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— Que ce soit dans huit jours ou dans un mois, elle n’ira pas ! Je m’y opposerai formellement !

— Ah ! Que voilà un spectacle qu’il me serait doux de contempler ! ironisa Mme de Sommières, mais il est inutile d’affûter votre lance, vous n’aurez pas à en rompre pour mes beaux yeux : dans un mois nous ne serons plus là !

— Comment le savez-vous ?

— Une intuition ! Et puis réfléchissez un peu ! Il n’a jamais été prévu que nous restions ici en attendant le Jugement dernier. Dans l’état actuel des choses nous n’attendons plus que des nouvelles d’Aldo et d’Adalbert quand ils connaîtront le lieu du rendez-vous entre Grindel et César. Ce qui ne devrait plus tarder, le délai accordé par l’Italien pour la livraison des joyaux Kledermann étant de quinze jours…

— À mon avis, reprit Wishbone, reparu entretemps, le lieu en question devrait se situer quelque part de notre côté puisque César doit livrer Kledermann en échange de la moitié de sa collection. Or ça ne doit être ni facile ni réjouissant d’avaler des kilomètres en compagnie d’un cadavre tandis qu’une clinique – même en gestation ! – me paraît l’endroit idéal pour le garder caché ?

— Et pourquoi n’aurait-il pas été transporté ici dans la première des fameuses ambulances ? avança Plan-Crépin. Rien de plus simple que de le faire passer de vie à trépas au moment de la livraison ! Mais à mon avis, Grindel se méfiera si on le fait venir jusqu’à Malaspina… à moins qu’il n’ait une escorte solidement armée !

— Alors où ? fit Hubert. Notre voisin ne peut se rendre en France où il est recherché par la police pour prise d’otages et complicité d’incendie. Le plus lourd reposant sur sa sœur. En Suisse il est à peu près tranquille !

— C’est égal, soupira Plan-Crépin soudain rêveuse. J’aurais aimé aller mettre mon nez dans le contenu de cette sacrée Malaspina ! À mon avis, si Kledermann est encore vivant il ne peut être que là ! Et puis il y a autre chose qui me tourmente et dont on n’a pas dû se soucier beaucoup et que, moi, j’ai entendu de mes propres oreilles, c’est…

— … l’allusion à la collection Morosini que ce truand prétend pouvoir s’approprier ? dit la marquise. Pas de fol orgueil, Plan-Crépin ! Moi aussi j’y pense ! Et je ne vois qu’un seul moyen : la prise d’otage, mais alors qui ? Lisa ? Les enfants ? Cela me paraît difficile : Valérie fait bonne garde et tous ses serviteurs aussi…

— Sans doute, mais pensez donc à celui qui, d’après César, devrait prendre la direction de la nouvelle clinique !

— Ce Morgenthal qui avait si adroitement manipulé l’esprit de Lisa ? Mon Dieu ! Vous pourriez avoir raison ! Allez appeler Paris, Plan-Crépin. Chez Adalbert on ne doit pas s’éloigner du téléphone de plus de quelques pas !

Elle s’exécuta sans se faire prier et revint en annonçant une attente de trois heures.

— En principe, conclut la marquise, vous devriez tomber sur le maître de céans. Sinon débrouillez-vous comme vous pourrez pour ne parler qu’à lui ! Avec ce qu’il subit depuis sa sortie de l’hôpital, Aldo nécessite encore des ménagements ! Et Adalbert saura parfaitement lui taper sur les doigts pour l’empêcher de prendre l’écouteur et lui faire ingurgiter une couleuvre à sa façon !

En attendant – et une fois le dîner expédié sans trop savoir ce que l’on mangeait – on opta pour un bridge… auquel les deux hommes apportèrent quelque attention, Mme de Sommières et Marie-Angéline jouant, pour leur part, en dépit du bon sens…

Les trois heures d’attente étant légèrement dépassées, Plan-Crépin voulut rappeler. Une voix anonyme lui apprit que suite à des perturbations atmosphériques, la ligne était en dérangement… Un incident plutôt fréquent dans les pays de montagnes.

Et ce fut seulement vers midi, le lendemain, que l’on réussit à obtenir la rue Jouffroy… et la voix courtoise de Théobald qui, très heureux d’entendre Mlle Marie-Angéline, lui apprit que « ces messieurs sont partis ce matin aux alentours de huit heures » après avoir tenté vainement d’appeler la villa Hadriana la veille au soir.

— Partis pour où ? Vous l’ont-ils dit ?

— Pour la Suisse, mademoiselle !

— C’est grand, la Suisse ! Sans préciser autrement ?

— Non. C’est tout ce que je devais dire à ces dames !… Et aussi qu’on les rappellerait une fois l’affaire réglée !

Il avait bien fallu s’en tenir là. Au point où l’on en était, il ne restait plus que le jeu des conjectures et, naturellement, ce fut Plan-Crépin qui l’inaugura :

— Je ne crois pas qu’ils soient en route pour venir nous rejoindre ! On nous aurait prévenues afin que tout soit prêt à les recevoir ! Mais en ce cas, où vont-ils ?… Ils ne retournent tout de même pas à Zurich ?

Et pourtant c’était bien là le rendez-vous !

En fait, les deux complices avaient eu du mal à s’entendre ainsi que l’inspecteur Sauvageol vint l’expliquer aux reclus de la rue Jouffroy en leur donnant le feu vert du départ :

— Lors de l’entretien que Mlle du Plan-Crépin a surpris – et qui n’était pas franchement chaleureux d’après la relation que j’ai pu lire –, Gandia-Catannei avait dit à Grindel qu’il le rappellerait pour lui indiquer leur prochaine rencontre. Or ce dernier quittait l’avenue de Messine pour n’y plus revenir en omettant – volontairement ou non ? – de donner le numéro de Nogent.

— Pourquoi pensez-vous qu’il l’ait fait volontairement ? demanda Morosini. Venant d’apprendre que l’autre avait gardé Kledermann en vie, il n’avait guère intérêt à couper les ponts ?

— Peut-être pour s’accorder le temps de réfléchir. De toute façon, il voulait appeler lui-même afin de prendre l’initiative du rendez-vous !

— Quoi qu’il en soit, il a décidé de téléphoner à Lugano d’où l’autre était absent. Ce qui n’a pas eu l’air de lui faire plaisir. Aussi a-t-il décidé de donner le numéro des Bruyères blanches… et comme par miracle, on s’est manifesté deux heures plus tard. Je vous prie de croire qu’alors la discussion a été houleuse ! Non sans logique, Grindel insistait pour se rendre chez Gandia, persuadé que Kledermann s’y trouvait et que le voyage lui donnerait le plaisir d’exécuter lui-même son cher oncle contre la moitié des joyaux…

— Pouah ! fit Adalbert. Le vilain bonhomme ! Il est décidément complet le cousin Gaspard ! La suite ?

— Gandia n’a rien voulu entendre. D’abord Kledermann n’était pas en sa possession. Ayant entrepris de gros travaux à la Malaspina dans le but d’en faire une maison de repos pour milliardaires névrosés, il aurait été trop dangereux, étant donné la présence de nombreux ouvriers, d’y garder un otage… et même deux ! Pardonnez-moi ce que vous allez entendre, monsieur Morosini ! Je ne voulais pas vous le dire mais le patron veut que vous soyez au courant de tout !

Aldo avait blêmi, tandis que sa gorge se serrait :

— Un otage ? Qui ?

— Votre fondé de pouvoir, M. Guy Buteau qui vient d’être enlevé de chez vous ! Souvenez-vous que Gandia s’est vanté…

— Vous ne m’apprenez rien, inspecteur ! Continuez !… Mais continuez vite ! Où ces deux misérables vont-ils se rencontrer ?

— À Zurich…

— À Zurich ? sursauta Adalbert. Et Grindel a accepté ça ? Il doit être devenu fou !

— De la façon dont l’autre l’a présenté, c’est défendable ! Il viendra en voiture avec Kledermann drogué et gardé par un de ses hommes. Grindel lui-même peut se faire accompagner par quelqu’un s’il le souhaite afin que le jeu soit égal.

— Et où, la rencontre ?

— Là on est confronté à une énigme. Il n’est pas complètement piqué, ce pseudo-Borgia ! Il a dit : « Derrière l’église, dans cet endroit si agréable où vous m’aviez emmené déjeuner pour sceller notre accord en m’assurant qu’on y mangeait les meilleures truites au bleu et surtout les meilleurs gâteaux au chocolat de la terre ! Mmm !… Quand j’y pense je sens encore l’odeur. L’église étant au milieu d’une prairie… ! » Fin de citation ! Ça vous dit quelque chose ?

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