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— Comment avez-vous pu le savoir ?

— Un coup de chance, je vous l’accorde : le père d’un de mes inspecteurs, ancien policier lui-même et pêcheur impénitent, habite sur la rive gauche de la Vienne et tout près dudit terrain d’envol. Il s’était levé très tôt pour poser des appâts. Il a vu arriver l’embarcation qui est repartie après avoir déposé ses passagers. L’avion est venu atterrir un quart d’heure plus tard, et n’est resté que quelques minutes avant de décoller. Direction plein sud ! Là-dessus notre pécheur a appelé son fils qui m’a prévenu… Et me voilà !… Vous êtes à l’hôtel de l’Univers je suppose ?

— Vous supposez bien. C’est là que vous descendez ?

— Non. J’ai les honneurs de la préfecture… et cela me fait penser que je dois envoyer des fleurs à la préfète. En revanche, vous trouverez à votre hôtel Mr. John-Augustus Belmont qui est venu s’occuper de sa sœur qu’il souhaite ramener en Amérique au plus vite ainsi que sa femme de chambre Helen Adler qui va beaucoup mieux.

— Vous n’avez plus besoin de leurs témoignages ?

— Mrs. Belmont et miss Adler ont dit, je crois, tout ce qu’on pouvait en attendre et il n’y aucune raison de les retenir davantage. L’une comme l’autre ont le plus urgent besoin de se retrouver dans leur cadre familier.

— Je m’en doute mais si vous arriviez à capturer toute la bande cela donnerait lieu à un procès, vous les convoqueriez ?

— Pour ne pas leur faire courir de risque, elles pourraient être entendues, à l’ambassade de France, par deux magistrats commis à cet effet, assistés de Phil Anderson, patron de la police métropolitaine de New York. En outre, je vous rappelle que – du moins en ce qui concerne Mrs. Belmont ! – une traversée de l’Atlantique supplémentaire ne représenterait pas un obstacle. Elle prend plus facilement le paquebot que le métro new-yorkais. De toute façon, le procès ne s’inscrit pas dans l’horizon immédiat. Je suis persuadé que nous avons en face de nous une branche de la Mafia…

— Autrement dit, le procès est du domaine du rêve ?

— Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit ! J’espère fermement avoir leur peau un jour ou l’autre et Gordon Warren, à Scotland Yard, n’est pas près de lâcher prise. Nous allons obtenir de la Cour de La Haye un mandat d’arrêt international contre Lucrezia Torelli et Ottavio Fanchetti…

— S’ils s’appellent vraiment comme ça ! En outre, je ne suis pas certain que l’Italie de Mussolini soit disposée à vous aider !

Brusquement, l’élégant commissaire principal Langlois, que l’on pourrait appeler le dandy du Quai des Orfèvres, vira au rouge vif :

— Dites-moi, Vidal-Pellicorne, vous en avez encore pour longtemps à vous faire l’avocat du diable ? Vous commencez à m’agacer singulièrement !

— Ce n’est pas mon propos et je vous offre mes excuses ! Au vrai c’est que je me tourmente…

— Pour Morosini ? Vous croyez que je l’ignore ? Il est même le tout premier de mes soucis !

— Moi c’est son ménage qui arrive en première ligne ! Cette histoire délirante l’a mis en morceaux !

— Ce n’est pas une nouveauté ! Dois-je vous rappeler l’affaire de la « Régente » où, se croyant trompée, Dame Morosini lui a imposé une pénitence de plusieurs mois alors qu’il était aussi innocent que vous et moi, sans compter un état physique déplorable ? De toute façon, j’ai l’intention de l’interroger. Où qu’elle soit ! Si une convocation officielle ne lui suffit pas, j’irai jusqu’à Venise !

— Mais… pourquoi ?

— Pour qu’elle me parle de l’homme qui, ayant réussi l’exploit de suivre la voiture de ses ravisseurs, l’attendait à l’entrée du bois de la Croix-Haute… et en compagnie de qui elle est partie après l’avoir embrassé. Comme par hasard, le coup de feu qui a abattu Morosini est venu de ce coin-là… Approximativement, certes, mais suffisamment pour m’intéresser !

Si Langlois avait rougi, Adalbert, lui, devint blême :

— Comment le savez-vous ?

— Pas grâce à vous, en tout cas !… Alors que vous étiez parfaitement au courant ! Vous noterez que je ne vous demande pas pourquoi vous m’avez caché ce… détail parce que je le sais…

— Ah oui ? réussit à prononcer Adalbert qui se sentait flotter.

Il semblait même tellement désemparé que Langlois ne put s’empêcher de rire :

— C’est l’évidence même pour qui vous connaît un tant soit peu, vous… et la descendante des Croisés : affaire de famille donc chasse gardée ! Eh bien, j’ai l’intention de m’en mêler aussi… avec précaution, évidemment ! En attendant, ne faites pas cette tête-là et rentrez sagement à votre hôtel où vous retrouverez les Belmont ! Nous avons peut-être perdu une bataille mais la guerre ne fait que commencer !

Soulagé malgré tout, Adalbert avait, cependant, une dernière question à poser et rattrapa par la manche le policier qui s’apprêtait à rejoindre la voiture officielle stationnée devant la porte de l’hôpital :

— Excusez-moi… mais encore un mot ! Wishbone, qu’est-ce que le commissaire Desjardins en a fait ? Il n’est tout de même pas en prison ?

— Mais non, voyons ! Dans l’affaire, lui aussi est une victime même si c’est seulement de l’argent qu’il a perdu ! Au reste, il n’a pas la moindre envie de retraverser l’Atlantique.

— Je croyais que Pauline Belmont lui avait fait forte impression ?

— C’est très possible mais ce qui est certain c’est qu’il se reproche d’avoir entraîné Morosini aux portes de la mort… et qu’il compte fermement se joindre à votre joyeuse bande… si vous y consentez !

— Je ne vois pas pourquoi on n’y consentirait pas : même quand nous étions rivaux il trouvait le moyen de m’être sympathique ! Morosini, on n’en parle pas : c’est lui qui nous l’a amené. Enfin, nos dames l’apprécient et le trouvent amusant…

— Si vous voulez mon avis, je crois que c’est le point important pour lui : il est le dévot inconditionnel de la marquise ! Elle le fascine !

— Vous n’allez pas prétendre qu’il en est amoureux ?

— On a déjà vu pire !… Et j’ai dit : dévot ! Je ne devrais pas avoir à vous expliquer la différence. Vous êtes de l’Institut oui ou non ?

— Je le suis, mais quand il s’agit de gens que j’aime j’aurais assez tendance à dérailler !

— Tout à fait normal. Cela dit, vous ne verrez pas d’inconvénient, j’espère, à ce que je convoque la princesse Morosini par télégramme, elle a pas mal de choses à m’apprendre !

— Mettez-y les formes tout de même ! Elle doit être loin de nager dans le bonheur…

— Un, je ne suis pas une brute, et deux, il serait temps que quelqu’un lui apprenne… officiellement l’état de son mari !… En admettant qu’elle ne soit pas déjà au courant !

— Vous ne le pensez pas vraiment ?

— Dans une affaire de meurtre, j’ai l’habitude de faire mon devoir jusqu’au bout et si désagréable qu’il soit ! Et je pense qu’il est grand temps qu’on la voie au chevet de Morosini !

En rentrant à l’hôtel, Adalbert voulut monte chez Mme de Sommières mais trouva Marie Angéline qui, bras croisés, arpentait le palier de long en large dans une agitation croissante.

— Qu’est-ce que vous faites-là ? On vous a mis en pénitence ?

— Quasiment ! Notre marquise reçoit Paulin Belmont qui a demandé à lui parler seule à seule.

— Ce n’est pas une raison pour faire l’ourse en cage dans celle de l’escalier. Je suppose qu’elles sont dans le petit salon qui sépare vos deux chambres ? Vous devriez être dans la vôtre !

— « On » me connaît trop bien ! « On » sait que j’adore écouter aux portes alors « on » m’envoyée chez le pharmacien acheter des pastilles Vichy !

— Et vous y êtes allée ?

— Vous vous payez ma tête ? Je m’y précipiterai quand cette femme sortira ! D’ailleurs « on » n’a aucun besoin de ces pastilles : « on » a un foie en ciment armé.

— Savez-vous que c’est de la rébellion ouverte Allez acheter ce qu’on vous a demandé ! Je monterai la garde à votre place ! Et puis ça vous calmera !

Après une ultime hésitation, elle se décida et, sans appeler l’ascenseur, dégringola les marches. Adalbert alla s’asseoir dans l’un des deux fauteuils qui, près d’une table égayée par un vase d’anémones, meublait le large escalier. Il n’attendit pas longtemps. Pas plus de cinq minutes en tout cas avant que la porte ne s’ouvre devant la visiteuse que Mme de Sommières raccompagnait. Toutes deux semblaient très émues et Adalbert s’aplatit dans son fauteuil.

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