– Non… mais je peux peut-être vous offrir une… compensation.
L’œil atone du gangster se ralluma un peu.
– Quoi ?
– Un fort beau collier de rubis qui se trouve dans le coffre de l’hôtel et que j’avais apporté pour l’échanger contre la pierre achetée par Kledermann à votre ami Saroni !
– Ah, celui-là quel imbécile ! Essayer de faire cavalier seul…
– C’est exactement ce que vous faites, mon garçon, mais je vous propose de vous en tirer avec les honneurs de la guerre… et mon collier si vous m’aidez à mettre la main sur la bande. Et d’abord, qu’est-ce que les Solmanski viennent faire ici ce soir ?
– Je vous jure que je n’en ai aucune idée. Oh, c’est pas bien difficile à deviner : ils vont chercher à mettre la main sur le rubis. Surtout qu’installé comme il est au milieu d’un tas de diamants, ça devient une bonne affaire.
– C’est ridicule. Kledermann n’est pas un enfant et il doit y avoir des gardes en civil partout…
– Je vous dis ce que je pense. Dites donc, ce collier, il est intéressant ?
– Je viens de vous dire que je pensais à un échange. Il vaut au moins cent mille dollars.
– Oui, mais vous ne l’avez pas sur vous. Qu’est-ce qui me dit que je l’aurai si je vous aide ?
– Ma parole ! Jamais je n’y ai manqué, mais je suis capable de tuer quiconque en douterait. Ce que je veux savoir…
Une détonation lui coupa la parole, presque aussitôt suivie d’une tempête de cris et d’exclamations. D’abord figés, les deux hommes se regardèrent.
– C’est un coup de feu, fit Ulrich.
– Je vais voir. Restez au vestiaire, je reviendrai !
Il partit en courant mais dut faire des efforts pour fendre la foule qui se pressait devant l’un des buffets de rafraîchissements et que trois serviteurs s’efforçaient de repousser. Ce qu’il découvrit au bout de sa percée lui coupa le souffle : Dianora était couchée sur le parquet, face contre terre. Dans son dos, le sang coulait d’une blessure. Plusieurs personnes étaient penchées sur elle, dont son époux, plié en deux de douleur sur la tête de sa femme qu’il tenait entre ses mains.
– Mon Dieu ! souffla Aldo. Qui a fait ça ? Quelqu’un qu’il ne vit même pas lui répondit :
– On a tiré sur elle de l’extérieur, depuis cette fenêtre. C’est horrible !
Cependant, l’un des serveurs semblait prendre les choses en mains. Quand il eut déclaré qu’il appartenait à la police, personne ne s’y opposa. Il commença par écarter ceux qui s’étaient accroupis auprès du corps, parmi lesquels il y avait Anielka. En se relevant, la jeune femme se trouva nez à nez avec Aldo.
– Tiens ! Vous revoilà ? Où étiez-vous passé ?
– Je pourrais vous demander, à vous, ce que vous faites là ?
– Pourquoi n’y serais-je pas, puisque vous y êtes ? …
– Taisez-vous un peu, ordonna le policier. Ce n’est ni le lieu ni l’instant de se disputer. Et d’abord, qui êtes-vous ?
Aldo déclina son identité et celle de sa femme par la même occasion, mais celle-ci avait encore quelque chose à dire :
– Vous devriez demander à mon cher mari où il se trouvait pendant que l’on abattait Mme Kledermann. Comme par extraordinaire, il n’était pas dans la salle.
– Qu’est-ce que vous essayez d’insinuer ? gronda Aldo, pris d’une dévorante envie de gifler ce visage insolent.
– Je n’insinue rien. Je dis que le meurtrier, ce pourrait bien être vous. N’aviez-vous pas toutes les raisons de la tuer ? D’abord pour vous emparer du collier… ou tout au moins du gros rubis qui est dessus. Elle n’avait pas voulu vous le céder, n’est-ce pas, quand vous êtes allé la voir il y a une dizaine de jours ?
Aldo regarda la jeune furie avec stupeur. Comment diable pouvait-elle savoir ça ? À moins qu’il n’y eût, chez Kledermann, un espion à la solde de Solmanski ?
– Lorsqu’une dame m’invite à prendre le thé, il m’arrive d’accepter. Quant à vous, rappelez-vous quel nom vous portez et ne vous conduisez pas comme une fille de rien !
– Une tasse de thé ? Vraiment ? Aviez-vous l’habitude d’en boire lorsque vous étiez son amant ?
Le policier ne cherchait plus à interrompre ce couple qui se disait des choses si intéressantes mais, au dernier mot lancé par la jeune femme, Kledermann redressa la tête et, abandonnant le corps inerte aux mains d’un médecin qui se trouvait là, il s’approcha. Dans son regard sombre, le désespoir faisait place à une stupeur indignée :
– Vous étiez son amant ? Vous ? … Vous à qui…
– Je l’étais quand elle était comtesse Vendramin et c’est la guerre qui nous a séparés. Définitivement ! coupa Aldo.
– Je peux en témoigner ! s’écria Adalbert qui venait de rejoindre son ami. Vous n’avez aucun reproche à lui faire, Kledermann. Ni à lui ni à votre femme ! Seulement, madame… Morosini honore son mari de sa rancune depuis qu’il a demandé l’annulation de leur mariage. Elle dirait n’importe quoi pour lui nuire.
– On voit bien que vous êtes son ami, lança Anielka plus venimeuse que jamais. Néanmoins, vous vouliez le rubis, vous aussi. Alors, votre vertueux témoignage…
– Le rubis ? Quel rubis ? intervint le policier.
– Celui-ci, voyons ! dit le banquier en se tournant vers le corps. Mais…
Il se rejeta à genoux, glissa une main sous les cheveux de sa femme, découvrant le cou nu. Avec une infinie douceur, aidé du médecin, il retourna le corps : le collier avait disparu.
– On a tué ma femme pour la voler ! tonna-t-il au comble de la fureur. Je veux l’assassin et je veux aussi le voleur !
– Ce n’est pas difficile, siffla Anielka. Vous avez l’un et l’autre devant vous. L’un a tué et l’autre a profité du tumulte pour s’emparer du collier.
– Si c’est à moi que vous faites allusion, gronda Vidal-Pellicorne, j’étais dans le salon de jeu quand c’est arrivé. Vous étiez plus près, vous… ou votre frère ? Au fait, où est-il ?
– Je ne sais pas, il était là il y a un instant mais ma belle-sœur est très impressionnable et il a dû l’emmener dehors.
– On va vérifier tout ça, intervint à nouveau le policier. Messieurs, avec votre permission, je vais d’abord vous fouiller.
Aldo et Adalbert se laissèrent faire de la meilleure grâce du monde et, bien sûr, on ne trouva rien.
– À votre place, persifla Morosini, j’irais voir si la comtesse Solmanska va mieux et ce qu’il peut y avoir dans les poches de son époux,
– On verra ça tout à l’heure. Pour l’instant je vous ferai remarquer que vous ne m’avez pas confié où vous étiez au moment où l’on a tiré sur Mme Kledermann.
– C’est simple, inspecteur : il était avec moi. Aux yeux émerveillés d’Aldo, Lisa faisait son apparition au détour d’une colonne et s’avançait vers son père dont elle prit la main avec tendresse.
– Toi ? fit celui-ci. Je croyais que tu ne voulais pas paraître à la soirée.
– J’ai changé d’avis. Je descendais l’escalier pour vous faire plaisir et aller embrasser Dianora quand j’ai vu Aldo… je veux dire le prince Morosini, sortir de la salle dans l’intention évidente d’aller fumer une cigarette dehors. J’ai été surprise de le voir, contente aussi puisque nous sommes de vieux amis, et nous sommes sortis tous les deux.
– Vous étiez dehors et vous n’avez rien vu ? grogna le policier.
– Nous étions à l’opposé de la salle de bal. À présent, je vous en prie, inspecteur, laissez tous ces gens rentrer chez eux. Ils n’ont rien à voir dans ce meurtre et, certainement, l’assassin n’est pas parmi eux…
– Avant de les lâcher, on va leur demander s’ils n’ont rien remarqué. Voici d’ailleurs mes hommes qui arrivent, ajouta-t-il tandis qu’un groupe de policiers pénétrait dans la salle.
– Comprenez donc que mon père a besoin de ménagements, que nous voulons être seuls et qu’il serait peut-être préférable de ne pas laisser son épouse sur ce parquet poussiéreux !
Le ton était sévère. L’inspecteur baissa pavillon aussitôt :
– On va transporter Mme Kledermann chez elle et vous pourrez en prendre soin… Je m’occupe de tout le reste. Messieurs, ajouta-t-il en se tournant vers Aldo et Adalbert, je vous demanderai de rester encore un moment pour éclaircir certains détails. Vous aussi, Madame, bien entendu… mais, où est-elle ? s’écria-t-il en constatant qu’Anielka n’était plus là.