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Autour de cet îlot silencieux, Paris s’agitait dans les grandes fêtes permanentes des VII esjeux Olympiques et dans les soubresauts d’un gouvernement en ébullition qui allait entraîner dans sa chute jusqu’au président de la République, Alexandre Millerand. Et cela dura ainsi jusqu’au matin du quatrième jour où Marie-Angéline revint de la messe en courant : lady Ferrals et l’oncle Boleslas quitteraient Paris le lendemain soir à bord de l’Arlberg – Express. Aussitôt, un coup de téléphone dépêcha Vidal-Pellicorne chez Cook pour y retenir le sleeping de « Plan-Crépin ». Comme on ne savait pas où le couple comptait descendre, il jugea prudent de prendre le billet jusqu’à Vienne.

Encore qu’Adalbert doutât que, si l’oncle Boleslas était bien feu Solmanski, il oserait franchir la frontière autrichienne.

– Sous un déguisement et avec de faux papiers ? Pourquoi pas ? dit Aldo. Notre ami Schindler a dû apprendre le suicide et ne doit pas user son temps assis près du poteau-frontière. Une chose est certaine : elle ne l’emmène pas chez moi. Comme le couple n’a aucune raison de se croire épié, il aurait pris le Simplon…

Le lendemain soir, Marie-Angéline ravie de l’escapade et du rôle qu’on lui faisait jouer s’embarquait dans le même wagon-lit. Et l’attente recommença.

Une attente un peu angoissée pour Morosini, inquiet à la pensée que son émissaire risquait une fois de plus de ne pas fermer l’œil de la nuit, mais tante Amélie le rassura :

– Tu sais que Marie-Angéline apprend toujours tout ce qu’elle veut savoir : je parie qu’une demi-heure après le départ du train, elle découvrira la destination de nos gens.

Le lendemain matin, en effet, un coup de téléphone de Zurich éclairait la situation : les voyageurs s’étaient installés dans le meilleur hôtel de la ville, le Baur-au-Lac, et naturellement, Plan-Crépin en avait fait autant. Elle put préciser à ses correspondants qu’Anielka était inscrite sous son nom de princesse Morosini et l’oncle sous celui de baron Solmanski.

– Qu’est-ce que je fais maintenant ? demanda-t-elle.

– Vous attendez.

– Pendant combien de temps ?

– Jusqu’à ce qu’il se passe quelque chose. Si cela devait durer trop longtemps, on enverrait quelqu’un vous relayer. De toute façon, c’est peut-être ce qu’on va faire. Il ne faudrait pas que vous soyez repérée, décréta Morosini.

Le soir même, Romuald, le jumeau de Théobald, le valet à tout faire de Vidal-Pellicorne, s’embarquait à son tour pour la Suisse. Il connaissait bien les Solmanski père, fils et fille, pour avoir joué un rôle dans la tragi-comédie qu’avait été le mariage d’Anielka et d’Eric Ferrals et Marie-Angéline l’appréciait.

Deux jours plus tard, celle-ci était de retour avec d’autres nouvelles : la jeune femme était repartie pour Venise, laissant l’oncle Boleslas achever de rétablir sa santé sous l’œil vigilant d’un Romuald bien décidé à ne pas le lâcher d’une semelle.

– Elle est repartie seule ? demanda Aldo.

– Bien sûr. Enfin, je veux dire avec Wanda…

– Dans ce cas, je vais rentrer moi aussi. Il est grand temps que j’aille voir ce qui se passe chez moi.

– Comptes-tu mettre en train ta demande d’annulation en cour de Rome ? demanda Mme de Sommières.

– C’est la première chose dont je vais m’occuper. Dès mon retour, je demanderai audience au patriarche de Venise[iii].

– Si la vieille mécréante que je suis prie pour toi, cela devrait t’aider, dit Mme de Sommières en l’embrassant, ce qui était la marque, chez elle, d’une émotion extraordinaire.

Nanti d’une foule de recommandations, Aldo reprit le chemin de Venise, via le Simplon-Orient-Express. Il avait fait promettre à Adalbert de lui donner des nouvelles de Simon Aronov dès qu’il en recevrait. La trace du rubis était encore chaude : il ne fallait pas lui laisser le temps de refroidir.

CHAPITRE 5 RENCONTRES…

La femme qu’Aldo retrouva en face de lui, de l’autre côté de la table du déjeuner, n’avait pas grand-chose à voir avec l’affriolante créature en robe rose scintillante qu’il avait vue sortir du salon Ferrals en tenant John Sutton par la main. En grand deuil et sans la moindre trace de maquillage, elle ressemblait à la prisonnière de Brixton Jail et offrait l’image – impressionnante – d’une douleur contenue avec dignité à laquelle n’importe qui se serait laissé prendre. Sauf, bien entendu, Aldo lui-même. Mais il joua le jeu avec une parfaite courtoisie :

– Je ne doute pas que ces messieurs vous aient exprimé la part qu’ils prennent à votre douleur, dit-il en désignant Guy Buteau et Angelo Pisani qui partageaient le repas. Les mots dans de telles circonstances ne signifient pas grand-chose et je n’essaierai pas de vous dire que j’éprouve le moindre chagrin, mais je vous demande de croire que je tiens à m’associer au vôtre…

– Merci. C’est gentil de me le faire savoir.

– C’est la moindre des choses mais… je suis un peu surpris de vous voir ici. N’avez-vous pas accompagné votre père jusqu’à Varsovie ?

– Non. Mon frère n’y tenait pas et, en ce qui me concerne, je n’avais aucune envie de retourner là-bas. Vous semblez oublier que je n’y serais pas en sécurité…

– En Angleterre non plus vous n’êtes guère en sûreté. Pourtant vous y êtes allée, j’imagine ?

– Non. Je suis restée à Paris où je pensais attendre… des nouvelles du procès. Là-bas, avec la meute des journalistes, c’eût été insupportable.

– Et à Paris ? Ces messieurs de la presse ne vous ont pas dépistée ?

– En aucune façon. Wanda et moi sommes descendues chez une Américaine, une cousine de ma belle-sœur. Je devrais dire… notre belle-sœur, ajouta la jeune femme avec un mince sourire.

– Ne vous excusez pas : je n’ai pas l’esprit de famille…

– Et vous-même, ce voyage en Espagne ?

– Fort agréable… J’ai vu de très belles choses. Aldo saisit la balle au bond pour introduire Guy dans la conversation en évoquant pour lui les « belles choses » en question, sans bien sûr faire la moindre mention du portrait volé. Il était temps qu’une autre voix s’introduise dans cet échange à fleurets mouchetés s’il voulait préserver encore un peu son sang-froid en face de ce qu’il savait être une accumulation de mensonges. Ce n’était pas la première fois qu’il soupçonnait Anielka d’être une habile comédienne, mais aujourd’hui, elle se surpassait…

Ce fut sans doute ce qui le décida à ne plus différer les premières démarches en vue de l’annulation de son mariage. Ayant revêtu un costume sombre, il se fit conduire par Zian jusqu’à San Marco avec la gondole. Sauf lorsqu’il y avait urgence, il n’employait pas son motoscaffo pour rejoindre l’ensemble basilique-palais des Doges qui était comme la couronne posée au front de la plus sublime des républiques… Les odeurs d’essence et les vrombissements iconoclastes ne devaient pas, selon lui, briser le charme du lieu de débarquement sans doute le plus bizarre, le plus lumineux, le plus annonciateur de merveilles qu’était celui de la Piazzetta.

Franchies les deux colonnes de granit oriental sommées l’une du Lion ailé de Venise, l’autre d’un saint Théodore vainqueur d’une espèce de crocodile, entre lesquelles, jadis, on exécutait les coupables, il gagna d’un pas rapide le porche de San Marco sur lequel piaffaient les quatre sublimes chevaux de cuivre doré, nés sous les doigts de Lysippe, fondus au III esiècle avant Jésus-Christ et qui, jadis, avaient suscité la convoitise de Bonaparte. Morosini les aimait et leur adressait toujours un petit salut avant de se glisser dans l’obscurité rayonnante de la basilique byzantine où toute lumière venait de la « pala » d’or et d’émail devant laquelle brûlait une forêt de cierges. Il avait toujours l’impression, en y pénétrant, de s’enfoncer au cœur de quelque forêt magique…

Comme d’habitude, il y avait foule. L’approche de l’été multipliait les touristes qui, petit à petit, allaient envahir Venise et la rendre moins vivable. Chrétien peu pratiquant mais profondément croyant, Aldo alla rendre ses devoirs au Maître de la maison en une courte prière avant de se mettre à la recherche du padre Gherardi qui avait béni son invraisemblable mariage.

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