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— Plan-Crépin ! Vous devenez vulgaire ! sermonna Mme de Sommières quasi machinalement. Quant à moi, ajouta-t-elle avec un rien de mélancolie, j’aimerais que l’on cesse de me prendre pour une espèce de patate trop chaude que l’on se renvoie en famille !

Et elle disparut dans sa chambre afin de s’y enfermer pour dissimuler son émotion.

Plan-Crépin et Adalbert couraient déjà dans le jardin en direction du mur sur lequel celui-ci hissa pratiquement sa compagne à bout de bras puis lui tendit les armes avant de la rejoindre avec une certaine aisance. Au moment où ils s’installaient sous les aristoloches, Wishbone stoppait sa voiture devant la grille de la Malaspina et donnait deux coups de klaxon pour appeler le gardien.

Celui-ci sortit, visiblement de mauvaise humeur. Du seuil de son pavillon, il lança :

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— On vous le dira si vous acceptez de vous approcher ! répondit Aldo toujours courtois.

Le cerbère vint à la grille en traînant les pieds mais se garda de l’ouvrir.

— Voilà ! Alors ?

— Nous voulons voir Max… pour une affaire des plus urgentes ! Allez lui dire que Mr. Wishbone et le prince Morosini désirent lui parler ! Et remuez-vous, s’il vous plaît ! Je viens de vous dire que…

— Ça presse ? On a compris !

Sans se départir de son allure traînante, il rentra dans son logis et les deux autres l’entendirent parler au téléphone sur un ton nettement plus révérencieux. La réponse dut être favorable : il revint en hâte muni d’une énorme clef.

— Vous pouvez passer ! L’entrée est derrière la maison. Vous n’avez qu’à suivre l’allée latérale sous les arbres !

— On va enfin savoir à quoi ressemble la façade de cette fichue baraque de l’autre côté ! marmotta Wishbone.

Sans être aussi majestueuse que la façade, la face arrière, plus austère, ne manquait pas d’une certaine élégance. Les ouvertures y étaient moins nombreuses et si des jardinières fleuries s’épanouissaient devant toutes les fenêtres, quelques-unes étaient défendues par des barreaux… Un homme se tenait au seuil d’une haute porte armoriée encadrée de deux colonnes.

— C’est Max ? questionna Aldo qui ne l’avait vu que sous une cagoule noire.

— Tout à fait ! Ce n’est pas le plus mauvais de la bande…

— Je sais ! dit Aldo qui se souvenait sans véritable rancune du temps où, à la Croix-Haute, il était son geôlier. Mais là-bas je l’ai entendu évoquer ses frères. Il en a combien ?

— Deux plus jeunes que lui…

Pour l’instant, le dénommé Max les regardait approcher les bras croisés sur la poitrine tandis qu’Aldo détaillait ce visage qu’il ne connaissait pas. Il n’avait rien d’antipathique et n’était pas dépourvu de séduction en dépit des deux rides amères qui encadraient ses lèvres minces. Quand ses visiteurs furent devant lui, il eut un sourire narquois qui ne relevait qu’un seul côté de sa bouche.

— Il faut reconnaître que vous ne manquez pas d’audace de venir jusqu’à nous, Morosini ? Vous avez gardé un si bon souvenir de notre hospitalité ? Je rien dirais pas autant de Wishbone qui lui avait droit au statut d’invité de marque. Mais entrez donc ! engagea-t-il en les précédant à travers un vestibule dallé de marbre noir à bouchons blancs orné d’une paire de statues grecques et d’une vasque, de marbre elle aussi, d’où débordaient d’énormes fleurs d’hortensias roses. Un escalier à double révolution montait aux étages. Le silence y était complet. De même, aucun serviteur, aucune infirmière n’était en vue, rien qui puisse évoquer l’activité d’une clinique… sauf peut-être celle du docteur Morgenthal à Zurich si l’on s’en tenait aux récits de Tante Amélie et de Plan-Crépin.

Sous l’une des branches de l’escalier, Max ouvrit devant eux la porte d’un cabinet de travail tapissé de livres où le soleil entrait à flots, puis referma le vantail auquel il s’adossa sans leur offrir d’occuper les fauteuils Renaissance disposés devant l’imposant bureau d’ébène à deux lourds piétements sculptés.

— Alors ? ironisa-t-il. Qu’est-ce qui vous a poussés à vous aventurer dans la gueule du lion ? Vous êtes fatigués de la vie ?

— Ne dites donc pas n’importe quoi ! répliqua Aldo en s’asseyant dans l’un des fauteuils tandis que Wishbone arborant son air le plus digne investissait l’autre. Ce qui fut relevé aussitôt.

— Je ne me souviens pas vous avoir invités à prendre place ?

— Cela n’a aucune importance et, si vous voulez un conseil d’ami, vous seriez mieux inspiré d’en faire autant ! Ce sera bref, clair et concis : il va vous falloir prendre des dispositions ! Mais d’abord une question : qui accompagnait Gandia la nuit dernière quand il s’est rendu à Kilchberg ?

— Mon frère Andréa ! Pourquoi ? Et… Comment pouvez-vous le savoir ?

— J’y viens et croyez que j’en suis navré pour vous. En bref, Gaspard Grindel a, la nuit dernière, derrière l’église, abattu Gandia qui prétendait obtenir de lui la moitié de la collection Kledermann, ainsi que votre frère, tandis que sonnaient à l’horloge les douze coups de minuit…

Max devint blême cependant que ses mâchoires se crispaient.

— Encore une fois. Comment le savez-vous ?

— Parce que nous y étions, mon ami Vidal-Pellicorne et moi ! Nous avons suivi Grindel et Mathias Schurr, son demi-frère, depuis Paris. Parce que le demi-frère c’est lui, figurez-vous, qui m’avait logé une balle dans le crâne à la Croix-Haute !

L’homme de César ne semblait pas vraiment convaincu.

— Quel aurait été son intérêt ?

— Je viens de vous le dire : pour garder la totalité de la collection. Il avait apporté l’un des sacs mais bourré de haricots secs et autres légumineuses, qu’il a balancé devant lui avant de tirer. Je tiens le sac à votre disposition… si vous vivez suffisamment longtemps pour le voir. Ce qui n’est pas certain !

— Vous en douteriez ?

— Tout à fait ! Nous avons surpris un échange téléphonique plutôt tendu entre eux – les écoutes cela fonctionne dans la police – et appris ainsi que Gandia n’avait pas tué Kledermann, qu’il le conservait par-devers lui, prêt à refaire surface au cas où Grindel refuserait le partage ! J’ai appris par la même occasion que mon fondé de pouvoir, M. Guy Buteau, avait été enlevé lui aussi à Venise et ramené ici afin de servir de monnaie d’échange pour assurer à ces messieurs ma propre collection ! Cela vous suffit ?

— Qu’est-ce qui me prouve que ce n’est pas vous qui les avez liquidés ?

— On aurait liquidé tout le monde alors ? Et dans ce cas, voulez-vous m’expliquer pour quelle raison ? Cessez de vous méfier, bon sang ! C’est un luxe que vous ne pouvez plus vous permettre : Grindel et son double ne devraient plus être loin. Alors arrangez-vous pour qu’ils ne parviennent pas jusqu’à vous !

— Autrement dit, fit Max goguenard, vous êtes venus pour me sauver ?

— Vous et cette malheureuse à laquelle vous vous êtes dévoué ! Oui.

— Ce que je cherche en vain dans votre conduite, c’est le profit que vous pourriez en tirer ! Que vous souhaitiez récupérer votre beau-père et… votre fondé de pouvoir, cela se conçoit aisément, mais nous ?…

— Ne connaissez-vous que le mot profit ? Je vous croyais d’une autre qualité. Aussi vais-je éclairer votre lanterne : si nous sommes devant vous, Mr. Wishbone et moi, c’est dans le but de payer notre dette envers vous ! À la Croix-Haute, alors que la Torelli nous avait condamnés, lui, moi, ma femme et Mrs. Belmont à périr par les flammes, vous nous avez permis d’échapper à cette mort abominable et de fuir ! Nous sommes là pour payer notre dette ! CQFD ! Êtes-vous incapable de le comprendre ?

Les yeux de Max plongèrent dans les siens avec une intensité à laquelle se mêlait une certaine surprise.

— Que vous fassiez cela pour moi, je peux en effet le comprendre : vous êtes un homme d’honneur. Mais elle, vous n’avez aucune raison de vouloir la préserver ?

— J’ai la conviction que de son châtiment, Dieu s’est chargé ! expliqua Aldo gravement. En outre, je sais que vous y tenez… que vous l’aimez en quelque sorte !

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