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– Un portrait de cette importance n’est pas facile à vendre mais si j’apprends qu’on le signale dans telle ou telle vacation ou même dans une collection privée, je vous le ferai savoir…

C’était le comble de l’hypocrisie mais après tout cet homme ne faisait que son travail et essayait de le faire bien !

À l’hôtel, Aldo trouva une lettre de Guy Buteau. Comme il en avait l’habitude lorsque son patron s’absentait, le fidèle fondé de pouvoir le tenait au courant des derniers développements de ses affaires. Cette fois, cependant, Guy avait ajouté quelques mots concernant l’épouse d’Aldo :

« Donna Anielka nous a quittés il y a deux jours après avoir reçu une lettre venue d’Angleterre. J’ignore si elle a l’intention de s’y rendre car elle ne nous a rien dit. Elle a envoyé Wanda retenir un sleeping sur l’Orient-Express en direction de Paris. Elle n’a pas dit non plus quand elle reviendrait. Cecina chante toute la journée… »

Cette dernière nouvelle, Aldo voulait bien la croire : Cecina faisait de gros efforts pour supporter « l’étrangère ». Elle devait être ravie d’en être débarrassée. Quant à la missive anglaise, il croyait bien deviner ce qu’elle contenait : l’instruction du procès de Roman Solmanski devait s’achever et peut-être annonçait-on à la jeune femme la date choisie pour la comparution de son père devant Old Bailey… Restait que, si elle se rendait en Angleterre, elle allait commettre une imprudence puisqu’elle y comptait plus d’ennemis que d’amis. Mais pouvait-on reprocher à une fille de vouloir se rapprocher d’un père en situation critique ? C’était tout à l’honneur de la jeune femme. Quoi qu’il en soit, à Paris où il comptait s’arrêter pour mettre Adalbert au courant de ses trouvailles, Aldo obtiendrait peut-être des nouvelles…

Le lendemain soir, il embarquait sur le Sud-Express à destination de la capitale française.

Deuxième partie LE MAGICIEN DE PRAGUE

  CHAPITRE 4 LES PAROISSIENNES DE SAINT-AUGUSTIN

Au milieu de la foule qui se pressait sur le quai n° 4 de la gare d’Austerlitz à Paris, en dépit de l’heure matinale, Morosini occupé à passer ses valises par la fenêtre à un bagagiste aperçut soudain, voguant au-dessus des têtes, une toison blonde et bouclée qui lui rappelait quelqu’un. Le doute ne subsista pas longtemps : sous la chevelure toujours un peu en désordre, il y avait bien les yeux bleus, le nez retroussé et le visage faussement angélique de son ami et complice Adalbert Vidal-Pellicorne.

Comme il ne l’avait pas prévenu de son arrivée, il pensa que l’archéologue-homme de lettres, et agent secret à ses heures, venait chercher quelque autre voyageur du Sud-Express mais, décidé à ne pas rater cette occasion de lui parler tout de suite, il se hâta de descendre et courut vers lui.

– Qu’est-ce que tu fais là ?

– Ben, je viens te chercher ! Content de te voir, vieux frère ! Tu as une mine superbe !

Et d’assener sur le dos du voyageur une claque à agenouiller un bœuf.

– Toi aussi ! Tu es sûrement l’égyptologue le mieux habillé de toute la profession, fit Morosini, sincère en admirant l’impeccable flanelle anglaise grise de son ami relevée d’une cravate d’un jaune éteint. Mais comment as-tu su mon arrivée ?

– Mme de Sommières m’a téléphoné la nouvelle hier soir.

– J’en suis content. Elle est donc bien à Paris. Sachant ses habitudes migratrices du printemps, j’ai télégraphié chez elle en pensant qu’il y aurait au moins Cyprien pour m’accueillir et me donner des nouvelles. Sinon, il y a toujours le Ritz… mais j’avoue que j’aime autant son hôtel de la rue Alfred-de-Vigny…

– Je comprends ça mais tu n’y vas pas. Tu viens chez moi et c’est pour ça que tu me trouves ici.

– Chez toi ? Pourquoi ? La maison de tante Amélie est en réfection, elle est envahie par des visiteurs, ou bien…

– Rien de tout ça ! La chère marquise serait ravie de te recevoir, tu le sais bien, mais elle pense que tu n’apprécierais peut-être pas beaucoup d’avoir ta femme comme voisine…

– Anielka est chez elle ?

– Tout de même pas ! Elle s’est installée il y a une semaine environ dans la maison d’à côté.

– Celle de son ancien mari ? Mais je croyais l’hôtel d’Eric Ferrals vendu ?

– Il a été vidé en grande partie, mais il appartient toujours à la succession. Et la succession c’est la veuve…

– Et le fils bâtard de son mari. Tu oublies John Sutton…

– Écoute, on a tout le temps pour parler de ça. Et on serait sûrement mieux chez moi que sur un quai de gare.

Un moment plus tard, la petite Amilcar rouge vif d’Adalbert chargée des bagages du Vénitien emportait les deux amis vers la rue Jouffroy. Laissant son chauffeur aux plaisirs et difficultés d’une conduite toujours dangereusement sportive, Aldo choisit de garder le silence durant le trajet. Le printemps parisien était délicieux cette année. Un vent léger et frais colportant les senteurs des marronniers en fleur courait le long de la Seine. Le voyageur s’y abandonna, sans pour autant cesser de réfléchir à la nouvelle énigme qui se posait : pourquoi Anielka s’était-elle rendu dans son ancienne demeure ? La princesse Morosini n’avait rien à y faire… Peut-être tante Amélie et surtout son fidèle bedeau, Marie-Angéline du Plan-Crépin à qui rien n’échappait, pourraient-elles lui en apprendre davantage ? Cette question impérative le décida à rompre le silence qu’il observait toujours quand Vidal-Pellicorne était au volant :

– J’aimerais bien parler un peu avec tante Amélie ! Avez-vous prévu un rendez-vous secret, à minuit, derrière un bosquet du parc Monceau ?

– Viendra dîner ce soir ! marmotta Adalbert, l’esprit et les yeux occupés.

L’apparition de deux agents à bicyclette débouchant de la rue Royale amena un soudain apaisement aux ronflements rageurs du moteur.

Adalbert leur offrit un sourire séraphique dont il envoya la fin à son compagnon :

– C’était bien, l’Espagne ? Qu’est-ce qui t’a conduit là-bas ? Doit y faire déjà diantrement chaud !

– La restitution au Trésor espagnol d’une pièce disparue depuis le siècle dernier. Cela m’a valu d’escorter la Reine jusqu’à Séville pour une fête chez les Medinaceli tandis que son royal époux allait faire quelques frasques à Biarritz… et par la même occasion j’ai trouvé la trace du rubis, la dernière pierre du pectoral…

La voiture fit une embardée traduisant l’émotion de son conducteur, mais celui-ci redressa aussitôt.

– Et tu ne l’as pas dit tout de suite ?

– Pour que tu nous envoies dans le décor ? Tu as vu à quelle allure tu conduisais ?

– J’admets que quand il fait beau je me laisse un peu aller…

– Quand il pleut aussi ! Et, à propos du rubis, ne te réjouis pas trop vite : je ne suis sûr de son parcours que jusqu’à la fin du XVI esiècle quand il a été acheté pour l’empereur Rodolphe II.

– Ne me dis pas qu’il va encore falloir se battre avec le trésor des Habsbourg ?

– Je ne crois pas. Le personnage que j’ai interrogé en Espagne jure qu’à la mort de l’Empereur celui-ci ne le possédait plus et que nul ne sait où il est passé. La première chose à faire est, je pense, d’en référer à Simon. Personne ne connaît mieux que lui les bijoux Habsbourg et, avec ce que j’ai pu apprendre, il trouvera peut-être une piste ? D’autant que cette sacrée pierre m’a l’air d’être encore glus malfaisante que les autres…

– Raconte !

– Pas maintenant. Regarde où tu vas, ça vaudra mieux !

Aldo garda un silence prudent jusqu’à ce que son ami serre les freins devant l’entrée de son domicile : un immeuble fin de siècle très cossu dans lequel il occupait un vaste premier étage sur entresol, merveilleusement entretenu par Théobald, son fidèle valet de chambre. En cas de besoin, celui-ci s’adjoignait son frère jumeau Romuald 1, avec lequel il composait une paire d’autant plus appréciable qu’elle n’avait peur de rien et savait pratiquement tout faire depuis la culture des radis jusqu’à la guerre d’embuscade en plein désert.

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