en descendait, sautant à terre avec une légèretéqui aurait pu paraître extraordinaire à quiconquel’aurait observé, à quiconque surtout se seraitrendu compte de son âge.

Lepersonnage, en effet, le professeur Marcus, pouvait avoir dépassésoixante ou soixante-dix ans, tant était longue et blanche sabarbe, tant était voûté son dos.

Ilsemblait que le professeur Marcus quittait cette attitude de jeunehomme leste et robuste sitôt descendu de voiture.

Dèslors, marchant à petits pas, il gagnait le vestibule enfamilier de la maison, sans se faire annoncer par les domestiques, ilmontait au premier étage, traversait le salon.

Puis,lentement, il gagnait la chambre où, quelques instantsauparavant, Juve s’était trouvé en tête àtête avec Mme Verdon.

Celle-ci,précisément, venait de rentrer dans la pièce,elle avait tiré derrière elle le verrou qui permettaitde communiquer avec le petit escalier par lequel elle avait faitdisparaître Juve, sans se douter de l’identité dupersonnage qu’elle conduisait.

Et,dès lors, s’avançant avec un sourire aimable,elle tendit la main au professeur Marcus, celui-ci y déposa untendre et respectueux baiser.

— Ça,par exemple, c’est extraordinaire ! Mais c’estexcellent aussi !

Dansune petite baraque sur les bords de l’Isère, àcent mètres environ de la propriété deMme Verdon, un homme venait de s’introduire parle plus grand des hasards.

Cethomme, c’était Juve.

Lepolicier, au sortir de la demeure, avait été appréhendépar un domestique qui le menait poliment, mais rapidement jusqu’àla grille du jardin.

Celui-ciétait entouré de haies épaisses et fournies,derrière lesquelles on pouvait se dissimuler aisément.

Juves’était dit :

— Ensomme, cette excellente dame me fourre à la porte, et, sousprétexte de ne rien vouloir dire qu’à Juve, elleen profite pour refuser de renseigner la police. Oh ! oh !tout ceci est assez mystérieux. Puisque j’ai commencéà employer la manière douce, continuons àprocéder de même ; ne nous faisons connaîtreque le plus tard possible !

» Toutd’abord, étudions les dispositions de la place qu’ils’agit d’assiéger.

Juve,alors longeant l’épaisse haie qui bordait le jardin,parvenait par un étroit sentier jusqu’au bord del’Isère.

Ilapercevait, émergeant de la berge, la toiture noire et pointued’une petite cabane, haute d’un mètre cinquanteenviron, qui devait recouvrir évidemment quelque vanne ouquelque prise d’eau.

Assurément,c’était là une disposition bien ordinaire, commeil s’en trouve souvent sur le bord des rivières, et lepolicier n’y aurait pas prêté la moindreattention, si un incident fortuit n’était venu l’yobliger.

Juve,en effet, qui s’avançait à une assez vive alluresur la rive toute gazonnée, était victime d’unaccident absolument ridicule.

Alorsqu’il était à proximité de cette petitecabane, son pied glissait sur une planche vermoulue, et celle-ci,placée en équilibre, basculait soudain.

Juvealors était projeté en avant, et précipitéprécisément sur la toiture de la petite baraque noirequ’il venait d’apercevoir.

Or,le policier passait au travers. Au lieu d’être fait deplanches, ce toit était en carton bitumé ; lepolicier tomba dans un trou, et, quelques instants, demeura privéde sentiment, suffoqué, haletant.

Puisil revenait à lui, et instinctivement, mettait la main àla crosse de son revolver.

Juveavait quelque courbature ; il aurait pu se briser le crânesur les pierres plates qui constituaient le fond de la petitebaraque, mais il avait évité une mort stupide, grâceà la toiture à travers laquelle il avait passé,et qui, en le retenant, avait singulièrement atténuéla brusquerie de sa chute.

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