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Hélène,pour échapper à sa prison, avait recours au procédéle plus simple et le plus certain à la fois.

Toutsimplement, la jeune femme enfonçait dans les charbons ardentsde son foyer la tige d’un tisonnier. Elle laissait la barre defer rougir, puis, quand elle était arrivée à undegré de chaleur extrême, elle s’en servait pourtracer dans l’une des parois de sa cellule, un large sillon.

Hélène,en réalité, dessinait sur le bois, du bout de sontisonnier rougi à blanc, une large entaille qui, petit àpetit, devait s’agrandir.

Certes,le travail qu’entreprenait ainsi la jeune femme devait êtrelong et difficile. Mais il n’en était pas moins vraique, forcément, il devait aboutir.

Hélène,à l’aide de son tisonnier rougi, devait, sans faire lemoindre bruit, parvenir à percer le bordage de la péniche,et, ce qui était le mieux, à détacher de sesflancs une sorte de panneau, un carré de bois, qui, arraché,lui laisserait la place suffisante pour passer, pour s’enfuir…

Lajeune femme cependant, et tandis qu’elle travaillait avecénergie à ce simple et pourtant extraordinaire moyend’évasion, n’était pas sans inquiétude.

Ellese demandait, en effet, si le panneau de bois qu’elle attaquaitse trouvait en dessus ou en dessous de la ligne de flottaison. Dansle premier cas, son entreprise réussissait ; dans lesecond, tout au contraire, par la brèche ouverte, les eauxs’engouffreraient avec fracas, et Hélène auraitdes chances de périr noyée avant qu’on ait puseulement venir à son secours.

Longtemps,la courageuse femme de Fandor travailla de la sorte à sonévasion…

Ellerencontrait dans son entreprise des difficultés quasiinsurmontables ; les parois de la péniche étaientterriblement épaisses, d’une part, elles étaienthumides, d’autre part, et le tisonnier, bien que rougi àblanc, ne brûlait chaque fois le sillon que sur l’épaisseurde quelques millimètres.

Dansces conditions, que faire ?

Hélènen’hésitait nullement. Elle s’obstinait, ellepersévérait.

— C’estune question de temps, pensait-elle, mais il faut que j’arriveà faire sauter le panneau de bois, et j’y arriverai…

L’énergiede la jeune femme devait être en effet récompensée.Il était près de trois heures du matin, et Hélènetravaillait depuis cinq heures, lorsqu’elle parvenait àses fins.

Lepanneau de bois sautait sous la poussée de son épaule,l’eau n’entrait pas… Hélène avaitréussi à percer les murs qui la retenaient prisonnière.

Allait-elledonc s’enfuir ?

Lajeune femme, tout d’abord étourdie par la réussitede sa manœuvre dont elle avait désespéréquelque temps, demeurait immobile, haletante, à côtéde la brèche qu’elle venait de se ménager.

Ilfaisait encore nuit noire… Le ciel était nuageux,aucune étoile, aucun rayon de lune ne permettait de percerl’obscurité.

Hélène,toutefois, respirait avec délices l’atmosphèrepure et glaciale qui parvenait jusqu’à elle, par lepanneau de bois arraché. Elle passa la tête dansl’ouverture, elle huma l’air, tendit le bras, nerencontra que le vide.

— Mabonne étoile est avec moi, se dit Hélène. Jen’ai pas de doute à avoir, j’ai sabordé lapéniche du côté de la pleine mer, et non du côtéde la berge, je n’ai plus, pour m’enfuir, qu’àme jeter à l’eau.

Hélène,par bonheur, avait gardé de son aventureuse enfance dans lesplaines natales, le goût des sports dans lesquels elleexcellait. C’était une nageuse intrépide, etpourtant elle frissonna en songeant qu’il importait de ne pasperdre une minute et qu’il lui fallait, sous peine d’imprudencesuprême, se jeter immédiatement à l’eau.

Hélène,toutefois, n’hésitait pas. Elle avait un dernier regardpour le salon qui lui avait tenu lieu de prison, puis elle serapprochait du sabord, elle s’apprêtait à se jeterà la mer…

Or,à l’instant même où Hélèneallait faire le geste suprême, une flamme s’illuminaitdans ses yeux.

Elleétait bien femme, en vérité, pour songer àpareille chose, dans un pareil instant. Elle était bien femme,mais elle était encore plus amoureuse. C’était lecri de son amour, la protestation de son cœur, qu’ellesongeait encore une fois à faire entendre à Fantômas !

Hélènerevint vers la table qui occupait le centre de sa prison. Elle pritune feuille de papier et un crayon et, de sa grande écriture,nette et ferme, Hélène écrivit ce court billet :

Avanttout, et par-dessus tout, avant tous et malgré tous, j’aimeJérôme Fandor. Que ce soit la guerre entre vous et mois’il vous plaît, Fantômas, mais sachez que jen’épouserai jamais un autre homme que Fandor, et que jeme considère déjà et pour toujours comme safemme.

EtHélène signa : HélèneFandor

Lebillet laissé bien en évidence sur la table, Hélène,toutefois, décidait de ne point tarder davantage. Elle serapprocha du sabord qu’elle avait pu ménager avec tantde peine. Elle se glissa par l’étroite ouverture, elles’abandonna aux eaux froides qui clapotaient le long des flancsde la péniche.

Or,à cet instant, il semblait que la nature voulut aider la jeunefemme par une complicité secrète.

Déjànoire, la nuit devenait plus noire encore… Hélène,nageant à grandes brasses, cessa vite d’apercevoirjusqu’à la silhouette du bâtiment lugubre quiavait été un instant pour elle la plus terrible desprisons. Elle cessa d’apercevoir la péniche et pour toutdire, ne vit plus rien… Elle nageait à l’aventuredroit devant elle, espérant rencontrer une épave oùs’accrocher, espérant aller vers la berge, espérantse sauver, et se disant dans le secret de son âme que si lesort devait lui être contraire elle aimait mieux s’engloutirà jamais dans les flots noirs du port qu’êtrerestée la prisonnière de Fantômas.

Il yavait bien une bonne demi-heure qu’Hélène nageaitainsi à l’aventure, et déjà ilapparaissait à la pauvre femme qu’elle étaitperdue, perdue sans espoir…

Lefroid la gagnait d’abord, et paralysait ses mouvements…ellene savaitplus ensuite où elle était… il lui étaitimpossible de s’orienter et de décider dans quel senspouvait se trouver la berge. Enfin, et cela surtout étaiteffroyable, Hélène avait le sentiment très netqu’en nageant à l’aventure, elle s’étaitengagée dans un courant rapide, un courant qui l’emportaitmalgré elle, qui la roulait dans ses flots, qui augmentait deminute en minute d’intensité, et qui, sans doute,l’entraînait vers la haute mer.

Merveilleusede sang-froid, ne se faisant aucune illusion sur ce qui seproduisait, Hélène devinait la très tristevérité.

— MonDieu, pensa-t-elle… Je suis prise par la marée…le flot baisse, je vais être entraînée hors duport, je me noierai infailliblement…

Ellevoulut, pour se reposer, faire la planche quelques instants ets’abandonner au courant. Mais des crampes la terrassaient.Alors, elle décida de lutter. Lutte-t-on, hélas !contre le flot ?

Hélèneeut beau faire appel à toute son intrépidité età toute son habileté de nageuse avertie, elle se renditcompte qu’il lui était impossible de remonter lecourant, et que ses efforts n’auraient d’autre conclusionque de hâter sa perte en l’épuisant plus vite.

— Perdue,je suis perdue… se dit-elle.

Ellenagea encore quelques instants. Tout un monde de visions se déroulaitdans son cerveau où la fièvre mettait une hantise. Ellese vit enfant, au Natal, nageant dans des torrents, dans des plainesdésertes. Brusquement, elle imagina la scène tragiqueau cours de laquelle, incarnant encore le personnage de Teddy, elleavait fait la connaissance de Fandor, de celui qu’elleconsidérait comme son mari.

PuisHélène se vit reine. La veille encore, elle ceignait lediadème. Le matin même, la reine de Hollande laremerciait de lui conserver son trône… Puis Fantômas,Démon du mal, survenait, et tout se brouillait… et touts’anéantissait…

Fandorne pouvait plus rien pour elle, et elle ne verrait plus jamaisFandor…

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