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Au matin, Aldo demanda un taxi pour qu’il les conduise à Kilchberg afin de repérer le chemin, de le retrouver aisément et, le soir venu, ne pas avoir à hésiter. Ils purent constater que l’endroit était en conformité avec leurs souvenirs et les instructions de Gandia. À six kilomètres exactement de Zurich, la bourgade en bordure de lac était des plus agréables avec sa longue rue où s’alignaient de belles demeures XVIIIe un brin austères, ses villas dans leurs jardins à flanc de coteau et son église médiévale Saint-Pierre, isolée au milieu d’un espace herbeux. Tout y respirait la prospérité et le chocolat ! Sans oublier le calme.

Afin d’asseoir leur conviction qu’ils ne se trompaient pas, Aldo invita le chauffeur à boire un café à l’auberge.

— Nous cherchons un lieu plaisant pour nous y établir, expliqua-t-il. On nous a vanté Kilchberg mais le lac est vaste : y a-t-il ailleurs un site qui ressemble à celui-là ?

L’homme ouvrit de grands yeux :

— Si on vous a vanté Kilchberg, pourquoi voulez-vous chercher ailleurs ?

— Excusez-moi, je me suis mal exprimé. Le nom de la localité nous n’en étions pas très sûrs. On nous a précisé que l’église était au milieu d’un grand espace herbeux.

— Alors cherchez pas plus loin ! Y a qu’ici. Et puis on ne vous a pas parlé de la fabrique de chocolats ?

— Oh si ! Nous avons l’intention de nous y arrêter avant de rentrer. Tout le monde les adore dans notre famille et nous aurions un drame si nous n’en apportions pas !

— Ça, c’est vrai qu’ils sont bons ! approuva l’homme touché dans son orgueil national que l’on n’hésita pas à encourager en lui en offrant une boîte lorsqu’au magasin de vente on en fit une ample provision. Adalbert, pour sa part, ne résista pas à la tentation d’en acheter – pour la route ! – un ballotin qu’il caserait dans la boîte à gants de sa voiture. Après quoi on rentra à l’hôtel… où aucune nouvelle ne les attendait.

Jamais après-midi ne leur parut plus interminable ! Ils n’osaient guère se montrer de peur d’être reconnus par un importun. La même raison les empêcha d’aller s’asseoir au jardin. Seul contact avec l’extérieur, le coup de téléphone de Langlois aussi peu réconfortant que possible : il était lui aussi sans nouvelles de Sauvageol.

Ne sachant trop ce que l’avenir leur réservait, les deux hommes avaient prévenu l’hôtel de leur intention de partir après le dîner. Aussi bouclèrent-ils leurs valises avant de descendre au restaurant où – mais c’était la première fois de leur vie – ils ne trouvèrent pas d’appétit à ce qu’on leur servait. Enfin il réglèrent leur note et se réembarquèrent.

Il n’était que dix heures et demie mais ils avaient décidé de se rendre à Kilchberg bien avant le rendez-vous afin de s’assurer une position, sinon stratégique, du moins favorable. Ils avaient d’ailleurs repéré le mur peu élevé d’une maison aux volets clos, lequel mur abondamment couvert de lierre formait un angle au fond duquel il devait être possible de se dissimuler.

Ils laissèrent la voiture à environ cent mètres de l’église où ils arrivèrent peu après onze heures. Mais il aurait pu aussi bien être trois heures du matin tant l’endroit était calme et silencieux. Cela tenait sans doute à la pluie, fine, insistante qui s’était installée en début de soirée et faisait cette nuit de juin plus sombre qu’elle n’aurait dû l’être. Personne n’avait envie d’être dehors par ce temps-là. En revanche, il faisait tout à fait l’affaire des deux amis, dûment emballés dans leurs imperméables et armés comme des agents secrets sur le sentier de la guerre : un pistolet dans une poche, un petit browning coincé dans une chaussette et dans une gaine de cuir lacée à l’avant bras, un couteau dont une secousse faisait glisser la poignée dans la main. Aldo avait pensé que c’était peut-être un brin exagéré mais Adalbert avait répliqué :

— On ne sait pas où on va mettre les pieds alors mieux vaut trop que pas assez. Souviens-toi de notre joyeuse soirée au château d’Urgarrain !

Ils allèrent prendre la place qu’ils s’étaient choisie et qui permettait de ne rien perdre de ce qui se passerait derrière l’église puis, abrités par le renfoncement du mur et la retombée du lierre, ils attendirent…

Pas très longtemps. Juste avant que le clocher ne sonne avec vigueur la demie de onze heures, une voiture qu’ils ne connaissaient pas et venant du sud, qui devait donc être celle de César, vint stopper sur les arrières de l’église au ras de l’espace herbeux. Phares éteints, elle avait glissé sans bruit dans l’ombre plus dense de Saint-Pierre. Et ne bougea plus.

Personne ne descendit. Le silence retomba et l’obscurité empêchait de dénombrer les occupants à l’intérieur, même pour les yeux aigus d’Aldo. Si l’on se référait au dernier coup de téléphone Gandia-Grindel, le premier devait être accompagné d’un de ses sbires et de Kledermann sans doute ligoté et peut-être bâillonné…

— Je ne sais pas ce que tu en penses, chuchota Adalbert, mais je trouve ce rendez-vous plutôt délirant ! Pourquoi en plein village ?… Pourquoi auprès de cette église quand les alentours fourmillent de coins tranquilles et même près d’un lac tellement commode quand on veut se débarrasser d’un gêneur ?

— Pour ce qui est du lac, c’est impensable pour un Zurichois : ce lac est quasi sacré ! Il est le plus propre et donc le plus pur des cantons helvétiques ! Et puis Gandia doit avoir ses raisons.

— Mais s’il invite l’autre à trucider lui-même son oncle, ça va faire du bruit ? Un flingue…

— Pourquoi pas un couteau ? Le vacarme viendra de nous car je ne suis pas là pour le laisser rigoler, conclut Aldo en tirant de sa poche son pistolet dont il débloqua la sécurité et qu’il garda en main.

Adalbert en fit autant. À ce moment un ronronnement de moteur leur parvint et le double pinceau lumineux des phares balaya brièvement l’arrière de l’église.

— Tiens, commenta Adalbert, voilà les Frères de la Côte (13) !

En effet, la silhouette bien connue à présent de la Citroën grise venait se garer au bord du tapis vert à peu près en face de la précédente… Les passagers en descendirent au premier coup de minuit qui fit sursauter les guetteurs. Gaspard tenait le sac de bijoux de la main gauche, gardant la droite dans sa poche. Mathias venait derrière lui. Au deuxième coup, Gandia sortit à son tour et marcha à leur rencontre… et tout se déchaîna pendant que s’égrenaient les dix autres coups de minuit. Avant d’avoir prononcé la moindre parole Grindel sortit sa main de sa poche et tira. Avec un râle bref, César se plia en deux et s’écroula. Presque en même temps, Mathias courant en zigzag arrosait l’arrière de la voiture tandis que Grindel revenait à la sienne dont le moteur tournait, ramassait son frère en voltige et le pied au plancher fonçait vers la rue principale malgré les tirs désespérés d’Aldo et d’Adalbert qui dut effectuer un saut de côté, roulant sur lui-même pour éviter d’être renversé tandis qu’Aldo canardait la voiture dans l’espoir d’atteindre le réservoir d’essence… Mais non ! En dépit de son adresse, la maudite voiture avait déjà disparu !

— C’est pas possible ! Ils sont possédés du démon ! ragea-t-il.

— Tu as quand même dû en amocher un ! remarqua Adalbert en guise de consolation. Mathias doit avoir une balle dans l’épaule !

— Mais il est vivant, bon Dieu ! Vivant, cette ordure, alors que Moritz…

— L’est tout autant, fit Adalbert qui explorait la Fiat abandonnée. Viens voir !

Il y avait bien un cadavre sur la banquette arrière mais ce n’était rien d’autre qu’un mannequin habillé de vêtements élégants.

— On ferait mieux de filer, maintenant, conseilla Adalbert en allant ramasser le sac abandonné. Tout le village va nous arriver dessus et il va falloir s’expliquer avec la police !

Ils s’immobilisèrent pour écouter mais rien ne bougea :

— Ce n’est pas possible ! Ils sont tous frappés de surdité !

— L’horloge qui sonnait minuit sans doute ? Il faut avouer qu’elle fait pas mal de boucan et Grindel devait le savoir.

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