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– Pourquoi cette restriction ? Auriez-vous changé d’avis à présent ? fit Morosini un peu surpris.

– Oui. C’est dommage, au fond, que vous ayez refusé, même si c’est tout à votre honneur. Vous ne seriez pas actuellement aux prises avec une situation déplaisante. Et puis Lisa est un peu folle mais c’est une fille bien. Son aventure vénitienne, ce déguisement incroyable ! Tout cela m’a beaucoup amusée. J’en ai conçu pour elle une certaine estime. Elle aurait fait une parfaite princesse Morosini.

La surprise d’Aldo grandissait au fil des mots :

– Vous ? C’est vous Dianora qui me dites cela ? Je n’en crois pas mes oreilles ! N’êtes-vous donc plus à couteaux tirés ?

– Nous l’étions, mais bien des choses ont changé l’hiver dernier. Vous ne le savez sans doute pas mais Moritz a subi une sérieuse intervention chirurgicale. J’ai eu très peur… Au point… d’avoir compris à quel point je tenais à lui.

Depuis un instant, elle baissait les yeux et jouait nerveusement avec les perles de ses colliers. Et puis, soudain, elle les releva pour les planter droit dans ceux d’Aldo :

– Tandis que je tournais en rond dans ce salon de clinique en attendant le résultat de l’opération, je me suis juré, si elle réussissait, d’être désormais une épouse sans reproches. Une épouse tendre… et fidèle !

Morosini, se penchant, prit entre les siennes les mains de la jeune femme qui tremblaient un peu :

– Vous avez découvert que vous l’aimiez, dit-il avec beaucoup de douceur. Et si vous m’avez appelé cet après-midi c’est pour me le dire. Je me trompe ?

Elle lui offrit un sourire un peu tremblant. Une jeune fille avouant à son père un premier amour devait avoir le même, pensa Aldo un peu ému.

– Non, dit Dianora. C’est bien ça ! J’ai découvert, un peu tard peut-être, que j’avais un mari extraordinaire, alors…

– Si vous pensez à ce que nous avons été l’un pour l’autre jadis, oubliez-le sans hésiter ! … ou plutôt enterrez-le au plus profond de votre cœur. Personne n’ira l’y chercher. Surtout pas moi !

– Je ne doutais pas de votre discrétion. Vous êtes un grand seigneur, Aldo, mais il fallait tout de même que ces choses soient dites et qu’entre nous il n’y ait plus d’ombres…

Soudain, elle demanda :

– Puisque nous sommes à présent de vieux amis, me permettez-vous une question ?

– C’est votre privilège.

– Qui aimez-vous ? En admettant que vous aimiez quelqu’un ?

À son grand mécontentement, il se sentit rougir et tenta de s’en tirer avec une pirouette :

– En cet instant précis, c’est vous que j’aime, Dianora. Je viens de découvrir une femme inconnue qui me plaît beaucoup.

– Pas de fadaises ! … Encore que je veuille bien vous croire. Lisa, je crois, a fait elle aussi cette découverte…

Le nom, inattendu, augmenta sa rougeur. Dianora se mit à rire :

– Allons, je ne veux pas vous faire souffrir… mais sachez que vous venez de me répondre.

En quittant Dianora un moment plus tard, Aldo éprouvait un sentiment complexe fait de soulagement à la pensée qu’il n’affronterait plus les avances de son ancienne maîtresse, et surtout de douceur. En choisissant d’aimer son époux, elle lui devenait chère. D’autant que, s’il l’en croyait. Lisa, elle aussi, avait rendu les armes. À tout cela cependant s’ajoutait une angoisse à la pensée du désastre que le rubis maudit pouvait attirer sur une famille désormais unie. Comment faire pour l’éviter ?

– Pas facile ! reconnut Adalbert quand Aldo lui eut raconté son entrevue. Notre marge de manœuvre rétrécit de plus en plus. Wong est parti. Une voisine l’a vu quitter la villa il y a cinq jours avec une grosse valise. Je suis allé à la gare pour essayer de savoir quels trains partaient ce soir-là aux environs de huit heures. Il y en avait plusieurs, dont un en direction de Munich et de Prague. Mais je ne vois pas pourquoi il retournerait là-bas ?

– Il allait peut-être plus loin ? Si tu tires une ligne droite joignant Zurich, Munich et Prague et si tu la continues, tu arrives droit à Varsovie,

– Simon serait là-bas ?

Morosini écarta les deux mains dans un geste d’ignorance.

– Nous n’avons aucun moyen de le savoir et, de toute façon, nous n’avons pas le temps de chercher pour avoir la copie du rubis. En revanche, on pourrait peut-être faire surveiller par tes jumeaux les abords de la maison Cartier à Paris ?

Adalbert regarda son ami avec une curiosité amusée :

– Dis-moi un peu, toi qui es franc comme l’or, tu n’aurais pas dans l’idée d’intercepter l’émissaire chargé de rapporter le bijou ?

– Bien sûr que si ! Tout plutôt que permettre à ce maudit joyau de s’attaquer aux Kledermann ! Mais comme la monture sera somptueuse, on s’arrangera pour que la police la retrouve…

– Tu fais des progrès ! Et… ton copain le gangster ? Qu’est-ce que tu vas lui dire ? Parce que ça m’étonnerait qu’il tarde beaucoup à se manifester, celui-là ?

Il ne tarda pas, en effet. Le soir même, en remontant dans sa chambre pour se changer avant d’aller dîner, Aldo trouva un petit mot l’invitant à aller fumer un cigare ou une cigarette aux environs de onze heures près du kiosque de la Bürkli Platz toute proche de son hôtel.

Quand il y parvint, à l’heure dite, Ulrich était déjà là, assis sur un banc d’où l’on découvrait les eaux nocturnes du lac encadrées de milliers de lumières.

– Vous avez appris quelque chose ? demanda-t-il sans préambule.

– Oui, mais d’abord donnez-moi des nouvelles de ma femme !

– Elle va très bien, rassurez-vous ! Je n’ai aucun intérêt à la malmener tant que vous serez fair play.

– Et vous me la rendrez quand ?

– Dès que je serai en possession du rubis… ou d’une fortune en bijoux. Vous avez ma parole.

– Bien. Alors voilà les nouvelles : le rubis est parti pour Paris, chez le joaillier Cartier chargé de l’enchâsser au milieu de diamants, sans doute pour en faire un collier. C’est Kledermann lui-même qui l’a emporté… et je suppose qu’il ira le rechercher mais sa femme n’a pas pu me le dire puisqu’en principe il s’agit d’une surprise pour son anniversaire.

L’Américain réfléchit un instant en tirant furieusement sur un cigare gros comme un barreau de chaise.

– Bon ! soupira-t-il enfin. Mieux vaut attendre qu’il soit revenu ici. Maintenant écoutez-moi bien ! Le soir de la fête, je serai chez Kledermann – il leur faudra sûrement du personnel supplémentaire. Quand je le jugerai bon, je vous ferai signe et vous me conduirez à la chambre forte dont vous allez m’expliquer comment on y accède. Ensuite, vous retournerez surveiller les salons en observant, bien entendu, le banquier en priorité. S’il fait mine de sortir vous le retiendrez. Maintenant, je vous écoute !

Morosini dressa un tableau assez exact du cabinet du banquier et des accès à la chambre forte. Il n’éprouvait aucun scrupule à renseigner le bandit, car il lui réservait une surprise de dernière minute. Qu’il livra d’ailleurs à la fin de son exposé :

– Il faut que vous sachiez ceci : la petite clé qui ouvre le panneau de la chambre forte est pendue au cou de Kledermann et je ne vois pas comment vous pourriez vous la procurer.

La nouvelle ne fit aucun plaisir à Ulrich. Il mâchonna quelque chose entre ses dents mais, si Aldo pensait qu’il allait s’avouer vaincu, il se trompait. Au bout de quelques instants, le visage assombri de l’Américain s’éclaira :

– L’important, c’est de le savoir, conclut-il.

– Vous n’avez pas l’intention de le tuer ? fit Morosini sèchement. En ce cas, il ne faudrait pas compter sur mi !

– L’aimeriez-vous plus que votre femme ? Rassurez-vous, j’ai l’intention de résoudre ce nouveau problème à ma façon… et sans violence excessive. Je suis, sachez-le, un grand professionnel. À présent, écoutez ce que j’ai à vous dire.

Avec beaucoup de clarté, il détailla pour Aldo ce qu’il aurait à faire, ne se doutant pas que celui qu’il croyait tenir était bien décidé à tout tenter pour récupérer le rubis sans laisser pour autant le joyeux Ulrich disparaître dans la nature avec l’une des plus belles collections de bijoux au monde.

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